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Ukraine : la guerre médiatique vue de Moscou et Washington, par François Martin

par François Martin, en partenariat avec le Courrier des Stratèges

La guerre ukrainienne actuelle comprend bien évidemment un volet médiatique, essentiel et dûment préparé, comme dans toutes les guerres, par chacun des belligérants. Il est profondément différent entre le camp russe et le camp ukraino-euro-américain, et il est très intéressant de les comparer.

On a tendance à répéter trop facilement, parce qu’il dispose de plus de moyens et pratique allègrement le « carpet bombing » (1) médiatique, que le camp occidental a gagné depuis longtemps la guerre médiatique contre les Russes. Comme pour beaucoup d’analyses actuelles, cela relève de la courte vue et même de la bêtise (2), tant il est vrai que, dans le cas médiatique comme dans les autres, l’important, ce n’est pas de savoir si la campagne est intense, mais si elle atteint ses buts de guerre, c’est-à-dire si elle convainc ceux qu’elle est censée convaincre. Comme le disait l’oncle de Boris Vian dans la célèbre « saga des bombes atomiques » : « ça fait des mois et des années que j’essaye d’augmenter la portée de ma bombe, et je n’me suis pas rendu compte que la seule chose qui compte, c’est l’endroit où c’qu’elle tombe » (3). Si la « bombe médiatique » est énorme, mais qu’elle ne tombe pas à un endroit qui fait des dégâts pour l’adversaire, les efforts, même colossaux, ne servent à rien. Examinons les choses :

Dans le camp occidental, qui comprend globalement trois acteurs, les USA, l’Europe et l’Ukraine, remarquons d’abord qu’il n’y a que deux « créateurs » médiatiques, les USA et l’Ukraine (à travers, il faut le reconnaître, son très talentueux (4) et très prolixe Président). Les USA comme l’Ukraine produisent, chacun, leur « musique » propre (5). L’Europe ne semble être qu’un relais, tant il est vrai qu’elle ne « crée » aucun discours spécifique, mais qu’elle ne fait que reprendre, en les amplifiant, les systématisant et les hystérisant, les thématiques des deux autres acteurs. Même si ce serait une question intéressante, ce n’est pas l’objet ici de se demander pourquoi.

Quels sont les buts de guerre médiatique du camp occidental ? Il semble qu’il y en ait trois :

L’un consiste, essentiellement, à « mettre la pression » sur l’opinion européenne. En effet, les américains s’étant mis, comme dans la plupart de leurs guerres, « en arrière de la main », il est fondamental que les européens, qui constituent la « chair à canon » de ce conflit, sur le plan économique (avec les dépenses et les sanctions), politique (avec la fracture géopolitique euro-russe très traumatisante) et demain, peut-être, militaire (si d’aventure la guerre déborde des frontières de l’Ukraine, et que nos soldats y sont engagés), soient prêts à accepter leur funeste sort et, si possible même, à le revendiquer… La terrifiante perspective du réveil brutal de l’ogre russe, agitée bien avant le début du conflit, les pauvres petites mamies fuyant les bombes autour de Kiev dès les premiers jours, leur passage épuisé, avec leurs enfants, aux frontières polonaises, les massacres de Butcha ou de la gare de Kramatorsk, le spectacle de Marioupol dévasté, le « déluge de feu » mis en scène sur les « pauvres et valeureux combattants » ukrainiens dans les tranchées du Donbass, n’ont pas d’autre but que de faire pleurer les européens sur le sort de l’Ukraine, d’alimenter leur « sens du sacrifice », jusqu’au suicide éventuellement, et de combler le fossé qui peut les séparer de leurs dirigeants, alors que, Edouard Husson l’a récemment rappelé, l’Europe a déjà dépensé, dans cette affaire, près de 750 Milliards d’Euros (6), une somme gigantesque, et une décision que n’a avalisée aucun peuple européen…. C’est évidemment le zélé Zelensly qui est chargé d’assurer, pour le compte de son commanditaire américain, la « promo » de cette « assurance dépense », et il le fait, jusqu’ici, extrêmement bien. Dommage que les opinions fassent un tel héros de celui qui leur « fait les poches » en permanence. Il ne fait pourtant, en plus « grandiose », il est vrai, que ce que font certains mendiants « professionnels » aux carrefours de nos rues : toujouts plus de compassion, toujours plus de dons…

