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Le sinistre président d’une France Triste

par Thierry Boutet

Pour Thierry Boutet, ancien éditorialiste à l’hebdomadaire Famille Chrétienne et directeur de la rédaction du Temps de l’Église, les résultats d’une élection ne s’expliquent pas uniquement par les circonstances ou la qualité des candidats ; ils obéissent aussi à des mécanismes plus profonds, culturels ou métapolitiques, à l’œuvre dans le corps politique. La démocratie française entre dans une nouvelle époque et les perspectives n’en sont pas réjouissantes.

Pour Thierry Boutet, ancien éditorialiste à l’hebdomadaire Famille Chrétienne et directeur de la rédaction du Temps de l’Église, les résultats d’une élection ne s’expliquent pas uniquement par les circonstances ou la qualité des candidats ; ils obéissent aussi à des mécanismes plus profonds, culturels ou métapolitiques, à l’œuvre dans le corps politique. La démocratie française entre dans une nouvelle époque et les perspectives n’en sont pas réjouissantes.

Le vote utile est un arbre qui cache une forêt

Généralement les résultats du premier tour reflètent assez bien les courants et les forces politiques qui traversent l’opinion. Le 10 avril, le vote utile a faussé cette image. Certes les candidats de gauche toutes tendances confondues font entre 32 et 36,5 % mais le poids respectif de chacun des candidats ne correspond pas à un vote d’adhésion ou de proximité idéologique. Le score à 21,9 % de Jean-Luc Mélenchon et le courant d’extrême-gauche qu’il représente est surévalué par rapport au courant de la gauche sociale-démocrate censé représenté par Anne Hidalgo. Ce courant demeure certainement plus important que les 1,7 % de la candidate maire de Paris. Les législatives devraient en principe le montrer même si l’union de la gauche autour de Jean-Luc Mélenchon réduit le nombre de sociaux-démocrates à l’Assemblée. Idem pour les écologistes purs et durs dont le nombre est plus important que les 4,63 % des 34 643 685 suffrages exprimés restés fidèles à Yannick Jadot comme le prouvent les élections locales ou européennes. A l’extrême droite, même phénomène. La chute d’Éric Zemmour face à Marine Le Pen peut s’expliquer par les circonstances et l’expérience plus politicienne de Marine Le Pen, mais il est probable qu’un grand nombre de ses électeurs du premier tour soient en fait plus proches de la ligne et des convictions d’Éric Zemmour que des siennes. Quant aux électeurs des Républicains, Emmanuel Macron leur a administré la potion qu’il avait déjà utilisée avec le PS en 2017 sous le doux nom de « recomposition politique ».

La tripartition extrême-gauche, centre et extrême-droite, qui semble avoir succédé à la bipolarisation traditionnelle sous la Ve république jusqu’en 2017, cache en réalité un éclatement du corps électoral en un grand nombre de fragments. Des fragments dont les résultats de ce premier tour n’ont pas permis d’évaluer avec précision la proximité idéologique ni le poids relatif dans l’opinion. Le second tour n’a pas changé la donne. Dans l’unique grand débat de ces élections, Marine Le Pen a fait profil bas. Elle a évité d’envoyer dans les dents de son adversaire le rapport du Sénat sur McKinsey en réponse aux accusations d’Emmanuel Macron sur le prêt au RN d’une banque Russe. Quand on sait les liens qu’a entretenus le Président avec le milieu bancaire, c’était l’hôpital se moquant de la charité. Elle n’a rien dit. Son contradicteur a donc pu conserver ce ton professoral et donneur de leçons qui, en définitive, lui réussit assez bien auprès des élites qui ont une forma mentis proche de la sienne. Pour finir, chacun a voté comme prévu pour le candidat qu’il ne voulait surtout pas. Sur 35 096 478 votants, Emmanuel Macron a recueilli 18 768 639 voix, soit 38,5 % des inscrits, résultat encore plus bas si l’on compte les personnes inscrites nulle part, mais en âge de voter… De son côté, Marine Le Pen totalise 13 288 686 voix, soit 27,26 % des inscrits, et encore 41,45 % des suffrages exprimés grâce à un report de plus de 70 % de ceux qui avaient voté Éric Zemmour au premier tour.

