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République : un mot corrompu par 230 ans d’idéologie

La chronique des mots de Roland Hureaux


Parmi tous les mots mensongers qui encombrent le vocabulaire politique, il en est un qui tient la corde comme l’a d’ailleurs montré avec brio Frédéric Rouvillois dans son essai Être ou ne pas être républicain (éd. du Cerf, 2015) ; à strictement parler, le mot dans son acception actuelle, d’ailleurs des plus vagues, signifie le contraire de ce qu’il a signifié pendant des siècles, à savoir le souci du bien commun. Depuis la Révolution française, être républicain est même devenu synonyme d’anti-monarchisme, alors que la monarchie, telle qu’elle est pensée par Jean Bodin se voulait l’instrument du Bien commun. C’est de ce grave et très dommageable « cul par-dessus tête » que rend compte ici, dans son habituelle chronique des mots, notre ami Roland Hureaux.

Ouvrons le Gaffiot : comment se dit l’État en latin ? Res publica, la chose publique. Nul débat sur la notion de république1  à l’époque antique : il est bien connu que la république romaine se transforma peu à peu en empire autocra-tique, mais les institutions républicaines demeurèrent. Il y avait toujours des consuls, des tribuns, un Sénat. Les rois étaient une catégorie au-dessous. Si les chefs de tribu germains qui envahirent l’Empire au Ve siècle se qualifièrent de rois, c’était par modestie, pour ne pas se mettre au même rang que l’empereur (de Rome, puis de Byzance) ; aucun d’eux n’osa se déclarer empereur avant Charlemagne. Tout au long du Moyen Âge où il y a des rois dans toute l’Europe, aucun camp républicain ne s’oppose à eux. Les républiques qui émergent (Venise, Gênes, Sienne) sont des républiques catholiques profondément imprégnées de traditions, où nul ne pense à faire table rase d’un long passé.  

De la res publica à la République

On ne saurait oublier que le grand inspirateur de la monarchie absolue, Jean Bodin, exposa sa théorie dans un ouvrage intitulé De res publica. (1576). Il y traite de l’État et affirme que la meilleure forme en est la monarchie absolue. Avec la fondation de la première République en 1792, le nouveau régime s’oppose en revanche nettement au régime monarchique. Toutefois, les Conventionnels du parti de la Montagne, instigateurs de la Terreur, ne se qualifient que rarement de républicains, se disant plutôt patriotes et leurs ennemis les traitent de jacobins. Cette ambiguïté devait faciliter la transformation par Bonaparte de la Ire République en Ier Empire sans changement des institutions. C’est pourquoi la IIe République (1848), en réaction, put sans difficultés amalgamer les catholiques.

Les opposants au Second Empire furent les premiers à revendiquer fort le nom de républicains, mais cela n’empêcha pas le vote, le 30 janvier 1875, par une assemblée à majorité royaliste, de l’amendement Wallon qualifiant le régime instauré en 1870 de république. Henri Wallon était un catholique plutôt conservateur, mais il était aussi un grand universitaire, professeur d’histoire à la Sorbonne et membre de l’Institut. Moins attaché à la république qu’à l’exactitude du vocabulaire, il soutint que le régime instauré en 1870, n’étant ni une monarchie, ni un empire, était forcément une république. En ce temps-là, les mots avaient un sens précis, ils n’étaient  pas encore surchargés d’idéologie. Cela ne devait pas durer.

La République anticléricale

A partir de 1878 et tout au long de la IIIe République, républicain veut dire partisan du régime, le contraire de monarchiste, mais le mot fut très vite chargé d’une connotation anticléricale. Il devint difficile dans la nouvelle France – et jusqu’à une date récente – d’être reconnu comme républicain et d’aller à la messe. Charles de Gaulle en fit l’expérience. Ce régime que l’on dit libéral mit en fiches non seulement les officiers, mais aussi les maires et les 550 000 conseillers municipaux. Il y avait trois couleurs : réactionnaire, républicain et rallié. Mon arrière-grand-père (qui ne l’a jamais su), notable paysan du Sud-Ouest et adjoint au maire, était vers 1905, étiqueté « rallié ». Je ne pense pas qu’il ait jamais été monarchiste. Ce qualificatif voulait dire qu’il allait à la messe, mais n’était pas un danger pour la République.

Le ralliement des catholiques au régime prôné par Léon XIII, en 1890, ne changea rien à la polarité républicains-catholiques. Contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agissait pas d’une tactique ou une d’approbation du régime, mais l’application pure et simple de l’antique doctrine de saint Paul : « tout pouvoir vient de Dieu ». La démocratie chrétienne qui apparait dans les années trente eut beau s’incarner après la guerre dans le Mouvement Républicain Populaire, elle demeurait suspecte. Ses adversaires ne tenaient ce mouvement pour républicain que du bout des lèvres. 

Rousseau contre Montesquieu

Nul ne contestait en revanche que le parti communiste soit un parti républicain. Pour certains, il l’était même plus que les autres. Un vieux dilemme, important dans l’imaginaire politique français, vint à la surface avec les travaux constitutionnels de 1945-1946, celui des héritiers supposés de Rousseau, pour lesquels la volonté du peuple exprimée par ses représentants est souveraine, même si elle varie ou écrase la minorité et celui des héritiers de Montesquieu, qui revendiquent  la nécessité d’un frein à l’errance possible des assemblées élues, celui de conseils de sages non élus et gardiens du droit, analogues à la Cour suprême américaine. La position rousseauiste fut plus tard résumée par un socialiste de gauche, André Laignel : « ce que nous faisons est juridiquement légal puisque nous sommes politiquement majoritaires ». En 1946, les communistes se firent les porte-drapeaux les plus ardents de la version rousseauiste : pour eux, le modèle républicain par excellence, c’était la Convention ; la grande figure républicaine, Robespierre. Sans que cette position ait un rapport direct avec le marxisme, en dehors de la Terreur, les communistes se voulurent ainsi  les « ultras » de la République. Ils soutinrent un projet de constitution où le Sénat était aboli et qui donnait tous les pouvoirs à la Chambre des députés, projet repoussé par référendum. 

Le régime de Vichy avait ratifié le caractère  idéologique de la République en qualifiant Pétain de chef de l’Etat et non de président de la République, reprenant ainsi à son compte la charge idéologique que lui avait donnée la gauche. Ce clivage explique que seuls sont habilités depuis lors à se dire républicains les partis issus de la Résistance ; ceux qui, comme le Front national, sont tenus, à tort ou à raison, pour des nostalgiques de Vichy, dans l’acception controuvée qu’a prise ce mot (cf. notre dossier ci-dessus – ndlr), se trouvent  exclus de l’« arc républicain ». A la légitimité politique de la République, la Résistance a ajouté une légitimité nationale qui fait revenir à la surface le temps où les Conventionnels se qualifiaient de « patriotes ». Ceux qui ne sont pas républicains sont suspects d’être des fascistes, ce qui va très loin, vu l’acception initiale du mot république.

La suite de cette analyse est à retrouver dans le numéro XI du Nouveau Conservateur.

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