De même, tout autant qu’il faut montrer que « l’Ukraine est une victime », il faut aussi montrer que « la Russie est un monstre » et que « Poutine est un salaud » (ou l’inverse). Cette stratégie était montée, il faut le dire, de longue main, puisque, dès 2014, l’un des objectifs stratégiques fixés au gouvernement de transition nommé par Victoria Nuland consistait à « pousser la Russie au conflit armé ». Parallèlement, et pour éviter de se demander si par hasard les USA auraient pu être les instigateurs véritables d’une telle politique (allons donc !), il était indispensable de diaboliser la Russie, Poutine, les russes, ainsi que les russophiles et russophones d’Ukraine. D’où l’interdiction du russe, le « harcèlement social » infligé aux populations incriminées, même en-dehors du Donbass, la création, de toutes pièces, en Ukraine même, d’un sentiment anti-russe « primaire et viscéral », tout cela orchestré par les polices néo-nazies, spécifiquement créées pour ce rôle de contrôle social. Cette stratégie a été parfaitement déclinée sur le plan militaire, avec une organisation extrêmement défensive (plutôt qu’offensive), et axée sur l’utilisation, très « novatrice » et particulièrement cynique, des populations civiles comme boucliers humains (7).

En effet, on constate que, systématiquement, les « défenseurs » ukrainiens, et les néo-nazis en particulier, choisissent, comme QG ou comme points de fixation de leurs défenses, de préférence des villles, et dans ces villes des maternités, des hôpitaux, des écoles, des jardins d’enfants, des églises ou des monastères (8). De même, au lieu de se poster si possible à la périphérie des dites villes, pour épargner les populations, ils occupent systématiquement les centres et les immeubles civils, ce qui oblige les russes à les détruire un à un. Des témoignages de Marioupol ont confirmé, par exemple, que des snipers ukrainiens (souvent des femmes) avaient pour habitude de se poster, pour tirer sur les soldats russes ou tchétchènes arrivants, aux balcons des immeubles, après avoir obligé les habitants, pour se masquer, à se mettre devant eux, pour rendre la riposte plus difficile ou plus sanglante. De même, des personnes civiles sortant enfin, après la reddition complète, de l’usine d’Azovstal, ont expliqué (9) qu’on les avait obligées à suivre les soldats dans les dédales des sous-sols (10), puis qu’on leur avait caché l’existence des couloirs humanitaires pourtant négociés, puis qu’on leur avait interdit de sortir.

De nombreux habitants de ces régions, voyant le peu de cas que l’on faisait d’eux, et leur utilisation comme otages ou boucliers, en ont retiré récemment une grande animosité contre leur propre gouvernement. Cela n’est pas médiatisé, mais seulement les « dégâts » causés par les russes. Cela sert la propagande occidentale, mais cela dessert profondément l’image interne du gouvernement. Il faut dire qu’il n’a pas grand chose à faire de cette image, surtout dans cette région de son pays dont il méprise profondément les populations. Il est vrai que pour Zelensky, son image internationale est beaucoup plus importante, puisque c’est là qu’il a ses intérêts et, pense-t-il, son avenir (11).

