Bruno Gollnisch, docteur en droit international, polyglotte (il parle, notamment, le japonais et le malais), enseignant dans plusieurs universités, dont l’université de droit de Tokyo, spécialiste mondialement reconnu de droit japonais, ancien conseiller régional, ancien membre de l’Assemblée nationale (1986-1988), député français au Parlement européen pendant trente ans (de 1989 à 2019), aurait pu avoir le destin de son arrière-grand-père, Emile Flourens, ministre des Affaires étrangères sous la IIIe République. Constamment fidèle au Front national, parti auquel il adhéra jeune, dont il fut secrétaire général et dont, en 2011, il manqua de prendre la présidence face à Marine Le Pen (ce qui aurait changé beaucoup de choses au sort de la droite et de la France). Il reste un critique acerbe des dérives de la politique française, militant pour une « union des nationaux » qui seule pourrait donner à son mouvement une dimension gouvernementale. Dans l’entretien qu’on va lire, il tire avec lucidité le bilan de l’actuelle séquence électorale, analysant ses conséquences pour conclure à la nécessité de refonder le camp national sur le travail intellectuel, ainsi qu’un minimum de pratique commune…
Nous avons publié dans notre dernier numéro un texte commun intitulé « Pour l’Union des patriotes » que nous avons co-signé avec le sénateur Sébastien Meurant, texte dans lequel nous esquissions dix urgences pour sauver la France. Ce texte fut en partie repris par l’AFP, mentionné par divers organes de presse, sans hélas recevoir de réponse des principaux protagonistes qui auraient pu s’entendre au second tour des législatives sur un programme minimal. Deux mois plus tard, quel bilan tirez-vous de notre initiative ?
Le bilan est hélas modeste, et c’est un euphémisme. Force est de constater que les différentes composantes de la famille nationale sont allées à la bataille des législatives séparément. Pire : la situation de concurrence perdure, et avec elle trop souvent l’animosité qu’elle engendre presque inéluctablement. La compétition devient rivalité ; la rivalité dégénère en affrontement ; l’affrontement en hostilité, etc. Du moins avons-nous essayé, et fait ce que nous pensions devoir faire. Je crois qu’il faut persévérer sans se décourager.
À ma connaissance, aucun commentateur n’a relevé que l’appel à une Nouvelle République, qui serait donc la 6e, a été lancé pour la première fois, non pas par Jean-Luc Mélenchon, mais par… Bruno Mégret, alors délégué général du Front national, qui en avait convaincu ce Mouvement, l’appel à la VIe République figurant ainsi dans son programme. Mais les journalistes savaient-ils seulement que le Front national avait un programme, précis, détaillé, méticuleusement élaboré dans ses congrès, avec le concours de personnalités qualifiées dans chaque domaine? Naturellement, cela supposait un train de réformes institutionnelles, dont le scrutin proportionnel était un élément parmi d’autres. On critique ce mode de scrutin en prétendant qu’il rendrait possible, par la conjonction des extrêmes, l’instabilité politique : un gouvernement pouvant être renversé par une majorité de parlementaires, sans que ceux-ci puissent parvenir à s’entendre pour en accepter un nouveau.
Or, ce problème peut être aisément résolu : il suffirait de modifier légèrement notre Constitution pour instaurer, au lieu de la simple « motion de censure », une motion de « défiance constructive » telle qu’elle existe dans la Constitution allemande, laquelle ne permet au Bundestag de renverser un gouvernement que s’il propose au Chef de l’État le nom d’un nouveau Chancelier. C’est d’ailleurs ce qui a prévalu peu ou prou dans nos régions quand les conseils régionaux étaient élus au suffrage proportionnel : en cas d’impossibilité de vote du budget, la loi permettait au président de la région d’envoyer son projet à tous les élus en leur laissant 15 jours pour s’entendre sur un contre-projet et le nom de son successeur ; faute de quoi, son projet était réputé adopté. Grâce à de telles dispositions, aucune instabilité n’a affecté à cette époque les régions.
