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Grève des médecins : les raisons de la colère

Par Francis Jubert

Depuis avril 2025, le paysage médical français est secoué par une mobilisation sans précédent des médecins libéraux, internes et étudiants en médecine. La grève, initiée notamment par le collectif Médecins pour Demain et soutenue par des syndicats comme l’UFML (Union française pour une médecine libre), présidée par le Dr Jérôme Marty, le Syndicat Liberté Santé (SLS) et les syndicats d’internes (ANEMF, ISNAR-IMG, ISNI), s’oppose aux mesures coercitives proposées dans le « Pacte Bayrou », qui vise à imposer une nouvelle « mission de solidarité », et à deux propositions de loi (PPL) portées respectivement par le député socialiste Guillaume Garot et le sénateur Les Républicains Philippe Mouiller. La première prévoit que les médecins libéraux  ou salariés devront, avant de s’installer, solliciter l’aval de l’Agence régionale  de santé, qui pourra le leur refuser dans les territoires suffisamment dotés (Article 1er déjà voté), la seconde devant être discutée en séance publique le 12 mai prochain.

Ces mesures, visant à lutter contre les déserts médicaux (87 % du territoire national), sont perçues comme une atteinte à la liberté d’installation et à l’attractivité de la médecine libérale. Elles sont vécues comme une mise au pas supplémentaire de la profession médicale, qui voit d’un très mauvais œil sa liberté de prescription bridée par des injonctions administratives auxquelles elle doit impérativement se conformer. Ces injonctions contradictoires interrogent : d’un côté, les médecins sont censés prescrire en fonction des besoins du patient, mais de l’autre, ils doivent se plier à des normes et contraintes médico-administratives dictées par la logique de la gestion des coûts (la « logique du CAPI »). De plus, l’exigence de solidarité, qui prend le pas sur la santé et le bien-être des individus, est remise en question par les médecins, qui se sentent traités comme des individus « corvéables à merci ».

Contexte : Les mesures contestées

Le Pacte Bayrou

Présenté le 25 avril 2025 par le Premier ministre François Bayrou dans le Cantal, le « Pacte de lutte contre les déserts médicaux » impose aux médecins libéraux de consacrer un à deux jours par mois à des consultations dans des zones sous-dotées, avec une compensation financière. Dans une interview au Journal du Dimanche (JDD), Bayrou justifie cette « solidarité territoriale obligatoire » en affirmant que les médecins, formés par des fonds publics et rémunérés par la Sécurité sociale, ont une dette envers la collectivité, notamment via des gardes obligatoires. Cette mesure est dénoncée comme une contrainte logistique irréaliste, ignorant les charges de travail existantes des médecins.

Contexte : Les mesures contestées

Le Pacte Bayrou

Présenté par le Premier ministre François Bayrou le 25 avril 2025 dans le Cantal, le « Pacte de lutte contre les déserts médicaux » propose une série de mesures pour améliorer l’accès aux soins dans les zones sous-dotées. La mesure phare impose aux médecins libéraux de consacrer jusqu’à deux jours par mois à des consultations dans des territoires en pénurie médicale, en échange d’une compensation financière. Ce principe de « solidarité territoriale obligatoire » est perçu comme une obligation déguisée, fragilisant la liberté d’exercice des médecins. François Bayrou, dans une interview au Journal du Dimanche (JDD), a justifié cette mesure en arguant que les médecins, rémunérés par la Sécurité sociale et formés grâce à des fonds publics, ont une dette envers la collectivité, qui peut selon lui être pour partie éteinte notamment sous forme de gardes obligatoires.

La PPL Garot

La proposition de loi transpartisane de Guillaume Garot, député PS de la Mayenne, adoptée partiellement par l’Assemblée nationale début avril, vise à réguler l’installation des médecins pour réduire les inégalités territoriales. Son article principal stipule que dans les zones bien pourvues en médecins, un praticien ne peut s’installer qu’en remplacement d’un confrère partant à la retraite, sous l’autorisation des ARS. Cette régulation, soutenue par plus de 250 députés de divers horizons politiques, perçue comme une étatisation de la médecine, est dénoncée comme une nouvelle atteinte à la liberté d’installation, un pilier de la médecine libérale.