Tout cela procède d’une stratégie ukraino-américaine délibérée. Il s’agit bien, pour le gouvernement de l’Ukraine, de pousser sa propre population au massacre pour pouvoir mieux accuser les russes. Si l’on en doutait, le récent épisode de la centrale nucléaire de Zaporijja suffirait à le prouver. Se trouvant en territoire contrôlé par les russes, l’AIEA (12) a informé le pouvoir kievien qu’elle nécessitait un contrôle urgent. Ce dernier a refusé, arguant du fait qu’elle se trouvait en territoire ennemi, ce à quoi l’AIEA a répondu que Kiev n’avait pas à s’opposer à un tel contrôle, qui aurait lieu de toute façon. Pourquoi les ukrainiens ont-ils fait une telle réponse, alors même qu’elle mettait leur population en danger ? La seule explication logique est qu’ils spéculaient sur la possibilité d’un accident nucléaire, parce que celui-ci aurait été un formidable prétexte pour accuser les russes, même au risque de contaminer des millions d’ukrainiens. Il existe de multiples exemples qui prouvent l’existence de cette stratégie.

Le deuxième volet de la communication occidentale consiste à tenter d’isoler Vladimir Poutine de sa propre population. De là, des insinuations sur son état de santé supposément délabré, sur son état mental supposément dérangé, ou sur son supposé isolement politique. Tout cela, on le remarquera, se fait à coup de « révélations » sans aucune confirmation. De toute façon, on peut bien penser que si Poutine est malade, c’est le secret le mieux gardé de toute la Russie, et si des personnes de son entourage proche pensent qu’il est fou, il est peu probable qu’ils se risquent à le dévoiler à qui que ce soit. De plus, la conduite de la guerre, extrêmement bien maîtrisée sur tous ses plans, pour le moment, par les Russes, nous oblige à reconnaître qu’on n’y voit pas la marque d’un pouvoir affaibli, bien au contraire, à la différence de l’occident, où l’évidence apparaît toujours plus grande comme quoi Biden est totalement débordé par ses lobbies et ses « néocons », et où on se demande si aucun pays européen, mis à part la Hongrie, dispose encore d’un gouvernement capable de prendre ses propres décisions…

Le troisième volet consiste, pour l’Occident, à isoler la Russie sur le plan international, afin que les pays tiers valident les sanctions prises sous l’égide des américans (mais qui, eux, ne les appliquent pas…). Lorsque l’on veut organiser un blocus, il est en effet essentiel, pour qu’il soit efficace, qu’il soit partagé par tous ou presque. Si « l’isolé » ne l’est que par moi-même et quelques autres, et qu’il reste libre de commercer avec le plus grand nombre, il est facilement compréhensible qu’au final, l’isolé, c’est moi, puisque je m’interdis les relations commerciales avec mon « ennemi » qui, lui, continue à travailler avec tout le monde ou presque. En organisant un tel blocus, je fais ainsi plus de place aux autres, et je suis le perdant de la manœuvre (13).

Nous avons vu que si la « musique » de la communication occidentale (en y incluant les « solos » du président ukrainien) est puissante, elle est pourtant très « monocorde », puisqu’elle ne joue pratiquement que sur deux accords : « Les ukrainiens sont des victimes » et « les russes sont très méchants ». Cela suffit-il à atteindre les objectifs définis ?

