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Ukraine : en route vers la paix, enfin ?

Par François Martin

Après l’échec de la contre-offensive ukrainienne, les choses semblent être à l’arrêt sur le plan militaire. Ce n’est probablement pas le cas sur le plan politique.

Malgré une propagande aussi triomphaliste que celle que pratiquaient ses adversaires à l’époque soviétique, ce qui est tout de même un comble, et à moins d’un miracle dans les jours à venir, dont personne ne sait de quel ciel il viendrait, le camp de l’ouest doit bien reconnaître les choses : la contre-offensive, à supposer qu’elle ait jamais été autre chose qu’un affichage médiatique morbide, pour tenter de rassurer nos opinions terrorisées, et pour sauver la face des sponsors de Kiev, est un échec retentissant. Quelques villages repris, et vite reperdus dans la partie sud, une quantité de matériel détruit et d’hommes tués invraisemblable pour un gain aussi faible (on parle de 30% de son matériel et de 500 morts par jour, depuis son lancement le 15 Juin), et même, dans le nord-est, une contre-offensive russe qui se dessine dans la région de Lyman et qui, elle, semble déjà porter du fruit, la dernière tentative ukrainienne se termine dramatiquement. Dans quelques semaines, la pluie reviendra, et la boue. A l’évidence, sans le dire ouvertement, les stratèges occidentaux ont déjà tiré les leçons : la guerre est perdue, et pire, il ne sera plus possible de le cacher.

Sur l’issue de la guerre, certains des meilleurs experts disent depuis longtemps que, même s’ils affirmaient le contraire, les américains ne croyaient pas à la victoire, et qu’ils n’y ont peut-être même jamais cru. A l’appui de cette thèse, la disproportion phénoménale des forces en présence : en nombre (40 millions d’ukrainiens face à 145 millions de russes), en artillerie (un rapport de tir de 1 contre 10, 4.000 tirs par jour d’un côté contre 40.000 de l’autre), une maîtrise presque totale de l’air par les russes, doublée de la meilleure défense anti-aérienne au monde, et de la possession exclusive de la technologie hyper-véloce. Comment croire à la fable ukrainienne de la reconquête de leur territoire ?

Mais si c’est le cas, pourquoi, tout d’abord, les Russes n’ont-ils pas écrasé tout bonnement leurs adversaires en quelques mois ? 

  • A cela, nous avons souvent répondu : parce que les russes ne pratiquent pas une guerre « napoléonienne », une guerre fulgurante de « décapitation », à travers une grande bataille décisive qui fait exploser le régime adverse, mais une guerre « franquiste » : un processus lent et continu, essentiellement mené par l’artillerie, de « dévitalisation » militaire et politique. Ce qu’ils veulent (et ils se sont organisés pour cela), c’est que disparaissent de la population ennemie, en laissant venir les vagues d’attaques ukrainiennes répétées et presque toujours avortées, réduites à néant par un maëlstrom de feu, tous ceux qui voudraient demain leur nuire à l’intérieur du régime, et d’abord, les éléments les plus radicaux, les ukro-azis. Et plus largement, à l’international, toutes les forces militaires, financières et politiques de leurs adversaires occidentaux. Ce n’est pas à une guerre « classique », selon les règles qui sont les nôtres, à laquelle nous assistons (c’est ce qui la rend pour nous si difficile à comprendre), mais à une opération de destruction des matériels, des crédits et des hommes, une guerre de succion et de « vampirisation ». C’est ce qu’a subi Napoléon en 1812 où, sans gagner une seule bataille, les russes ont détruit totalement son armée : entre les morts, les disparus, les prisonniers et les désertions, l’Empereur y a laissé près de 570.000 hommes, un chiffre gigantesque. C’est celle qu’a menée Franco qui, de son propre aveu, a prolongé la guerre d’Espagne de plusieurs années, jusqu’à ce que les combats aient tué sur le front tous ses adversaires républicains, et surtout les plus déterminés, plutôt que de les avoir contre lui, tapis dans la population, au cas où il prenne le pouvoir trop tôt. Pour un tel objectif, inutile d’aller vite et de s’exposer. Il faut tirer sans cesse, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne en face, et c’est exactement ce que font les russes. Aujourd’hui, les occidentaux cherchent des munitions désespérément et « râclent les fonds de tiroirs ». En Ukraine, c’est la même chose : Zelensky en est à la 14ème ou 15ème mobilisation. On force l’entrée des domiciles pour trouver des conscrits, on les chasse même dans la rue. Le camp de l’ouest l’a lui-même reconnu : il est dévitalisé, presque à l’os.
  • Par ailleurs, face à cette « machine à détruire », la réalité force à dire que nous ne sommes pas à la hauteur : munitions livrées trop peu importantes (l’occident fabrique en un mois ce que la Russie tire en un jour), matériel trop sophistiqué et trop disparate, ateliers de réparations insuffisants, chaînes logistiques trop vulnérables, personnel insuffisamment formé, livraisons au compte-goutte et à la va-vite, selon la demande d’urgence. Tout est décidé selon la pression médiatique, ce qui ne permet pas de véritablement planifier une offensive puissante et coordonnée. De plus, nous avons fait depuis trop longtemps le choix stratégique de nous tourner vers des opérations extérieures « faciles » dans des pays faibles, pensant qu’il n’y aurait plus jamais, en Europe, de guerre « classique » contre de « vrais » adversaires. Énorme erreur ! En fait, nous ne savons plus faire la guerre. Les russes le savent bien, et nous prennent pour des amateurs, comme le montre drôlement une vidéo prise sur le front russe (cf PJ).  

