Par Francis Jubert
Dans la nuit du 31 mai 2025, le Paris Saint-Germain a gravé son nom dans l’histoire en remportant la Ligue des Champions face à l’Inter de Milan. Ce triomphe, qui aurait dû unir la nation dans une liesse collective, a sombré dans un cauchemar. Les rues de Paris, Lyon, Grenoble et Dax se sont embrasées, déchirées par des émeutes d’une violence inouïe. Deux morts, 192 blessés et plus de 559 interpellations composent le bilan funeste de cette nuit où la fête s’est éteinte. Au sommet de l’Etat on pense sérieusement à adopter la reconnaissance faciale couplée à l’IA, en s’inspirant de l’exemple de Singapour tout en tenant compte des préoccupations éthiques liées à la surveillance de masse.
Un constat alarmant : les barbares imposent leur loi
Les célébrations de la victoire du PSG ont rapidement viré au chaos. À Paris, les Champs-Élysées, symbole de la grandeur française, se sont transformés en champ de bataille, où des bus incendiés et des vitrines brisées ont remplacé les cris de joie. À Lyon, des magasins ont été pillés, à Dax, un adolescent a perdu la vie, et à Grenoble, des blessés graves ont marqué la nuit. Ces violences, loin d’être de simples débordements, révèlent une fracture sociale profonde, où la célébration d’un exploit sportif cède la place à la rage de destruction.
Les commentateurs ont diversement analysé ces événements. Régis Le Sommier, ancien grand reporter de guerre, était sur place et a assisté à la fabrique de l’émeute, à ce film catastrophe qui va dégénérer au fil des heures :
« Ces gens-là ont l’habitude de saccager, savent pertinemment comment il faut faire, comment il faut utiliser le mobilier urbain, comment il faut utiliser les rassemblements, les petits trucs pour s’échapper dès qu’il y a une charge… En fait, vous ne les reconnaissez pas, les policiers ne peuvent pas dire comme ça que l’un est un émeutier, l’autre non; ce mélange de supporteurs du PSG et d’émeutiers était incroyable »
Il note toutefois que, bien qu’extrêmement graves, ces violences qu’il a pu constater de visu ne sont pas comparables à celles des conflits armés mais reflètent plutôt une dégradation de l’ordre public qui contraste avec l’ambiance des années 1990, époque où le PSG incarnait une identité différente, celle d’avant l’influence qatarie.
Dans un éditorial du Figaro, Vincent Trémolet de Villers déplore que « Paris ne peut plus être une fête ». Il décrit les émeutes comme symptomatiques d’une fracture sociale où les célébrations sportives dégénèrent en violences marquées par des tirs de mortiers, des coups de couteaux, des hurlements de sirènes et des morts. Il évoque une destruction gratuite, des slogans anti-Etat, anti-police et anti-Israël, et rappelle la prophétie de Gérard Collomb sur les « deux France » qui s’opposent», celle des honnêtes gens bousculée par des hordes de « prédateurs qui privent les enfants et leurs parents de la communion spontanée et joyeuse qu’offrent les victoires sportives. »
Ivan Rioufol fait quant à lui observer que la France est le seul pays ou pareilles exactions se produisent : rien de tel ne s’est passé sur le lieu de l’événement, en Allemagne, ni dans l’Italie de l’Inter.
Alain Bauer, criminologue et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, a commenté pour sa part les émeutes sur BFM TV. Étonnamment, il relativise la gravité de l’événement estimant que la situation était « moins catastrophique que ce qui avait été annoncé », suggérant même que les forces de l’ordre ont cette fois plutôt mieux géré les violences. Cependant, il reconnaît la nécessité d’adapter les réponses sécuritaires aux nouvelles formes de violence urbaine.
L’exemple singapourien
Face à la récurrence des émeutes, le garde des Sceaux réfléchit à l’utilisation de la reconnaissance faciale couplée à l’IA pour contrôler les foules et prévenir les violences lors des grands événements sportifs. Cette idée s’inspire de l’exemple de Singapour où cette technologie est largement adoptée avec un succès incontestable.
À Singapour, la reconnaissance faciale est intégrée aux systèmes de vidéosurveillance pour des usages très variés : sécurité publique, contrôle d’accès et gestion des services numériques. Par exemple, des caméras installées sur des lampadaires permettent d’identifier des individus dans les foules, de prévenir les crimes et de gérer les flux lors d’événements majeurs .
La technologie est utilisée pour détecter les personnes recherchées et réduire les files d’attente dans les aéroports. Le succès de Singapour repose sur une régulation stricte et une acceptation culturelle de la surveillance, qui contraste avec la situation française.