  • sur le plan du contrôle de l’opinion européenne, pour le moment, c’est indéniable. Depuis le début du conflit et même avant, les médias, dans leur grande majorité, s’étaient alignés sur ce « verbatim » américain, défini de longue main, comme nous l’avons vu. Les quelques opposants, analystes ou intellectuels courageux, ont été réduits au silence, interdits de plateaux TV ou violemment critiqués. Il ne semble pas que, pour l’instant, ni les opinions ni les représentants des oppositions ne se soient levés en masse pour attaquer avec force les choix des dirigeants ou ceux de la Commission européenne, malgré l’énormité des coûts et des dangers induits par cette stratégie de co-belligérance assumée.
  • On peut pourtant penser que cette même opinion risque fort de basculer à un certain moment. En effet, si comme nous le pensons, la Russie gagne bientôt la bataille du Donbass, en écrasant ce qui reste des forces combattantes ukrainiennes, certains ne manqueront pas de se demander « à quoi ça sert» de continuer à alimenter toute cette affaire. D’autant que, telle un boa constrictor, la partie russe, sans en rajouter, nous laisse nous étrangler nous-mêmes, peu à peu, avec nos propres sanctions. Lorsque, demain, les faillites vont monter en flèche, que les ménages ne parviendront plus à boucler leurs budgets avec le coût de l’énergie, les pénuries et l’inflation, la « belle amitié » pour le peuple ukrainien et la « belle indignation » vis-à-vis du peuple russe peuvent fortement se fissurer face au mur des réalités quotidiennes. C’est ce sur quoi compte, à l’évidence, le pouvoir russe, coutumier de ce type de stratégie (14), et qui s’est bien gardé, jusqu’ici, de « désespérer l’Europe », comme il aurait pu facilement le faire, par exemple, en nous coupant le gaz, auquel cas l’industrie allemande toute entière se serait effondrée en quelques jours. C’était certainement l’erreur à ne pas commettre, et Poutine ne l’a pas commise. Patiemment, il attend. Si pour le moment, « ça passe encore », on peut dire que, dans presque tous les pays européens, « le char de l’Etat navigue sur un volcan » (15). Combien de temps avant l’explosion ?
  • Pour ce qui est du deuxième volet, l’isolement de Poutine vis-à-vis de son opinion, on peut dire que c’est bien raté. Sa popularité, aujourd’hui, avoisine les 80%. Mis à part ses oligarques (16), pour le reste de sa population, il semble qu’elle ait parfaitement compris le rique existentiel que faisait courir pour la Russie, depuis 1991, l’expansionnisme américain, et la limite infranchissable à laquelle il était parvenu. De plus, il faut bien mal connaître le peuple russe pour penser que l’isolement, les sanctions et l’ostracisme auraient pu l’éloigner de son dirigeant. Bien au contraire, la politique médiatique occidentale, sans que Poutine ait eu besoin d’y rajouter grand chose, a profondément resserré les liens entre l’opinion russe et lui.
  • sur le troisième plan, celui de l’isolement de la Russie sur le plan international, cette stratégie médiatique monocorde et monomaniaque est également, pour le camp occidental, un cuisant échec. En effet, la Chine, l’Inde, les pays du Golfe, l’Afrique même, se fichent comme d’une guigne qu’on leur dise que « l‘Ukraine est gentille» et que « Poutine est méchant ». L’effet, pour eux, est même inverse. En effet, il savent trop bien lire, derrière les discours moralisateurs, les plus grosses ficelles du camelot yankee. Ils ont bien en tête les cas de l’Iran du Shah, de la Serbie, de l’Irak, du Congo, de la Libye, du Yemen, et bien d’autres cas, où les américains ont soit trahi et même « puni » leurs meilleurs alliés lorsque leurs intérêts ont changé, soit écrasé des pays sous les bombes. Ils savent que ce pays est sans pitié lorsqu’il veut obtenir quelque chose. Ils savent qu’ils n’auront droit à aucune reconnaissance s’ils s’associent à des sanctions pour une affaire qui ne les concerne pas. Ils savent enfin, et c’est bien le plus important, que les USA sont un empire vieillissant, que le monde de demain est multipolaire, et plein d’opportunités, et que c’est dans cette direction qu’il faut aller. Le fait que 80% des pays de la planète, malgré les injonctions américaines, qu’on peut supposer très pressantes, aient refusé de s’associer aux sanctions est peut-être, pour l’occident, le plus grand échec de cette guerre. Là aussi, la presse parle bien peu de ce camouflet diplomatique majeur.

