Par François Martin
L’accélération des intentions de vote en faveur d’Eric Zemmour a déjà pratiquement plié les choses : c’est le duel entre le journaliste et le Président qui se dessine, avec un vrai risque pour ce dernier, nonobstant ce que veulent faire croire ces sondages. D’abord, ces scores n’ont en réalité rien d’étonnant. Ensuite, pour tenter de le battre, Emmanuel Macron va utiliser une recette éculée.
Rien d’étonnant à la percée d’Eric Zemmour
Contrairement à ce que disent les commentateurs, les scores excellents faits en ce moment par Éric Zemmour n’ont rien d’étonnant. Ce qui est surtout étonnant, c’est l’étonnement des commentateurs. Expliquons-nous :
Je ne pense pas m’être trompé quand j’avais dit il y a 5 mois qu’Eric Zemmour allait imposer ses thématiques et redessiner l’échiquier (1). Je ne pense pas me tromper non plus en disant que, selon Timur Kuran (2), nous sommes dans une situation « pré-révolutionnaire », car la distance qui sépare aujourd’hui les ressentiments cachés de leur capacité d’expression publique est maximale.
En d’autres termes, la classe politique et les commentateurs ne comprennent pas ce qui se passe, parce qu’ils n’appliquent pas la bonne grille de lecture. Ils pensent que les gens raisonnent « classiquement » et choisissent leur candidat en fonction de ses idées ou de sa personnalité, alors qu’il faut interpréter la situation actuelle comme celle de l’Allemagne de l’Est ou de la Pologne une semaine avant la chute du mur. De nombreux français, et les classes populaires en particulier, ne croient pas qu’ils vivent dans une démocratie libre, mais dans une démocratie dévoyée, un régime oligarchique où la parole populaire a été confisquée pendant très longtemps, par l’instrumentalisation de l’islam afin de nazifier, lorsqu’ils s’en plaignent, les français patriotes. Forcément, les oligarques français qui croient toujours à « l’avenir radieux du socialisme » sont les derniers à avoir les clefs de lecture de ce qui se passe.
Aujourd’hui, l’événement, non pris en compte par les commentateurs, c’est que la parole confisquée se libère. En d’autres termes, le « mur de la honte », qui bloquait l’expression publique du ressentiment populaire, ce mur tombe. Or ce ressentiment est très puissant. C’est une sorte de 2ème « effet GJ », mais avec une traduction politique précise et un objectif assumé. Pour cette raison, il est probable que le potentiel d’Eric Zemmour est beaucoup plus important que ce que croient les analystes. En regard, Emmanuel Macron stagne, mais ce qui est intéressant, c’est qu’il ne profite pas du tout de la recomposition actuelle du paysage. Une partie de LR va vers Zemmour, une partie s’interroge sur les chances de son futur champion, non encore désigné, mais personne ne se réfugie chez Macron, alors que ce devrait logiquement être le cas. Alors que ses défenseurs disent qu’il est « confortablement installé », on pourrait penser qu’il est plutôt « assiégé dans sa forteresse ». Le momentum d’Eric Zemmour est tel qu’il pourrait assez rapidement se rapprocher de lui et même le dépasser. C’est là que les choses sérieuses vont commencer. C’est là que les murs de la forteresse vont commencer à se lézarder. C’est là que le duel va s’installer.
Dans cette affaire, Eric Zemmour aura pour lui le fait qu’il sera institutionnalisé comme le prétendant d’un nouveau duel, avec des idées neuves et fortes, par rapport à un « format » ancien, déjà écrit et ressassé, qui désespérait tout le monde, y compris la presse. Il sera perçu comme le « challenger » (ce qui suscite toujours un a priori favorable), face à un pouvoir en place connu et « vieillissant », « assiégé » à la fois sur sa droite et sur sa gauche. Le clivage imposé par Zemmour sera tel que le « en même temps » aura beaucoup de mal à fonctionner. La « jeunesse », la « fraîcheur » de Macron ne joueront plus, mais joueront pour son adversaire. Tout cela sera pour Zemmour un avantage certain. Mais pour autant, il ne faut pas penser que le pouvoir en place ne se défendra pas.
Comment Macron va essayer de battre Zemmour
Lors des Universités d’été de LREM, Olivier Véran a tenté d’attaquer Eric Zemmour en le traitant « d’aventurier ». d’autres de « raciste », de « sexiste » ou de « pétainiste ». Toutes ces attaques ad hominem sont sans effet. C’est beaucoup trop tard. L’accélération brutale de Zemmour, à un moment où ses adversaires en étaient encore à fourbir laborieusement leurs armes, les a complètement décontenancés. Par ailleurs, l’impulsion donnée par le « deux poids deux mesures », en particulier du CSA et de Paris-Match, a été telle que ces attaques, aujourd’hui, renforcent sa crédibilité. C’est la débâcle, au sens météorologique du terme : les blocs de glace n’arrêteront plus l’eau qui descend en force des montagnes. Le pouvoir le sait très bien. Nous ne sommes qu’aux escarmouches, et le chef de l’État, pour le moment, ne veut pas trop attaquer son adversaire de front, pour ne pas lui donner matière à la « courte échelle ». Mais il sait déjà ce qu’il fera le moment venu.