La PPL Mouiller

La proposition de loi du sénateur Philippe Mouiller, moins médiatisée mais tout aussi controversée, s’inscrit dans une logique similaire. Elle vise à « améliorer l’accès aux soins dans les territoires » en renforçant la coordination des professionnels de santé et en encourageant l’exercice dans les zones sous-dotées. Bien que moins coercitive que la PPL Garot, elle est critiquée pour son manque de clarté et son potentiel à imposer des contraintes indirectes aux médecins.

La mobilisation des médecins

La grève et ses acteurs

Dès le 28 avril 2025, une grève illimitée a été lancée par les syndicats d’internes (ANEMF, ISNAR-IMG, ISNI) et soutenue par Médecins pour Demain. Des manifestations ont eu lieu le 29 avril dans plusieurs villes, notamment à Paris, Montpellier, Toulouse et Lyon, rassemblant des milliers d’étudiants, internes et médecins libéraux. Selon l’ISNI, un interne sur deux était en grève, et de nombreux cabinets médicaux ont fermé leurs portes. Le collectif Médecins pour Demain joue un rôle central dans la coordination de cette mobilisation.

Le collectif Médecins pour Demain  du Dr Pierre-Louis Hélias

Dans un post publié sur LinkedIn le Dr Pierre-Louis Hélias, vice-président de ce collectif, exprime avec véhémence la frustration des médecins face aux mesures coercitives annoncées avec prise d’effet à la rentrée de septembre de cette année. Il dénonce l’idée que la régulation de l’installation résoudrait la question des déserts médicaux, arguant que la pénurie de médecins est le véritable problème. Le Dr Hélias souligne que les médecins libéraux absorbent 90 à 95 % du flux des urgences, jouant un rôle crucial dans la résilience du système de santé. Il critique également le manque de dialogue avec les pouvoirs publics et appelle à une revalorisation de l’exercice libéral pour attirer les jeunes générations. 

Ce post, largement partagé, reflète le sentiment d’injustice et de mépris ressenti par la profession. Il décrypte les raisons de la grève des internes et jeunes médecins que les mesures coercitives envisagées risquent de décourager de s’installer en libéral et vont pousser certains vers un exercice salarié ou à l’étranger. Médecins pour Demain propose des solutions alternatives basées sur l’incitation (revalorisation des consultations, simplification administrative) plutôt que la contrainte. L’article souligne également l’unité de la profession, des étudiants aux praticiens installés, face à ce qu’ils perçoivent comme une attaque contre leur autonomie.

L’interview du Dr Line Cabot sur Radio Courtoisie

Le 7 mai 2025, le Dr Line Cabot, secrétaire générale du SLS, s’est exprimée sur Radio Courtoisie dans une interview percutante. Réagissant aux propos de Bayrou dans le JDD, elle conteste vivement l’idée que les médecins doivent une « dette » à la collectivité en raison de leurs études financées par des fonds publics. Cabot rappelle que les études médicales, désormais allongées à 10 ans pour les généralistes (contre 6 ans auparavant), impliquent des années de gardes sous-payées et des conditions de travail éprouvantes. « Exiger maintenant que les médecins soient contraints à des gardes obligatoires ou à des installations imposées, c’est ignorer leur investissement et leur sacrifice », déclare-t-elle. Elle propose une métaphore cinglante : « Si Bayrou pense que les médecins doivent rendre des comptes, alors que dira-t-on des avocats ou des ingénieurs formés par l’État ? » Cabot insiste sur le besoin de mesures incitatives, comme des aides à l’installation et une meilleure reconnaissance des actes médicaux, pour rendre les zones sous-dotées attractives. Elle conclut en affirmant que, face à ces mesures coercitives, de nombreux médecins envisagent de « déplaquer » (quitter l’exercice libéral).