On peut donc conclure de cette partie que malgré le « carpet bombing », la stratégie médiatique occidentale est un échec, puisqu’elle ne convainc, finalement (et momentanément !) que ceux qui étaient déjà convaincus, et qu’elle ne convainc nullement les autres, les russes eux-mêmes ou le reste du monde, ce qui était le plus important.

Qu’en est-il de la stratégie médiatique russe ?

Et pour la stratégie médiatique russe, qu’en est-il ?

Les buts de la guerre médiatique russe sont aussi clairs que ceux de la partie occidentale. Ils l’étaient depuis le premier jour. Il y en a principalement trois :

Le premier était de convaincre l’opinion russe du bien-fondé de l’opération. En effet, toute guerre extérieure est une manœuvre risquée, qui peut facilement emporter un régime. Les exemples de ce fait dans l’Histoire sont légion. Sur ce plan, et sans qu’il ait eu besoin de trop élever la voix, il semble que Poutine y soit parvenu sans beaucoup de difficultés. S’il en avait eues, la stratégie médiatique occidentale, mettant en scène, en permanence, l’ostracisme et l’humiliation maximale du peuple russe, de son dirigeant et de ses plus grands hommes (17) l’aurait puissamment aidé à réussir.

Le deuxième objectif est à la fois le plus simple et le plus difficile, et celui qui conditionne tout le reste, c’est celui de gagner la guerre. En effet, Poutine raisonne « à l’ancienne ». Il est persuadé qu’au final, c’est celui qui gagne le duel qui dicte ses conditions, et que pour le reste « Vae victis » (18). C’est cet état de fait, au bout du compte, que reconnaîtront les belligérants, USA en tête, les observateurs politiques des pays tiers, et même les pires adeptes du « non-dit » et de la politique de l’autruche, les européens, et au bout du compte Zelensky lui-même, qui fera, de toute façon, ce que lui dicteront ses commanditaires. Pour cette raison, Poutine « soigne » sa guerre. Que la thèse comme quoi il l’avait mal débutée, en ayant perdu beaucoup de soldats, soit vraie ou fausse, que le positionnement initial de ses troupes autour de Kiev et de Kharkiv ait été un leurre ou non, cela ne change finalement pas beaucoup les choses. L’important, c’est :

  • que le rapport de tir d’artillerie entre les ukrainiens et les russes est aujourd’hui de 1 à 10 ou de 1 à 20
  • que les russes progressent, bien que lentement, dans toutes les zones importantes
  • que les armes occidentales ont été prévues trop tard, et décidées dans la précipitation, ce qui fait que lorsqu’elles arriveront, si elles ne sont pas détruites ou revendues en chemin, il n’y aura plus d’armée ukrainienne pour les opérer
  • que l’armée ukrainienne est construite pour s’enterrer et se défendre, et pas pour manoeuvrer et attaquer. Depuis le début du conflit, elle ne l’a jamais fait.

De ces quelques éléments, on peut conclure sans trop se tromper que d’ici quelques semaines, il ne devrait plus y avoir d’armée ukrainienne. Pour le reste, les aspects diplomatiques ou économiques, la Russie s’était préparée de longue main, en se rapprochant du système de paiement chinois CIPS, concurrent du Swift, et en cultivant soigneusement ses relations avec la Chine, l’Inde, le Proche-Orient, les pays du Golfe, l’Iran, la Turquie, Israël et l’Afrique. Lorsque l’attaque occidentale est arrivée, elle a tout de suite fait long feu. Sur ce plan, la Russie a déjà gagné. Pour Poutine, le résultat sur le terrain militaire va donc tout déterminer. A partir du moment où il aura vaincu, on entrera, pense-t-il, dans un tout autre cadre politique (19)

