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La démographie africaine : une question sensible

Par François Martin

Pour des raisons évidentes, la question de la démographie africaine intéresse beaucoup les hommes politiques, les analystes et les commentateurs, mais aussi les populations elles-mêmes. Parfois même, elle hystérise. Il faut pourtant regarder le problème avec des yeux froids et professionnels pour éviter les erreurs d’interprétation.

Un constat tout d’abord : la question de la démographie africaine fait peur, et c’est naturel. En effet, il y a d’un côté ce grand continent, chargé de risques et d’opportunités, de matières premières et d’habitants très jeunes, en croissance démographique rapide, plein de vie et d’envie, et de l’autre le «petit bout d’Asie» que constitue l’Europe, en déclin politique et économique, en plein doute psychologique, qui ne renouvelle plus ses générations et qui est peuplé majoritairement de retraités. L’idée selon laquelle entre ces deux continents, séparés qui plus est par un minuscule bras de mer, l’un pourrait se déverser dans l’autre et le submerger, ne peut pas être écartée. Pour autant, cette perspective ne résiste pas forcément à l’analyse.

L’AFRIQUE PEUT-ELLE SUBMERGER L’EUROPE ?

Si l’on examine en premier lieu la densité, on s’aperçoit que celle de l’Afrique n’est pas si importante : pour l’ensemble des continents, la densité la plus faible est celle de l’Amérique, avec 24 hab./km2, puis vient l’Europe (incluant la Russie), avec 32 hab./km2, puis l’Afrique, avec 44 hab./km2. Enfin, très loin devant, l’Asie, avec 142 hab./km2.

On voit donc que la densité de l’Afrique est dans la moyenne, et plutôt basse. En fait, l’Afrique aujourd’hui n’est pas en phase «d’explosion démographique», comme on le dit trop souvent, mais en phase de rattrapage par rapport à une période où elle était notoirement sous-peuplée : de 7,5 hab./km2 en 1950 (avec une population de 228 millions d’habitants seulement, pour 30,4 millions de km2 !), elle est passée à 12 hab./km2 en 1970 (avec une population de 363,5 millions d’habitants), puis à 21 hab./km2 en 1990 (avec une population de 640 millions d’habitants). Elle est aujourd’hui à 44, comme on l’a vu, avec une population de 1,35 milliards d’habitants. Si, selon les estimations, elle atteint 2,5 milliards en 2050, sa densité ne sera que de 88 habitants au km2, bien moins que celle de l’Europe de l’ouest (UE : 114 hab./km2) ou que l’Asie (142).

On dira qu’il y a beaucoup de déserts en Afrique, et que la surface habitable est plus faible. Mais on trouve ce phénomène partout : il y a des déserts en Inde et en Chine. Il y a les grandes étendues glacées du Canada et de la Russie, les forêts de l’Amazone et du Pantanal, les montagnes de l’Himalaya, des Rocheuses et des Andes. Sans entrer dans trop de détails, on voit déjà que, sur le plan de la densité du moins, l’Afrique ne représente pas aujourd’hui le danger que l’on croit.

Serait-ce la croissance démographique ? Sur ce plan, là aussi, on fait de nombreuses confusions. Comme le rappelle Lionel Zinsou dans une intervention lumineuse, on confond hausse de la natalité et baisse de la mortalité : si la fécondité reste globalement élevée (mais elle baisse rapidement), avec 4,5 enfants par femme en 2017, la mortalité, elle, baisse encore plus vite, ce qui en fait le véritable moteur de la croissance démographique. Ainsi, la Tunisie, avec 2,08 enfants par femme, ne renouvelle plus ses générations depuis longtemps, mais pour autant, sa population continue à augmenter (2000 : 9,5 millions d’habitants, 2010 ; 10,5 millions, 2019 : 11,6), parce qu’elle se soigne mieux, et que l’espérance de vie augmente.

De même, comme le rappelle Lionel Zinsou, il existe de grandes disparités, parfois dans le même pays, entre les taux de fécondité. On fait des gorges chaudes de la fécondité au Niger (6,8 enfants/femme en 2019, la plus forte au monde), en oubliant d’abord que la population n’est que de 20 millions d’habitants (donc le Niger n’impacte pas toute l’Afrique !), ensuite que la population est très largement rurale, avec des enfants peu scolarisés (donc une nécessité de larges familles, pour des besoins de main-d’œuvre familiale et pour la «retraite» des parents), enfin parce qu’il faut compenser, ne l’oublions jamais, la mortalité infantile.

