Par Alexis Troude
L’auteur de Balkans, la fracture, la base européenne du djihad (Xenia, 2017) est directeur du Département d’études balkaniques de l’Académie internationale de Géopolitique à Paris. Il est notamment le co-auteur d’un rapport officiel sur la situation sociale et sécuritaire au Kosovo-et-Métochie qui fut présenté au Parlement européen le 10 octobre 2007.
L’ « affaire Djoković » , qui a animé le petit monde médiatique pendant dix jours en ce début d’année 2022, est le parfait exemple de ce que peut l’opposition d’un homme aux normes sanitaires dictatoriales et sa lutte pour la liberté de choisir.
Lorsqu’il prend l’avion pour l’Australie ce mercredi 5 janvier 2022, le N° 1 mondial de tennis est en règle car, comme d’autres joueurs, bien que non vacciné il a pu bénéficier d’une exemption accordée par la Fédération australienne de tennis et à ce titre d’un visa en bonne et due forme. Novak Djokovićest heureux à l’idée de briguer, après 9 victoires en finale à Melbourne, un dixième titre qui lui permettrait de s’asseoir définitivement au firmament du tennis mondial avec plus de 20 titres du Grand Chelem, dépassant ses rivaux Nadal et Federer. Mais en cours de vol les autorités fédérales ont changé les règles. Elles n’acceptent plus l’exemption et rendent donc caduque le visa; à son arrivée sur le sol australien, il est cueilli par service des douanes comme un vulgaire malfrat et accompagné par la police dans un centre de rétention. Il y passera pas moins de 10 jours, traité comme un migrant sans papiers, humilié quotidiennement par un repas qui ne respecte pas les normes végétariennes que le champion serbe a choisies.
L’Australie, une bien triste nation
On voit là le respect pour les normes internationales dont font preuve les autorités australiennes. Par ailleurs, elles n’ont pas hésité à se contredire, car alors que d’autres joueurs étaient exemptés du passe vaccinal et jouent en ce moment même, le n°1 mondial a été renvoyé manu militari chez lui : c’est bien la manifestation, comme souvent avec les sportifs serbes, d’un « deux poids deux mesures » systématique .
L’extrême individualisme qui marque le monde moderne et à fortiori le monde du tennis est aussi frappant. Hormis les appuis courageux d’une Alizé Cornet ou d’un Pat Cash, le plus frappant a été le silence assourdissant de l’ensemble du monde du tennis, notamment des joueurs français, pourtant reçus comme des rois à Belgrade lors du tournoi organisé par Djoković dans son club chaque automne. Pire encore, se sont révélées les petites trahisons, comme Nadal profitant de son enfermement pour accabler son rival, se mettant même dans un rôle qui n’est pas le sien en exigeant que Djokovićaccepte d’être vacciné. Sans parler des revirements tellement mesquins et médiocres de notre Ministre aux sports Maracineanu, pourtant ancienne championne olympique qui d’abord promet une exemption pour Roland Garros à Djoković puis se ravise quelques jours plus tard, se soumettant sans doute à des injonctions venues d’ailleurs -ce qui en dit long sur notre souveraineté…
Le premier enseignement de cette histoire est capital. Si un gouvernement est capable de se dédire et de changer les règles a posteriori, le danger de l’arbitraire plane sur toutes les activités sociales d’une démocratie. L’autre question est celle de l’indépendance de la Justice qui a été bafouée, car malgré la décision de la juge de libérer Djoković, c’est en dernière instance le Premier ministre australien qui a eu le dernier mot (rappelons que ledit Premier Ministre, M. Scott Morrison, un évangéliste de choc issu du Parti libéral, ne cesse de se distinguer : d’abord en imposant une politique vaccinale démente qui va jusqu’à jeter en prison les récalcitrants, ensuite en mentant ouvertement aux représentants français dans l’affaire du contrat des sous-marins et dénonçant un contrat au mépris de sa propre signature, scandalisant ses deux prédécesseurs -NDLR )
Mais le second enseignement est l’inculture et la cécité des élites anglo-saxonnes toujours prêtes à dénoncer aux quatre coins du monde toute atteinte aux droits de l’homme, mais qui ne bronchent pas lorsque, au coeur de cet Occident qui décidément va bien mal, un homme voit ses droits bafoués. Novak a compris très vite que cette machination l’amènerait à devoir faire le deuil de ce tournoi, et peut-être des tournois en 2022 tant qu’il refuse d’être vacciné.
Le plus grand champion de tennis de tous les temps, selon son palmarès même, n’est pas américain ou anglais : il vient d’un petit pays que l’OTAN a bombardé à trois reprises au XX° siècle. Mais les anciens bagnards australiens sans passé et sans avenir ne peuvent comprendre la démarche de Djoković, placée à l’évidence dans la lignée d’une histoire sacrificielle pluri-séculaire. Novak est rentré tranquillement, sans mot dire, car comme lors de la bataille du champ des merles le 28 juin 1389, sur la plaine du Kosovo, il a préféré le sacrifice de la victoire, quitte à être banni de tous les tournois jusqu’à la fin de sa carrière, que la soumission à une injonction étrangère, un produit inoculé dans son corps dont il estime ne pas connaître les effets à long terme. En quittant le sol australien, le n° 1 mondial a choisi, tel Marko Kraljević se sacrifiant face au sultan Mourat, l’appel de la liberté et de la justice immanente aux compromissions politiciennes.
Un héros classique
Enfin, évoquons un autre point-clef . En Serbie, Novak Djoković soutient depuis plus de trois mois un mouvement de protestation contre la politique du géant américain Rio Tinto. La Serbie regorge de ressources en lithium, métal stratégique pour alimenter, notamment la téléphonie mobile, et il se trouve que Rio Tinto a pour cela préempté des milliers d’hectares de terrains dans l’ouest du pays. Or le Premier ministre australien a des intérêts directs dans Rio Tinto, ce qui pourrait expliquer la hargne avec laquelle il fit preuve d’un arbitraire aussi implacable. Triste chef de Gouvernement, triste Australie ;
En face, un héros classique : faut-il rappeler son palmarès – six ans d’affilé à la tête du tennis mondial, seul joueur à avoir gagné deux fois chaque tournoi Grand chelem, victorieux de 36 Masters ? A cela s’ajoute que Novak Djoković a montré à plusieurs reprises sa générosité en faisant des dons en centaines de milliers d’euros aux joueurs de tennis dans l’embarras ou aux enfants vivant dans les enclaves serbes au Kosovo.
Qu’hommage soit ici rendu au grand Novak Djoković !
Par Alexis Troude