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En politique, la bataille des mots

Par Roland Hureaux

Dès lors qu’une bataille politique revêt une dimension idéologique – c’est aujourd’hui presque toujours le cas -, rien n’importe plus que la bataille des mots. Confucius (551-479 avant J-C) l’avait dit, en se plaçant du côté du pouvoir : « Si j’étais chargé de gouverner, je commencerais par rétablir le sens des mots». Nous savons comment la réforme de l’Etat entreprise par Richelieu coïncida avec la mise en ordre du vocabulaire et de la grammaire par Malherbe et Vaugelas. Plus près nous, George Orwell montra dans son admirable 1984, tellement d’actualité, comment la dictature va avec le contrôle des mots et, pire, avec l’imposition d’un sens mensonger ou contradictoire : « la guerre, c’est la paix, etc… », « la liberté, c’est la servitude » etc. Il en conclut : « A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. » Supercherie universelle, n’y sommes-nous pas ? Albert Camus dit au même moment : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Soljenitsyne se contentait de demander de ne pas mentir pour ne jamais se rendre complice des mensonges officiels. C’est déjà beaucoup. Roland Hureaux, historien, essayiste, auteur notamment de « Les hauteurs béantes de l’Europe » (F-X. de Guibert, 2007) et de « Jésus de Nazareth, roi des Juifs » (DDB , 2021), membre du comité de rédaction de la revue Commentaire, entreprend pour Le Nouveau Conservateur une série d’articles sur cette arme de guerre, les mots. Il en expose ici la conception générale.

La justesse des mots n’est pas seulement un moyen, comme le dit Confucius il y a vingt-cinq siècles, de redresser un pays – et Dieu sait que nous en avons besoin. C’est aussi une arme de combat. L’arme de combat propre au faible. La seule qu’on ne peut pas lui enlever. Quand vous vous battez à mains nues, que vous êtes en situation d’impuissance, comme ceux qui tentent de résister aujourd’hui à la chape de plomb du mondialisme, bien nommer les choses est une arme incomparable et il ne faut pas des centaines de divisions pour la mettre en œuvre. Elle a l’efficacité du Verbe. Dans la bataille idéologique (quelle autre guerre menons-nous sinon contre des idéologies ?), ou plus précisément contre les idéologies multiformes qui ont envahi de tous côtés le champ social et politique, la question n’est plus la gauche ou la droite, elle est pour ou contre l’idéologie. Or l’idéologie est intrinsèquement mensongère : non seulement elle tente d’imposer sa langue mais cette langue est par essence menteuse. Si nous étions portés à l’ironie – mais le sujet est si sérieux ! – nous dirions que c’est sans doute parce qu’elle se sent en position de force face à ses ennemis que la droite nationale se sert si mal des mots… Trêve de plaisanterie : de son insigne maladresse, nous donnerons quelques exemples – mais il y en aurait tant.

Vraie et fausse Europe

L’Europe : « nous, les Européens », disent nos adversaires, « je suis antieuropéen », répondent certains de nos amis. Mais, grands dieux, sur quel continent vivez-vous si vous n’êtes pas européen ? L’Europe de toujours, l’Europe vivante et si riche de son admirable diversité culturelle, politique, linguistique, vous la reniez donc ? Non, c’est sans doute à l’Europe de Bruxelles que vous pensez. Mais qu’à donc à voir cette bureaucratie, grise, délavée, sèche et néanmoins oppressive, avec les vingt siècles de notre admirable culture européenne. La laideur grandiloquente des immeubles de Bruxelles ou de Strasbourg parle d’elle-même. De l’Europe charnelle ne serait-elle pas, plutôt que l’expression, la contradiction, voire le cancer ? Sa politique démographique et migratoire vise à la propre destruction de sa population. Sa politique culturelle vise à en gommer toutes les différences au bénéfice d’une culture anglo-saxonne au rabais. Au rabais : lisez un rapport de Bruxelles (ou de l’ONU ou du Forum de Davos) en anglais, comme ils le sont tous désormais, et demandez-vous si c’est encore de l’anglais, la langue qui, avec le français, a porté la plus riche littérature du monde ? Non, il ne faut jamais être contre l’Europe tout court, mais préciser chaque fois de quelle Europe il s’agit : l’Europe de Bruxelles, la bureaucratie européenne, à la rigueur la Commission européenne. Ne jamais laisser ces gens dire qu’ils sont l’Europe. Dès lors, comment la qualifier ? Ce n’est pas sans agacement que l’on voit les souverainistes (autre nom peu inspiré, il faudra y revenir) dénoncer comme des perroquets l’Europe fédérale, l’Europe fédérale. Double erreur. D’abord parce que ce mot est faux : rien de commun entre les institutions européennes (ou plutôt -istes comme triste) qui prescrivent jusqu’à la taille des boites de petits pois et une vraie fédération. Jacques Delors, qui n’est pourtant pas notre maître à penser, disait que l’Europe, la sienne, était « un objet politique non identifié ». Erreur ensuite parce que le mot fédéral est, qu’on le veuille ou non, valorisant : fédérer, c’est unir, rapprocher, favoriser l’amitié entre les peuples. Le général de Gaulle qui savait, lui, le poids des mots, ne l’appelait jamais fédérale, mais supranationale : ça vous a un air de char d’assaut qui écrase tout sur son passage et qui n’a rien de sympathique. Et c’est bien de cela qu’il s’agit.
L’Europe est centraliste et comment en irait-il autrement ? Jean-Jacques Rousseau pensait que plus une entité politique est étendue, plus elle doit être centralisée ou despotique. Il faut dire l’Europe centraliste ou unitaire. En son temps comme au notre, y a-t-il d’autre vraie fédération que la Suisse ? D’où l’imposture, qu’il ne faut cesser de dénoncer, de ceux qui se disent « libéral et européen » : c’est un oxymore.
Je suggère d’aller plus loin et de ne jamais parler que de l’« euromondialisme». De plus en plus, les instances dites européennes s’alignent sur tous les sujets sur les positions des organisations « globales » : l’OMC pour le commerce, l’OMS pour la santé, la BRI pour les finances, l’OTAN pour la guerre et la diplomatie, l’OCDE pour l’éducation. D’une certaine manière, l’Europe de Bruxelles n’existe plus. Elle n’est qu’un rouage exécutif d‘une machinerie mondiale. Monnet l’avait d’ailleurs prévu ainsi.

Retrouvez la suite de cet article de Roland Hureaux dans le numéro cinq du Nouveau Conservateur

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