par Paul-Marie Coûteaux
En 2019, pour Valeurs actuelles, Paul-Marie Coûteaux évoquait, avec un certain talent de prémonition, l’avenir du personnage Mélenchon… Un portrait qui dévoile bien des roueries.
De longue date, M. Mélenchon m’intrigue, avec ses séductions (il est bel orateur, du moins quand il est en verve), ses emportements souvent infantiles et le long chapelet de ses détestations. Si sa « Grande Marche » du 10 novembre « contre l’islamophobie » n’a pas réuni l’affluence qu’il escomptait, il parvint à afficher sur les premiers rangs une telle diversité de familles qu’il s’est replacé au centre cardinal de la Gauche – de la Ligue des Droits de l’Homme à la nébuleuse islamo-gauchiste au grand complet, en passant par les Communistes (PCF et CGT) et quelques écologistes de haute volée, la palette fut large. Toutes ces forces, désormais augmentées d’un vote « immigré » qui monte peu à peu en puissance, ont trouvé leur héraut, de sorte que, après un passage à vide, M. Mélenchon pourrait être derechef un candidat majeur de la présidentielle de 2022. Il est donc temps de savoir qui il est.
L’homme du Sud
Quand je l’ai rencontré, il y a de nombreuses années, ce petit homme, basané et volubile, trapu comme un dogue me fit un effet saisissant : chacun de ses propos trahissait une haine pour ainsi dire instinctive pour tout ce qui n’était pas le « Progrès », la « Gauche » (au point d’avoir exclu un candidat France Insoumise à Périgueux qui avait eu le malheur de prendre un verre en public avec un candidat UMP), et plus largement pour tout ce qui rappelle la civilisation française traditionnelle (jusqu’au type physique, puisqu’il déclara un jour « ne pas pouvoir supporter de vivre au milieu de blonds » -« francophobie » d’un nouveau genre et racisme pur, impuni mais inquiétant) ; par-dessus tout, il déteste «l’Ancien Régime» auquel ce Franc-Maçon revendiqué oppose une conception de la République opposée à son sens traditionnel, mais qui fait grande impression.
La France des terroirs, « venue du fond des âges » n’est pas celle de M. Mélenchon, homme des villes, de la mer et de l’Outre-mer, et il significatif que, lorsqu’il entra dans la section française de la IVè internationale, la trotskyste, et dut trouver un nom de guerre, il choisit celui de « Santerre »… Sans terre ? Si : le Sud. Député de Marseille, il est né à Rabat de parents pieds-noirs, l’un et l’autre d’origine latine (trois grands parents espagnols, une grand-mère sicilienne) il aime le soleil, la Méditerranée dont il veut faire la matrice d’une nouvelle diplomatie tournant le dos à l’Europe Blanche » tant honnie, ainsi qu’une Amérique latine qu’il verrait volontiers, immigration aidant, submerger « l’Empire anglo-saxon » non moins honni. Il aime « le Che », Fidel Castro, Evo Morales et le Commandant Chavez et sans doute est-il significatif que ce fut lors d’une soirée de l’Argentine à Paris, parmi les siens en somme, qu’il ait lâché (en 2010, bien avant que le « gender » ait enflammé les cerveaux ), que chaque individu devait avoir le choix de son genre, être homme ou femme selon sa volonté personnelle, ce qu’il qualifia de « percée humaine inouïe » -très tôt, M. Mélenchon mit d’ailleurs à son tableau de chasse les sectes LGBT ; lors de l’adoption du PACS en 1999, il put se targuer d’en être le l’initiateur, puisqu’il fut le premier parlementaire à déposer, en 1990, un « contrat de partenariat civil » qu’il entendait déjà substituer au mariage…
Le révolutionnaire
En somme, M. Mélenchon est précieux : « homme de gauche » complet et même archétypal, il révèle ce qu’est la gauche en ses plus profonds ressors : un athéisme et un existentialisme imparable pour qui rien n’est durable et encore moins permanent, tout doit être contesté et changé, à commencer par les traditions de la civilisation chrétienne, essentialiste, installée dans le temps long. Il rappelle ainsi ce qu’est un Républicain –un vrai, celui des origines, qui ne peut supporter la Vème République qu’il juge monarchiste, pour lui substituer une VIè République qui pourrait bien ressembler à une nouvelle Convention. Quand il lance devant les policiers venus perquisitionner à son domicile, « La République, c’est moi ! », on croirait Danton ; très tôt, cet admirateur de la Révolution française en toutes ses époques s’engage à l’extrême-gauche, chez les trotskystes de la tendance la plus dure, la lambertiste, du nom de Pierre Lambert, nom de guerre de Pierre Boussel, vieille figure de l’extrémisme dont, depuis les années 30, la carrière et les compromissions préfigurent es attachements de son émule.
Il faudrait pouvoir s’étendre sur ce Boussel / Lambert qu’a bien connu M. Mélenchon, qui fut dans sa jeunesse l’un des responsables de son parti, l’OCI, et qui lui voua une admiration comparable à celle qu’il éprouvera ensuite pour François Mitterrand. Né en 1920, mort en 2008, ce Boussel eut un parcours saisissant. Entré à 15 ans au Parti communiste dont il est vite exclu, il fait un passage par la SFIO avant d’adhérer à la IVè Internationale et de prôner tout au long de la guerre « le défaitisme révolutionnaire», allant du sabotage des usines d’armement en 1939 et 1940 à des opérations psychologiques visant à décourager les résistants (« derrière un soldat allemand se cache un travailleur »). Son organisation est proche du parti collabo-socialiste de Marcel Déat : l’exemple même de ce que les communistes nomment les « hitléro-trotskyste ».