Le troisième objectif est, pour les russes, fondamental. Sa réussite a déterminé toute la conduite de la guerre, et le « calibrage » de l’opération, avec une très petite force, de 120 ou 150.000 hommes, suffisante pour « libérer » le Donbass, et quelques territoires connexes, mais certainement pas pour conquérir un pays de 600.000 km2, plus grand que la France. Bien qu’il ait annoncé, dès le début, son intention de « démilitariser » et « dénazifier » le pays, Poutine s’est rapidement aperçu qu’il avait en face de lui, aux USA, des adversaires décidés à l’entraîner dans une guerre longue, pour le « vietnamiser » et l’affaiblir. C’est d’ailleurs conforme à ce qu’ils avaient eux-mêmes annoncé. Biden s’était exprimé sur ce point, avant même le conflit. Les chances étaient donc très faibles de parvenir à un accord international. Comment, par ailleurs, y croire, lorsque toutes les tentatives de dialogue, depuis 2003, sont restées lettre morte ?

Son objectif est donc de faire reposer la paix (si on y arrive), et du moins sa sécurité, non pas sur un accord international, qui serait vite déchiré, comme ceux de Minsk, mais sur une intégration des peuples de l’est ukrainien, Donbass et d’autres, à la Fédération de Russie. Pour cela, l’assentiment de ces peuples est essentiel. Poutine sait que, à la différence de ce que répète la propagande occidentale, les populations qu’il convoite sont très remontées contre leurs propres dirigeants, et c’est très facile à comprendre : depuis si longtemps, ils sont les oubliés des USA et de l’occident, qui ont versé des milliards aux oligarques et au gouvernement pour acheter des armes, de la formation militaire, et pour alimenter la corruption. Rien n’est allé pour le développement du pays (écoles, hôpitaux, infrastructures, entreprises, formation technique, etc…). La meilleure preuve, c’est que depuis 20 ans, les Ukrainiens qui le pouvaient se sont expatriés par millions. Ce pays si riche a été laissé à l’abandon, parce que les investisseurs américains et leurs amis oligarques n’étaient pas intéressés par le développement, mais espéraient au contraire racheter les terres et concessions minières et/ou pétrolière pour des bouchées de pain. De même, ces peuples ont vu avec quelle morgue leur gouvernement les a traités, avec l’appui des ukro-nazis, depuis 2014 : pressions, vols, arrestations arbitraires, tortures, assassinats (20). Donc pour eux, il est possible que l’arrivée des russes, si du moins ceux-ci savent les « traiter » comme il faut, soit plus une opportunité qu’un risque.

Poutine ne le sait que trop. Pour cette raison, il a centré son opération sur l’évitement si possible des conséquences de la guerre pour les populations locales, et c’est un objectif très original et très difficile. Ses instructions sont, clairement, de privilégier la destruction des infrastructures et du matériel militaires, et des combattants, en premier lieu des ukro-nazis, et d’épargner, autant que possible, les populations (21). Les témoignages recueillis auprès des habitants de Marioupol, par exemple, montrent que ceux-ci semblent l’avoir compris. De même, on constate que dès que la Russie sécurise un territoire, elle s’y « installe » : eau, vivres, médicaments, nettoyages des décombres, circulation du rouble, nouvelle administration, comblement des dettes privées par les banques, retour des élèves à l’école (avec enseignement en russe), reconstruction, promesses d’investissements. Ce qu’il s’agit d’obtenir à terme, le « Graal », c’est un referendum d’autodétermination qui choisira l’indépendance du territoire, puis son rattachement à la Russie.

Sur le plan de la communication, et très paradoxalement, on se trouve donc, entre les russes et les ukrainiens « à fronts renversés » : ce sont les « nationaux » ukrainiens, qui ont « intérêt » à faire tuer leurs peuples, parce que c’est ce qui permet, de la meilleure façon, d’accuser les russes, et de continuer à faire fonctionner la « machine à pomper les occidentaux » (22). Et lorsque l’on sait, par ailleurs, que les sommes en jeu (armes, prêts, argent liquide, etc…) sont gigantesques, que tout cela doit être distribué dans une « joyeuse panique » et, on peut l’imaginer, sans comptabilité, que rien ne se fait, dans ce pays, sans les oligarques et les mafias, et que ce pays est l’un des plus corrompus au monde, il est facile d’imaginer à quel point il est important que cette « machine à pomper les occidentaux » s’arrête le plus tard possible… Et c’est « l’envahisseur » russe, au contraire, qui « bichonne » les populations locales (23) !