Les arguments des médecins

Une atteinte à la liberté d’installation

La liberté d’installation est un principe fondamental de la médecine libérale, garantissant aux médecins le droit de choisir leur lieu et leur mode d’exercice. La PPL Garot, en imposant une régulation via les ARS, est perçue comme une étatisation de la profession. Le Dr Hélias, dans son post LinkedIn, argue que cette mesure découragera les jeunes médecins, déjà confrontés à des études longues et à une bureaucratie pesante. Le Dr Cabot, sur Radio Courtoisie, renchérit en soulignant que la coercition risque de pousser les médecins vers des pays où l’exercice est plus libre, aggravant la pénurie.

Une méconnaissance des réalités du terrain

Les médecins dénoncent un décalage entre les propositions politiques et la réalité de leur pratique. Jean Citroën, dans Fi Eco, note que les déserts médicaux ne sont pas seulement un problème de répartition, mais de pénurie globale de médecins. Avec 1 Français sur 3 sans médecin traitant en 2025, la solution ne réside pas dans une régulation autoritaire, mais dans une augmentation du nombre de praticiens formés et une amélioration des conditions d’exercice. Le Pacte Bayrou, en imposant deux jours de consultations dans des zones sous-dotées, ignore les contraintes logistiques (déplacement, absence de plateaux techniques) et les besoins des patientèles existantes.

Un manque de concertation

Les syndicats, comme le SLS et Médecins pour Demain, reprochent au gouvernement et aux parlementaires un manque de dialogue. Le Dr Cabot déplore que les médecins soient « infantilisé[s] » par des décideurs qui méconnaissent leur quotidien. Le Dr Hélias, dans son post, appelle à une collaboration avec les professionnels pour élaborer des solutions viables. Cette absence de concertation a exacerbé la défiance, alimentant la mobilisation.


Les propositions alternatives

Revalorisation de la médecine libérale

Médecins pour Demain et le SLS plaident pour une revalorisation des actes médicaux, aujourd’hui sous-payés par rapport à la charge de travail. Jean Citroën rapporte qu’un médecin généraliste, après charges, ne conserve qu’environ 11 € net avant impôts sur une consultation à 30 €. Une meilleure rémunération rendrait l’exercice libéral plus attractif, ascended.

Simplification administrative

Les médecins demandent une réduction de la « pollution administrative » qui entrave leur pratique. Le Dr Hélias souligne que les tâches administratives détournent les médecins du soin, tandis que Jean Citroën propose un guichet numérique pour faciliter les démarches.

Incitations à l’installation

Plutôt que des contraintes, les médecins proposent des incitations financières et logistiques pour attirer les praticiens dans les zones sous-dotées, comme des aides à l’installation, des locaux mis à disposition, et des exonérations fiscales.


Implications pour le système de santé

La grève et la mobilisation des médecins soulignent une crise profonde du système de santé français. Si les mesures coercitives sont adoptées, les syndicats prédisent une fuite des médecins vers l’exercice salarié ou à l’étranger, aggravant les déserts médicaux. À l’inverse, un échec du Pacte Bayrou et de la PPL Garot pourrait renforcer la défiance des populations des zones sous-dotées, qui soutiennent majoritairement une régulation.


Conclusion

La grève des médecins français en 2025 reflète un conflit entre l’urgence de lutter contre les déserts médicaux et la nécessité de préserver l’attractivité de la médecine libérale. Les voix du Dr Pierre-Louis Hélias, de Jean Citroën et du Dr Line Cabot convergent pour dénoncer des mesures coercitives qui, loin de résoudre la pénurie de médecins, risquent de fragiliser un système déjà sous tension. En proposant des solutions incitatives et en appelant à une véritable concertation, les médecins rappellent que la santé est un bien commun qui ne peut être sacrifié au nom d’une régulation autoritaire. L’issue de ce bras de fer, avec la reprise des débats sur la PPL Garot début mai, déterminera l’avenir de l’accès aux soins en France.

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