Au Bénin, pays où Lionel Zinsou a été Premier ministre, la fécondité varie beaucoup entre le Nord, pauvre, sahélien, rural et peu scolarisé, et le Sud, plus riche, urbain et scolarisé. Au Nord, la fécondité est de 6 enfants par femme, avec 25 % de scolarisation, alors qu’à Cotonou, elle est de 2,8 enfants par femme, avec 98 % de scolarisation. Il y a donc, sur ce plan, par rapport à une fécondité «moyenne» de 4,5 enfants/femme, en réalité «deux Afriques», dont l’une a déjà les mêmes caractéristiques, sur le plan démographique, que nous.

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA DÉMOGRAPHIE AFRICAINE

Ce qui caractérise donc l’Afrique avant tout, selon Lionel Zinsou, ce sont trois phénomènes :

  • une baisse rapide de la fécondité ;
  • une baisse encore plus rapide de la mortalité ;
  • et surtout, l’extrême vitesse de la transition, à un rythme, dit-il, jamais observé par ailleurs.

Si, comme on le comprend, c’est l’augmentation de l’espérance de vie qui est le véritable «moteur» de la croissance démographique africaine, il faut reconnaître que c’est une très bonne nouvelle, parce que les enfants ne meurent plus, et aussi parce qu’il est inutile de se précipiter pour imposer à l’Afrique des mesures drastiques de «planning familial» pour la limitation de sa fécondité. D’une part, parce que cela n’empêcherait pas, sauf à inciter les Africains à ne plus se soigner, la population de continuer à augmenter rapidement, ensuite parce que l’Afrique est encore, à 50 %, une civilisation agricole et villageoise, qui a donc besoin de main-d’œuvre familiale, donc d’enfants, enfin parce qu’on préparerait à terme une «dépression démographique», un grave risque pour le développement – ce que la Chine commence déjà à subir.

Par ailleurs, on sait depuis longtemps que ce n’est pas la limitation de la population qui fait le développement, mais le contraire. Il faut rappeler qu’à la fin de la dernière guerre, tous les futurologues pensaient que ce serait l’Afrique qui se développerait rapidement, et pas l’Asie, précisément parce que l’Afrique était très peu peuplée et remplie de matières premières, alors que l’Asie était très peuplée, avec un sol bien moins pourvu. C’est exactement le contraire qui s’est passé : c’est le génie des hommes, et surtout la mise en œuvre des infrastructures, routes, ponts, ports, écoles, hôpitaux, énergie abondante et bon marché, qui permet la sortie de l’économie vivrière, la fixation des populations sur leur sol, la libération des énergies humaines, de l’industrie et du commerce, et le développement. Il y faut aussi, comme le squelette qui «tient» la chair, une gouvernance solide et stable, et une bonne architecture de sécurité, au sens national, régional et local, avec une coopération très bien rodée entre les pays. Il faut ensuite lutter contre la corruption, le trafic de drogue, et le «nouvel esclavage» que représente le trafic de migrants. Il faut, enfin, un très bon système scolaire, et des formations professionnelles d’excellente facture, pour permettre aux jeunes Africains de devenir des travailleurs qualifiés.

Si l’on fait cela, on n’aura pas de migrations majeures, quelle que soit la population du continent. Si l’on ne le fait pas, on en aura beaucoup, quels qu’aient été nos efforts et nos dépenses pour empêcher les Africains d’avoir des enfants.

La dernière remarque, c’est qu’une population nouvelle, ce sont d’abord des travailleurs et des consommateurs, c’est donc de la richesse. Le développement démographique de l’Afrique, aussi rapide qu’il paraisse, est donc une chance, une chance extraordinaire même, peut-être la dernière opportunité pour faire repartir et sauver de sa fin programmée notre continent vieilli et décadent. La population africaine croît rapidement, et tout le reste est à faire. Justement, qu’attendons-nous ? Devons-nous laisser passer cette chance ? Quand allons-nous nous réveiller ? Qu’attendons-nous pour changer notre regard ?

Tout le reste, je le crains, n’est que malthusianisme.

François Martin

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