Si l’on fait, finalement, le bilan, pour le moment du moins, de la guerre médiatique russe par rapport à ses objectifs, on s’aperçoit qu’elle les atteint beaucoup mieux que le camp occidental : pas de baisse apparente, bien au contraire, de la popularité interne de Poutine (alors que ce n’est pas garanti pour les occidentaux sur le long terme), bon positionnement sur le terrain militaire (qui lui fait espérer une prochaine victoire), assez bonne opinion, selon ce qui ressort des premiers avis des peuples « libérés », par rapport aux projets futurs d’intégration, neutralité bienveillante, mis à part pour l’occident et le Japon, de presque tous les pays tiers. On est loin, là aussi, de la propagande.

Il reste un point intéressant, en conclusion, à examiner : c’est le type, et même la « philosophie », de ces deux communications.

On peut dire, d’une certaine façon, que la communication russe est assez « masculine », dans la mesure où elle assume le rapport de forces dans toute sa brutalité. Elle s’inscrit dans la « tradition » du duel, façon de régler les différends entre combattants et entre mâles, depuis que la sexualité masculine existe. Le vainqueur du duel dispose ainsi « naturellement », de par sa force, de l’autorité et du pouvoir, reconnus par ses contreparties. Et même lorsque la morale existe, dans des domaines où le droit n’existe pas ou bien est bafoué ou arbitraire, comme c’est souvent le cas en politique internationale, le rapport de force reste premier, puisque rien ne sert d’agiter la morale ou le droit si le rapport de force défavorable ou la défaite ne permettent pas de les appliquer. Selon cette conception, gagner le duel est la clef, à partir de laquelle tout peut être discuté ou reconstruit. Il convient donc d’y attacher la plus grande attention, et de regarder les situations, à cette aune, de la façon la plus réaliste et la plus crue. Ce qu’il n’implique pas, d’ailleurs, qu’il faille forcément se comporter d’une façon barbare et inhumaine. Mais dans tous les cas, c’est le rapport de forces qui prime et qui est le « juge de paix » de l’affaire.

De l’autre côté, on pourrait dire que la communication occidentale, et surtout européenne, est plus « féminine ». Si cette conception assume parfaitement le rapport de force, elle n’en assume pas forcément toute la brutalité, chose que la masculinité, la « virilité », accepte et même revendique. Ainsi, la conception « féminine » du rapport de forces préférera souvent « habiller » celui-ci, de façon « positive », par la séduction, la morale ou l’affectivité, ou bien, de façon « négative », par le dénigrement ou l’ostracisme, plutôt que par le duel. De même, elle accordera parfois plus d’importance à l’impression subjective des événements qu’à l’objectivité la plus précise. Le style de communication « féminine » est donc plutôt basé sur l’influence, alors que la communication « masculine » est plutôt basée sur l’action pure. On reconnaîtra que les occidentaux sont très habitués au type « féminin » de communication (24).

Il n’y a aucun jugement de valeur à tirer de cette constatation, car ces deux stratégies peuvent être aussi efficaces l’une que l’autre. On remarquera seulement que la « communication d’influence » (féminine) est peut-être plus adaptée en temps de paix, lorsque les rapports de forces ne sont pas trop brutaux. En temps de guerre, elle sera probablement moins utile que la « communication d’action » (masculine), puisque la guerre est le lieu précisément de l’action et du duel. A ce jeu, il semble que Poutine dispose, ici aussi, d’un avantage.