Mais cette réélection dans un fauteuil du Président sortant est un arbre qui cache la forêt, celui d’un mécontentement porté à un degré rare et d’une décomposition inquiétante du paysage politique. 68 % des Français déclaraient dans un sondage à la sortie des urnes qu’ils souhaitaient que le prochain président soit contraint à la cohabitation. Un vœu que Jean-Luc Mélenchon n’a pas manqué d’entendre en se présentant dès les premiers résultats comme le futur Premier ministre. Pour le reste, la tristesse du vainqueur qui, après une rapide apparition au Champ-de-Mars et un discours chimiquement pur de tout enthousiasme, s’est enfui avec sa femme et ses plus proches à la Lanterne, était à l’image d’une soirée électorale crépusculaire.

Quant à la droite, sans corpus idéologique et encore moins de sens politique, elle risque d’être totalement marginale à l’Assemblée, très en deçà de son poids réel dans l’opinion. Elle vient à nouveau de démontrer son art de transformer une position potentiellement majoritaire en déroute électorale. En préférant ses intérêts partisans à ceux de la France, elle laisse le soin à Emmanuel Macron et à Jean-Luc Mélenchon de gérer dans le sens qui est le leur les problèmes d’immigration, la question de la délinquance, les questions écologiques, l’asservissement économique et stratégique de la France aux intérêts de l’Europe et des États-Unis ainsi que, ne l’oublions pas, nos 3 000 milliard de dettes, nos plus de 1 000 milliards de prélèvements obligatoires et le sort des 9 millions de pauvres qui sont à la peine dans notre pays.

Cette situation absurde a évidemment des causes, les unes conjoncturelles et politiciennes, les autres beaucoup plus profondes. La haine d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen a été aussi fatale à la droite que celle de Chirac et de Valéry Giscard d’Estaing qui avait permis la victoire de François Mitterrand en 1981. Éric Zemmour avait eu l’audace, le courage et l’intelligence de donner le ton de la campagne sur les thèmes de l’immigration et de la sécurité. Mais sa campagne sur l’identité de la France et sur l’avenir de sa civilisation souffrait dès le départ d’une lacune de fond. Il n’a pas vu que l’identité française était tout aussi menacée par la poussée vindicative de l’Islam que par l’impérialisme culturel, économique et géopolitique des États-Unis. La fracture entre son staff politique composé de jeunes diplômés plus brillants les uns que les autres et les politiques professionnels qui l’avaient rejoint depuis le début comme Jean-Frédéric Poisson ou, un peu plus tard, Guillaume Peltier, a fait le reste. Elle ne lui a pas permis d’éviter des erreurs de débutant. Dans ces conditions, ses 7 % du premier tour ne représentent qu’un demi-succès qui va se heurter à la culture assez trotskiste du Rassemblement National qui ne compose avec personne, évince ses dissidents et ne croit qu’en lui-même.

Après l’élection définitive d’Emmanuel Macron la France reste donc sur sa faim. En 2017, les Français avaient entendu la petite musique enchantée d’Emmanuel Macron qui récusait un système d’alternance qui n’en avait plus que le nom. Cinq ans après de multiples crises, ils sont déçus d’un président qui se croyait le CIO d’une « start-up nation » mais qui n’a pas tenu ses promesses, qui n’a réformé ni le Code du travail, ni l’assurance-chômage, ni les retraites, ni le rôle des syndicats ni encore moins le système syndical, ni l’organisation et les relations des communautés territoriales avec l’État. Majoritairement, ils ne veulent plus l’alternance mais l’alternative, sans être d’accord, et de loin, sur celle-ci. Un cocktail qui risque d’être explosif.

Retrouvez la suite de cette analyse de Thierry Boutet dans le septième numéro du Nouveau Conservateur.

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