Paul-Marie Coûteaux – Cher Eric Zemmour, nous sommes ici dans les studios de TV Libertés, où nous préparons la première émission, Nouveaux Conservateurs, que nous accordent son président, Philippe Millau et son directeur, Martial Bild. Le texte qui suit figurera dans cette première émission mise en ligne en septembre. Occasion de vous remercier pour le concours que vous apportez avec constance au Nouveau Conservateur, au premier numéro duquel vous aviez déjà donné un entretien, comme vous le faites derechef à notre présent dossier, dont le thème est vôtre depuis longtemps : l’immigration de masse et la déculturation générale, elle aussi « de masse ». Commençons par une question préalable : pensez-vous qu’il y ait de la place en France pour une revue, et même pour une revue de droite ?
Eric Zemmour – Si j’ai bien compris, toutes les revues souffrent en ce moment ; il se pourrait qu’elles n’aient plus beaucoup d’espace. La grande revue « rive gauche », Le Débat, a mis l’an dernier la clef sous la porte…
PMC – … Peut-être parce qu’elle est intellectuellement dépassée ?
E. Z. – Peut-être. Il y a sans doute aussi la baisse du niveau intellectuel, et l’effacement progressif du « public cultivé », dont le rôle fut toujours très important en France : ce fut, depuis la Renaissance, le terreau d’une intense activité éditoriale – je songe aux revues qui ont jalonné notre histoire depuis plus de trois siècles. Je considère en tous cas qu’elles sont indispensables pour réfléchir et, chose nécessaire par-dessus tout, pour « élever le niveau ».
PMC – En 1818, le premier numéro de la revue Le Conservateurfut tiré à 3 500 exemplaires : Le Nouveau Conservateur tire déjà, pour son quatrième numéro, à 4 200 exemplaires : preuve que « le niveau » ne baisse finalement pas tant que cela !
E. Z. – Je vous rappelle que les Français étaient alors 28 millions et non pas 66 millions, comme ils le sont aujourd’hui…
PMC – Bon, accordons ce point. Mais alors comment expliquer ce reflux du niveau intellectuel, comme vous dites ? Et comment expliquer particulièrement l’indigence, et même la paresse intellectuelle de la droite depuis au moins quarante ans… ?
E. Z. – Deux choses. Un : la droite a toujours été, d’une certaine façon, une ancienne gauche. Je ne vais pas vous refaire l’histoire du sinistrisme : tout le monde s’aligne sur les idées nouvelles, et finalement sur la gauche. La gauche réfléchit et la droite adapte la politique à la réflexion de la gauche. C’est une sorte de traîne séculaire qui est même antérieure à la Révolution. Je situerais cette bascule au renvoi des Jésuites par Louis XV (en 1764 – ndlr), et l’hégémonie culturelle que prennent alors Voltaire et les siens. On croit toujours que ces philosophes des Lumières étaient des opposants, mais en vérité ce sont eux qui ont le véritable pouvoir culturel, et qui d’une certaine façon l’ont gardé depuis deux siècles et demi !
Et puis, le deuxième péché de la droite – y compris du gaullisme, à certains égards -, c’est l’économisme, et un certain désintérêt pour le débat intellectuel, voire « idéologique ». Même de Gaulle a abandonné en son temps aux communismes l’Éducation nationale, les universités et la télévision – à l’exception de l’information, certes, mais les communistes régnaient sur une bonne partie des programmes. Car, contrairement à la légende, cette dernière n’était pas sous domination gaullienne ; les gaullistes ne contrôlaient que le journal. Les films, les documentaires, les feuilletons, tout le reste était sous l’influence des communistes. Communistes, certes, mais patriotes ! Cela donnait tout de même une télévision magnifique. Il reste que, et c’est incontestable, nous avions perdu l’hégémonie culturelle.
Lisez la suite dans le Numéro 4 / Eté 2021