François Martin

  • Tapis de bombes
  • Et aussi, d’une certaine façon, d’un mépris et d’une sous-évaluation grave des capacités russes…
  • https://youtu.be/kX-Rlrr9r0Yhttps://youtu.be/kX-Rlrr9r0Y
  • Sur ce plan du moins !
  • Même si, nous le verrons, elles sont parfaitement coordonnées
  • Auriez-vous la gentillesse de demander à Edouard l’article où il fait ce décompte, et à rajouter ici le lien ? Je ne le retrouve plus… Merci !
  • Xavier Moreau de Stratpol indique que même les nazis n’avaient pas osé se cacher systématiquement derrière leur population, comme le fait l’armée ukrainienne.
  • Ceci est bien peu rapporté par nos médias !
  • Là aussi, nos médias occidentaux ont systématiquement caché ces reportages
  • Pourquoi des civils, femmes et enfants compris, avaient-ils vocation à se cacher dans les sous-sols d’une usine, pendant 3 mois, avec 2500 soldats, plutôt que de quitter la ville ? Pourquoi notre presse ne s’est-elle jamais posé cette question ?
  • Zelensky est l’un des dirigeants corrompus épinglés par les « Pandora papers ». On évaluerait sa fortune actuelle à plus de 850 Millions de USD. Ce qui, il est vrai, est assez peu en comparaison des « vrais » oligarques de son pays…
  • L’Agence Internationale de l’Energie Atomique
  • Cela s’appelle « se couper le sexe ». C’est ce qu’avait dit le Président tunisien Bourguiba aux palestiniens, qui avaient voulu boycotter l’Allemagne, parce qu’elle refusait de les reconnaître. Bourguiba leur avait dit « Vous me faites penser à l’homme qui dit à sa femme : puisque tu me trompes, pour te punir, je vais me couper le sexe !». C’est à peu près ce que nous faisons avec les sanctions aux russes…
  • C’est ce qu’a pratiqué Poutine, notamment lors de sa guerre de Géorgie. Il s’est bien gardé d’attaquer Tbilissi. Après son expédition victorieuse, il est rentré chez lui, et a laissé les géorgiens se retourner contre leur gouvernement, pour l’accuser de les avoir entraînés dans cette aventure funeste. Puis ils ont chassé le Président Saakashvili. C’est la même démarche que tente de mettre en œuvre Poutine avec nous.
  • Cf la comédie « Grandeur et décadence de Monsieur Joseph Prudhomme »
  • Attachés, bien évidemment, au maintien du commerce. Poutine s’efforce de les convaincre, à Saint-Pétersbourg en particulier ces jours-ci, du fait que cette péripétie est le prémice de nouvelles et grandes opportunités, vers le reste du monde.
  • En effet, nous sommes allés jusqu’à fermer les comptes courants des étudiants russes en Europe, interdire de compétitions les sportifs russes, ou proposer de débaptiser des collèges Soljenitsyne ou Dostoïevski !
  • Malheur aux vaincus
  • Et déjà, des craquements se font sentir du côté américain. https://www.youtube.com/watch?v=Ynmw1q-U0ag
  • https://youtu.be/u8CDs6y4wFo
  • A la différence des guerres américaines, où l’objectif est d’écraser préalablement, par l’artillerie, toute velléité de résistance civile et militaire de l’adversaire, pour éviter autant que possible, ensuite, la mort des « boys ». Ainsi, les USA ont tiré autant, pendant les premières 24 heures de la guerre d’Irak, que les russes pendant le premier mois de la guerre d’Ukraine.
  • Avec la bénédiction des USA…
  • C’est l’une des raisons, mis à part les incohérences du « timing », qui nous fait penser que les événements de Butcha sont plutôt un montage exécuté par les ukrainiens, plutôt qu’une exaction russe. Les ukrainiens ont besoin de montrer que les russes sont des monstres. Les russes ont besoin d’épargner la population ukrainienne autant que faire se peut.

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