Parmi les autres réformes institutionnelles souhaitables, je mentionnerai le plus large recours au référendum, notamment par la possibilité d’en provoquer par initiative citoyenne. Je pense aussi à la diminution du nombre très excessif d’échelons d’administration dans notre pays, etc. Il y a des réformes institutionnelles à faire sans changer nécessairement de République.
Interrogeons-nous sur les conditions dans lesquelles se déroulent les élections dans l’univers « post-moderne ». Ne faut-il pas pointer le rôle des différents acteurs de la politique spectacle, celui des médias prompts à fabriquer de toutes pièces des émotions collectives – par exemple sur l’Ukraine – qui ont notablement influencé les électeurs ? Autrement dit, « débat électoral » a-t-il encore son sens ?
Il devrait avoir un sens, assurément. Curieusement, ce qui manque le plus en l’occurrence c’est une connaissance élémentaire des institutions, qui s’acquérait autrefois dans les cours d’instruction civique, du temps où cet enseignement existait. Je suis frappé par le fait que les électeurs paraissent attendre beaucoup plus du Président de la République que ce que l’on attendait autrefois du roi, même à l’époque de la monarchie prétendue absolue. On a assisté, à l’occasion de l’élection présidentielle, à un véritable concours de catalogue de mesures diverses destinées, en gros, à améliorer la vie des Français, c’est-à-dire à garnir un peu plus leur porte-monnaie. Non que les questions liées au niveau de vie soient mineures, mais enfin, où est le débat sur l’avenir de notre civilisation ? Sur les grandes questions fondamentales qui la déterminent ? Sur l’explosion démographique du tiers-monde et l’implosion de nos nations européennes? Sur l’immigration incontrôlée et la dénatalité, dont la conjonction provoque ce que l’on a très justement appelé le grand remplacement ? Sur la destruction méthodique, légale, sociale, psychologique, depuis un demi-siècle, de la famille, cellule de base de la société ? Sur les enjeux géopolitiques du monde contemporain ? La plupart des questions posées ou traitées étaient, au mieux, du niveau gouvernemental. On oublie que le Président de la République assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des institutions, qu’il négocie et ratifie les traités et qu’il est le chef des armées. Point final. Il n’est pas ce démiurge apte à résoudre tous les problèmes, à donner satisfaction à tout le monde, à garnir le panier de la ménagère, etc.
Non seulement les États modernes, notamment ceux de l’UE, ont tant perdu de souveraineté qu’ils ne sont plus que des ombres d’État, soumis à des influences publiques (UE, OTAN) ou privées (McKinsey, BigPharma, Gafam) dont on dirait qu’elles sont plus fortes que les États, en tous les cas que la volonté populaire ?
Vous avez parfaitement raison. Et ceux qui protestent contre cette situation sont nommés «populistes», ce qui paraît être l’injure suprême. Je me tue à dire depuis longtemps que le débat entre fédération et confédération européenne est largement dépassé. Je vois encore mes amis politiques qui protestent contre la mise en place d’une Europe fédérale. Mais cette Europe n’est pas du tout fédérale ! Ce n’est pas une Europe fédérale qui se met en place, c’est un super-État euro-mondialiste totalement centralisé. Dans un État fédéral comme les États-Unis d’Amérique, vous avez de grandes différences d’un État à l’autre : la plupart ont un système juridique anglo-saxon de common law ; mais la Louisiane a conservé son système de code civil d’inspiration napoléonienne. Il y a des États où la peine de mort existe ; d’autres où elle a été abolie. Des États où l’avortement est pratiqué ; d’autres non. Des États comme le Nevada qui font leur miel des jeux de hasard ; et d’autres où ils sont interdits, etc. De telles différences n’ont déjà plus cours dans l’Union Européenne. Il suffit d’observer une seule session d’une semaine du Parlement européen à Strasbourg pour voir que l’Union se mêle de tous les aspects politiques, économiques, sociaux, culturels, moraux, … sexuels, concernant la vie de près de cinq cent millions d’Européens. Sans compter la séance du jeudi, où, sous prétexte de défense des droits de l’homme, on joue à l’O.N.U. et l’on envoie au monde entier des recommandations, qui vont aussi bien des droits de l’opposition au Burkina Faso jusqu’à la condition féminine en Mongolie extérieure…
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