Gérald Darmanin a annoncé, le 23 mai 2025, la création d’un groupe de travail pour établir un cadre légal autorisant la reconnaissance faciale dans l’espace public pour lutter contre la délinquance et faciliter les contrôles d’identité, notamment dans les aéroports. Une expérimentation de vidéosurveillance algorithmique a déjà été autorisée pour les Jeux Olympiques de 2024, mais l’identification en temps réel reste illégale.
Les raisons de la frilosité française à la mise en œuvre de technologies de reconnaissance
Malgré ses avantages potentiels, la France hésite à adopter la reconnaissance faciale à grande échelle et cela pour plusieurs raisons.
La reconnaissance faciale est perçue comme une menace pour les libertés individuelles. Des organisations comme Amnesty International et La Quadrature du Net alertent sur les risques inhérents à la surveillance de masse, notamment en termes de discrimination.
En 2020 par exemple, le Conseil d’État a jugé illégale l’utilisation de la reconnaissance faciale dans des lycées à Nice et Marseille, invoquant des violations du RGPD (Règlement général de protection des données). Les expériences réalisées dans ces villes ont montré l’efficacité de la reconnaissance faciale mais aussi son caractère intrusif. Elles ont souvent manqué de transparence, renforçant les critiques.
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) impose des restrictions strictes sur l’usage de la reconnaissance faciale, qui est interdite dans l’espace public sauf dans des cas spécifiques. Une enquête a révélé que la police utilisait illégalement un logiciel de reconnaissance faciale depuis 2015, ce qui a conduit à une enquête administrative.
La France a par ailleurs une tradition de méfiance culturelle envers les technologies de surveillance. Des fichiers comme TES, le fichier des titres électroniques sécurisés qui contient des données personnelles notamment les empreintes digitales pour la création et la gestion des cartes nationales d’identité et des passeports, continue à susciter une forte opposition.
La collecte et la centralisation des données personnelles de la quasi-totalité de la population française est perçue comme une étape vers un État policier. Elle fait naître au sein de la population française échaudée par l’épisode de la Covid des craintes sur les conséquences d’éventuelles dérives : un tel fichier pourrait faciliter la mise en place d’une surveillance généralisée par l’Etat.
Cette méfiance contraste avec l’acceptation générale de la surveillance à Singapour. La ville-Etat est considérée aujourd’hui comme l’un des pays les plus sûrs au monde. Les Singapouriens sont certainement plus conscients des conséquences de leurs actes que nos fauteurs de désordre.
Solutions préconisées et implications
La proposition de Gérald Darmanin soulève des questions éthiques et juridiques. Si la reconnaissance faciale peut aider à identifier les auteurs de violences noyés dans la foule, son adoption nécessite un cadre légal clair pour éviter les abus. Singapour montre qu’une régulation stricte est essentielle, mais la France manque encore de consensus public sur la réduction de l’anonymat induite par la mise en œuvre de ces technologies.
On peut craindre que par l’accumulation progressive de nouveaux cas d’utilisation de cette technologie et leur diffusion à bas bruit dans la vie quotidienne des Français, notre société soit modifiée en profondeur sans véritable consentement de ses membres.
Au-delà de la technologie et de son efficacité incontestable, il est crucial d’adresser les causes profondes de ces émeutes qui servent de caisse de résonnance à plusieurs « conflits importés » (cause palestinienne, guerre en Ukraine) . Plusieurs analystes dont Régis Le Sommier et Vincent Trémolet de Villers pointent une fracture sociale croissante.
Une politique de prévention, incluant une meilleure intégration sociale, une éducation renforcée et une présence accrue des forces de l’ordre dans les quartiers sensibles, victimes des narcotrafiquants à l’origine de véritables guerres tribales ou du frérisme, pourrait être plus efficace à long terme.
ConclusionLes émeutes qui ont suivi la victoire du PSG en Ligue des Champions ont mis en lumière les défis sécuritaires auxquels la France est confrontée. Face à la gravité des violences et aux failles structurelles de la société française, la proposition de Gérald Darmanin d’adopter la reconnaissance faciale, inspirée par Singapour, offre une solution potentielle mais se heurte à des obstacles éthiques et légaux. Une révision des politiques de sécurité est nécessaire, mais elle doit être menée avec prudence pour préserver les libertés individuelles tout en répondant aux défis de l’ordre public. Une approche équilibrée pourrait inclure des technologies ciblées, comme la reconnaissance faciale dans des contextes spécifiques (gestion des foules), tout en renforçant les mesures préventives, en amont des grands événements.