Un article du Figaro (3) donne le ton de ce qui sera la ligne d’attaque. En effet, bien qu’il n’accuse pas directement Eric Zemmour, l’article « l’aligne » déjà, l’air de rien, au bout de la mire. Il préfigure le procès qui va être monté contre lui dans les prochaines semaines et les prochains mois : « c’est vous qui êtes le responsable de la montée de la violence ! »
Ce sera la même méthode, avec une variante, que celle employés contre les Gilets Jaunes, et un peu contre Philippot : enfoncer le coin, avec l’appui de prétendus « suprémacistes », de casseurs et des médias (BFM en tête), entre les classes populaires qui voteront pour lui et les classes bourgeoises (4), et resserrer ces dernières, terrorisées, autour du pouvoir comme les poussins sous les ailes de la poule. Une variante aussi du « Le fascisme ne passera pas » employé jusqu’à la nausée contre le FN et le RN. On utilisera tout ce qu’il faut, y compris des excités des quartiers, des supplétifs black blocs et certains services « action » para-étatiques, pour créer des bagarres et des émeutes, entretenir la violence et monter le procès. On voit déjà venir le coup, comme si c’était fait.
Pourquoi Emmanuel Macron s’en priverait-il, puisque la vieille recette marche si bien, et depuis si longtemps ? Face à un adversaire qui rentre dans votre cave et s’écrie « Pourquoi y a-t-il autant de dynamite ? », quoi de plus simple, pour l’accuser, que d’allumer soi-même les mèches ? De plus, Macron peut s’enorgueillir d’avoir « cassé » le mouvement des GJ avec cette technique éprouvée. Il sait qu’il aura la presse aux ordres (elle l’a déjà montré), et que les bourgeoisies ont deux terreurs : le surgissement des classes populaires, si opportunément écartées jusqu’ici du champ politique, et l’aventurisme. Face au risque du changement, et de tensions qui pourraient se faire jour avec certains quartiers (5), elles préfèreront toujours le compromis, voire la compromission, voire la soumission, plutôt que l’affrontement (6). C’est ce qu’elles montrent depuis 40 ans.
Eric Zemmour pourrait avoir du mal à lutter contre cet engrenage, surtout s’il est fabriqué et entretenu à dessein. Sa meilleure défense sera sans doute qu’il annonce à l’avance la probable manipulation, afin de la désamorcer, et qu’il en renvoie la responsabilité à l’État, en montrant comment ce dernier a utilisé la même ficelle par ailleurs, et comment il l’utilisera encore contre lui. Il faudra qu’il dise que l’État est le premier responsable de la montée de la violence, parce qu’il entretient le non-dit depuis des dizaines d’années, et que le non-dit accumule la violence comme un barrage qui n’est jamais ouvert accumule la puissance de l’eau. Il faudra qu’il « prophétise » que l’État, dans cette configuration, jouera certainement le chantage à la peur sans vergogne et jusqu’au bout, et qu’il peut même avoir intérêt, le moment venu, à susciter une « bavure » pour rendre la situation irréversible et en accuser son adversaire. S’il dit tout cela, l’Etat macronien sera embarrassé, parce que ses plans seront dévoilés avant qu’il ne les mette en œuvre.
Il faudra qu’il dise qu’il ne sait que trop bien que la violence existe, mais que ce n’est pas lui qui la crée, mais bien la perversion du fonctionnement politique du pays, qui « ghettoïse » les volontés populaires (7), politique que Macron a poursuivie et actualisée, et que lui, Zemmour, veut faire cesser. Il devra dire que le fait de cacher la vérité est la pire des réponses. Il devra affirmer que c’est uniquement en disant les choses comme il le fait que la violence peut baisser. S’il dit cela, certains auront peur, mais beaucoup se sentiront soulagés, qui n’en peuvent plus du mensonge. Il devra attaquer, et surtout pas se défendre ou se justifier.
Cette guerre politique, visant à se renvoyer la responsabilité de la montée probable de la tension (réelle ou « fabriquée »), et dont les bourgeoisies et les classes moyennes seront les « otages », accompagnera, comme un échange de tennis dramatique, tout le déroulement de la future campagne (8). Elle en sera, n’en doutons pas, le fil rouge. Si Eric Zemmour sait attaquer rapidement sur ce terrain, comme il l’a fait jusqu’ici, et comme savait le faire en son temps son modèle Bonaparte, il prendra une option sur la victoire finale.
François Martin
- Cf [Chronique] Le climat politique est propice à une recomposition des droites – Valeurs actuelles
- Cf Timur Kuran 1995 – www.micheletribalat.fr
- Une bagarre Place Bellecour à Lyon entre supposés « suprémacistes blancs » et « antifa ». Cf https://www.lefigaro.fr/faits-divers/le-centre-de-lyon-secoue-par-des-bagarres-entre-supporters-de-football-et-entre-militants-des-extremes-20211001
- A l’exception des bourgeoisies patriotes.
- Il n’est pas du tout certain que ce soit, comme certains le craignent, la « guerre civile », s’il s’installe, en France, un pouvoir qui s’attaque enfin à l’islam politique et à l’immigration. C’est lorsque l’on est faible que vos adversaires vous attaquent, pas lorsque l’on est fort. La situation des imams et des caïds est si valorisante dans notre pays qu’ils ne risqueront jamais leur place à quitte ou double. Intimider un pouvoir faible, c’est une chose (n’est-ce pas, Assa Traoré ?). S’attaquer frontalement à un pouvoir fort, c’est tout autre chose.
- Ce sont les bourgeoisies espagnoles qui ont ouvert les portes des villes du Sud de l’Espagne aux envahisseurs arabes. Ce sont les bourgeoisies françaises qui étaient favorables au Roi d’Angleterre pendant la Guerre de Cent Ans. Ce sont les représentants des bourgeoisies anglaises qui poussaient Churchill au compromis avec Hitler.
- C’est ce qu’a dit Michel Onfray lorsqu’il a parlé de « retour du refoulé ».
- Dès que Zemmour aura éliminé les autres adversaires, ce qui est pratiquement fait, et que Macron et lui seront face à face.