Mais alors, si cette guerre avait aussi peu de chances d’aboutir, pourquoi l’avoir faite ?

  • Ici, une remarque préalable : il est très probable (des sources américaines confidentielles le confirment) que les occidentaux n’ont jamais voulu gagner la guerre militaire. Ils ont toujours donné à Zelensky suffisamment pour ne pas perdre, mais pas assez pour gagner. En effet, ils savent très bien que pour la Russie, cette guerre est existentielle, comme l’était, pour Kennedy, l’affaire de Cuba. Militairement, la Russie ne peut pas perdre. Si son armée est aux abois, c’est la conflagration nucléaire assurée. Les USA ne veulent pas courir un tel risque.
  • Par contre, la victoire pouvait être non militaire : soit économique (faire s’effondrer le rouble), soit diplomatique (provoquer l’isolement complet du pays), soit politique (couler le régime de Poutine). C’était cela, la vraie stratégie de guerre (d’où l’assurance de Bruno Lemaire), mais aucune de ces voies, en fait, n’a marché : après une baisse le premier mois, le rouble a vite remonté. L’isolement n’a pas eu lieu, parce que le pays travaillait depuis très longtemps à tisser des liens avec de nombreux pays du sud. Et notre propagande anti-Poutine et anti-russe a été tellement systématique, stupide et finalement contre-productive que Poutine a pu resserrer son opinion autour de lui, et qu’il est aujourd’hui plus populaire que jamais.
  • Le seul espoir occidental qui reste est, au moins, avec le temps, d’affaiblir la Russie. Mais outre le fait que la Russie est beaucoup mieux préparée que nous pour le temps long, là aussi, ça n’a pas l’air de marcher non plus.

Et aujourd’hui, si c’est perdu, pourquoi donc continuer cet atroce conflit ?  

  • d’abord, il ne coûte rien ou presque aux américains. Si les crédits accordés ne seront jamais remboursés, les USA pensent, à tort ou à raison, qu’ils se paieront sur les biens des milliardaires russes qu’ils ont saisis, ou sur les énormes 400 milliards de USD d’avoirs de la Banque centrale russe qu’ils ont bloqués. Pour ce qui est des livraisons d’armes, ils donnent en priorité du matériel déclassé, et surtout, ils obligent les européens à faire de même, ce qui facilitera, demain, les nouvelles commandes européennes, qui seront passées évidemment à l’Amérique. Par ailleurs, la guerre leur permet de mettre aussi au banc d’essai des matériels plus sophistiqués (avec assez peu de réussite, il faut le dire : les 32 missiles Patriot censés défendre Kiev ont été tirés sur des leurres. A 1,1 milliards de USD l’installation, et à 4 millions de USD le missile, c’est plutôt cher pour un banc d’essai, raté qui plus est….) 
  • ensuite, si « l’opération Russie » ne marche pas, « l’opération Europe », elle, donne déjà de bons résultats. En effet, comme ils en ont l’habitude, les américains poursuivent en parallèle deux objectifs contradictoires, pour choisir le meilleur à la fin. Ici, l’un consiste à détruire la Russie, l’autre à piller l’Europe. Or le deuxième est beaucoup plus facile à atteindre que le premier. En effet, sans gaz russe (il est prouvé que ce sont les USA qui ont détruit les gazoducs North Stream), l’économie européenne est en faillite. Les américains peuvent facilement racheter ce qu’ils veulent, couler leurs concurrents, inciter les autres à délocaliser aux USA. C’est ce qu’ils font en ce moment avec l’industrie allemande. La courbe de leur réindustrialisation, objectif stratégique s’il en est, remonte aujourd’hui rapidement.  
  • mais surtout, la guerre est extrêmement profitable pour certains. Tant en Ukraine, auprès des oligarques et des politiciens, qu’aux USA et même en Europe, un gigantesque trafic est à l’oeuvre, que nous avons abondamment détaillé dans notre ouvrage (*). Pour tous ces marchands d’armes, ces officines ou ces personnes, l’opération est mille fois gagnante, même si la guerre est perdue. Plus les choses durent, plus c’est formidable. Et, il convient de le souligner, Biden est à la fois, compte tenu de sa position, de son passé (il était, sous Obama, comme vice-président, chargé de l’Ukraine) et de celui de son fils Hunter (avec la société Burisma), au cœur de cet immense « business », et par ailleurs, vu son état physique, incapable de l’arrêter. C’est une composante fort importante de la guerre, qu’il faut prendre en compte, faute de quoi la compréhension globale de l’affaire est totalement faussée.