Pour eux, tout fait balle , le nazisme autrefois comme l’islamisme aujourd’hui, contre « l’ordre bourgeois » (ainsi nomment-ils quinze siècles d’une civilisation chrétienne dont ils veulent tout ignorer), au point de justifier jusqu’en 1944 un « internationalisme » qui verse souvent dans la Collaboration. Notons au passage que le raisonnement est le même pour la plupart des mouvements et autorités islamiques de l’époque, qui se firent souvent les alliés des forces de l’Axe –n’oublions pas que la plupart des chefs indépendantistes du monde arabe, ceux des pays du Maghreb notamment, sont entrés dans la Collaboration, quelquefois activement, au nom du vieux principe selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mais amis » (voir Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah. Sindbad, 2009 ; et le passionnant ouvrage de Roger Faligot et Rémi Kaufer, Le Croissant et la Croix gammée – les secrets de l’alliance entre l’Islam et le nazisme d’Hitler à nos jours, Albin Michel, 1990). De sorte que l’islamo-gauchisme, qui reprit corps pendant la guerre d’Algérie, est déjà une très vieille histoire, forgée par un commun esprit de revanche contre la France ou l’Europe chrétienne et ce qu’elles peuvent incarner. Trotskystes et islamistes n’ont pas le même idéal, certes, mais ils ont le même adversaire, et ce lien est puissant -tant il est vrai que la haine, la jalousie, la joie de détruire ou simplement l’esprit de revanche sont, quand ils enflamment les cœurs, les plus violents de sentiments humains.
Le Politique
Revenons un instant à Boussel / Lambert. Après la guerre, il milite à la CGT, puis à FO, avant de soutenir François Mitterrand, d’en être déçu et de créer ce qui deviendra, après bien des scissions et des étiquettes éphémères caractéristiques de l’étrange longévité du « lambertisme », le « Parti des Travailleurs ». C’est là que les chemins divergent : Mélenchon, qui fut cinq ans durant un militant important de l’OCI (notamment son responsable en Franche-Comté), rejoint en 1976 un Parti Socialiste alors en pleine montée de sève, et y fait vite carrière en jouant à la fois de sa radicalité (pas au point de critiquer le traité de Maëstricht, prudence…), et de ses amitiés multiples, notamment à « la Libre Pensée » et dans les milieux maçonniques. Le voici jeune sénateur – à 35 ans. C’est que ce révolutionnaire parfait est aussi un politique, qui sait fort bien mener sa barque et ne dédaigne pas l’argent : en 1998, alors conseiller général de l’Essonne, ce « cumulard » fut épinglé pour avoir commandé des cartes de vœux si luxueuses que le coût approchait 94.000 francs de l’époque (18.500 euros) ; lors de la présidentielle de 2017, il était le plus riche de tous les candidats ( très loin de François Fillon…) grâce à de judicieux placements immobiliers.
Rusé, l’homme l’est diablement, au point de multiplier les facettes qui sont autant de facettes d’une gauche qu’il semble synthétiser en sa seule personne. Ce n’est pas un hasard si le parti qu’il crée en quittant le PS, en 2008, se nomme le « Parti de Gauche ». Trotskyste, gauchiste, socialiste, républicain, allié des communistes, dont il achève d’absorber presque tout ce que Mitterrand en laissa, il sait aussi prendre le virage écologiste au point de s’allier en 2014 avec Cécile Duflot et de changer, pour faire bon poids, ses habitudes alimentaires – «Je mange très peu de viande », proclame-t-il depuis que la chose est devenue un argument électoral. A sa couronne, il ajoute un dernier joyau, l’électorat islamique, proclamant sans sourciller : « Il n’y a pas d’avenir pour la France en dehors des Arabes et des Berbères ! ». Sans doute est-ce cet étonnant syncrétisme qui lui permit d’accrocher, en avril 2017, le score inattendu de 19,5% des voix, et d’arriver en tête dans plusieurs villes de la banlieue parisienne, ainsi qu’à Marseille, et dans plusieurs départements (Seine-Saint Denis, Martinique, Guyane, Réunion et… Dordogne).
On aurait tort de croire que M. Mélenchon s’est marginalisé en organisant sa marche contre l’islamophobie, comme le disent, inquiets, des dirigeants socialistes comprenant enfin qu’ils se sont bel et bien fait « voler le feu ». Au contraire, en incarnant tant de gauches, flanquées du grand renfort islamique, cet homme rusé, dont l’âge ( 71 ans en 2022) lui impose de jouer son va-tout lors de la prochaine présidentielle, pourrait bien dépasser cette fois les 20% et peut-être au-delà, après quoi tout deviendra possible. C’est dire si, pour la France, l’heure est grave : en face de la conjonction, implicite certes, mais non moins dangereuse pour autant, des variantes de la destruction que sont l’islamo-gauchisme et le libéral-mondialisme, il serait temps, pour les forces de la conservation (« la droite »), de sortir de ses infantiles querelles de chapelles et de s’unir enfin autour du seul mot d’ordre qu’imposent les circonstances : conserver, préserver, protéger la civilisation française, l’Etat qui la sert, et la Nation qui l’incarne sur la scène du monde.
Paul-Marie Coûteaux