Tout cela crée en ce moment une atmosphère particulière : on se trouve dans une sorte d’entre-deux, au milieu d’un « gué politique », dont il va bien falloir sortir. 

Tout d’abord, il va falloir arbitrer, au cœur du pouvoir américain, entre les colombes et les faucons, entre ceux qui disent « stop » et ceux qui crient « encore ! ». Cela va prendre du temps, mais finira par arriver, surtout si d’aventure la Russie, considérant que le chemin est suffisamment libre, décide de passer à l’action et d’attaquer, pour remplir ses objectifs assumés vers Kramatorsk et Odessa (c’est ce qui semble avoir commencé), auquel cas le spectacle du désastre mettra tout le monde d’accord. Mais surtout, deux éléments importants vont entrer en ligne de compte :

  • l’échéance de l’élection présidentielle américaine. Prévue pour Novembre 2024, la date s’approche rapidement. Le pouvoir actuel sait que plus il attend, plus le prix politique à payer, en cas de défaite, sera lourd. Il a donc meilleur temps de solder les choses assez tôt, plutôt que de le faire trop tard, en panique et sous les huées de l’opinion. Quelle est la date limite pour « tirer le trait », changer de cap et enclencher la phase « négociation » ? C’est une décision qui doit sans doute être discutée en ce moment même, au vu des derniers événements.
  • la fabrication du « verbatim ». Comme l’on sait, nos sociétés modernes occidentales ne sont plus dirigées par des stratèges, mais par des communiquants. La ligne politique est bien moins importante que le discours médiatique, dont on croit qu’on peut tout attendre. Avant de passer à la phase suivante, il faut « construire une histoire », qui comprend plusieurs points : comment s’auto-justifier pour le passé ? Comment annoncer que l’on va discuter sans trop perdre la face ? Et surtout, point essentiel, à qui va-t-on faire « porter le chapeau » de la défaite et de la catastrophe, et avec quels arguments ? Tout cela doit être discuté entre les différentes instances, aux USA et aussi avec l’OTAN et les « partenaires » européens (qui sont aujourd’hui plutôt des esclaves ou des robots, et même des proies…), puis arbitré et diffusé via les officines de propagande officielles, puis par les médias occidentaux, la « Pravda » moderne. Cela va prendre un peu de temps. Cette mécanique de « fabrication » médiatique, encore confidentielle, a aussi, certainement, déjà commencé.

Ce n’est qu’à la fin de ce processus de maturation complexe qu’une réponse « crédible », dans le sens d’une négociation possible, et assortie de son « histoire » dûment fabriquée à destination des opinions naïves, pourra voir le jour. Certainement pas avant plusieurs mois. 

Pour finir, faut-il craindre, pour satisfaire les faucons, une entrée en lice de la Pologne ? 

C’est ce à quoi se préparent en ce moment les russes, en mettant la pression sur ce pays pour le décourager de « faire le malin » : possibilité d’ogives nucléaires et troupes massées en Biélorussie, déclarations terrorisantes de Vladimir Poutine, etc… Tout est fait pour calmer les ardeurs de Varsovie, et son envie de récupérer, si le régime de Kiev s’effondre, l’ancienne terre polonaise de Galicie orientale. Par ailleurs, et même si, en situation de guerre, on ne peut jurer de rien, cette option nous semble malgré tout peu probable. En effet :

  • si les polonais décidaient « d’y aller », ils ne pourraient le faire que dans le cadre d’une coalition propre (avec les baltes ?), et hors de l’aval de l’OTAN. Car on voit mal l’OTAN tout entier se mettre en guerre. Mais dans ce cas, les polonais s’exposeraient à la réponse la plus brutale des russes qui, sans même avoir besoin d’une frappe nucléaire, pourraient « vitrifier » en une seule salve de missiles hypersoniques, toute l’infrastructure militaire et même civile de ce pays, comme ils l’ont fait tout au début de la guerre, avec l’énorme stock de matériel ukrainien. Et que dire des alliés baltes ? Même si c’est, semble-t-il, l’une des options qui se discutent en ce moment, ça ne tient pas vraiment la route.
  • De plus, quel serait le sort des soldats polonais, des hommes qui n’ont jamais combattu, sur le sol ukrainien ou même sur le leur, face à des armées russes aguerries, qui combattent depuis plus de 500 jours ? La Russie n’en ferait qu’une bouchée… 
  • Enfin, on ne voit pas vraiment l’OTAN laisser son allié faire cavalier seul dans une telle aventure. Le risque d’embrasement généralisé serait trop important. Tout cela nous semble de la flagornerie ou de la communication à usage interne. Ce qui ne veut pas dire que les russes ont tort de s’y préparer. Si vis pacem…

La défaite de l’Ukraine est en vue. Stop ou encore ? Une fois de plus, les circonstances semblent nous ouvrir une « voie vers la sagesse » et la désescalade. Saurons-nous, cette fois-ci, la saisir ? 

François Martin

(*) « L’Ukraine, un basculement du monde », Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2023

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