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Chine-Californie : l’émergence de l’Univers Pacifique

Par Paul-Marie Coûteaux

Nos lecteurs regretteront sans doute (comme nous) le retard avec lequel paraît ce numéro d’automne. Nous les prions de bien vouloir l’excuser et de comprendre, ou de deviner, que notre équipe, très réduite, est en ce moment accaparée par les perspectives électorales. A quoi s’ajoute que le thème du dossier que nous avons choisi est encombré d’actualités, l’océan Pacifique accaparant de plus en plus l’attention avec la lente montée des tensions en mer de Chine, l’imbroglio du prétendu « contrat du siècle » australien, et par-dessus tout le dernier et décisif référendum du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie. Nous avons patiemment enrichi ce dossier, le premier que nous consacrons aux questions géopolitiques. Mais ici, elles dépassent de beaucoup les affaires étrangères : la vertigineuse « progression » du monde technicien auquel nous assistons depuis le début de ce siècle, et qui s’inscrit à grande vitesse sur les rivages lointains du grand Océan, pourrait bien créer un homme nouveau, partant un homme encore plus nouveau qu’on ne le croit, de sorte que, en arrière-fond, les questions que pose ce dossier sont bel et bien anthropologiques, peut-être même philosophiques : quel est cet homme hyper-augmenté, hyperconnecté, hyper-surveillé que nous promet cette nouvelle et prétendument grandiose étape de l’Humanité dans son interminable quête de ce que, incapable de comparer les beautés, saveurs et sagesses du passé aux miroirs aux alouettes des nouveautés, elle nomme avec gourmandise le Progrès, quand bien même, si elle s’en ravit souvent à juste titre, elle en est plus souvent encore déçue. Pour appréhender ce dossier dans sa complexité, et sa profondeur, il faut sortir de nos représentations habituelles, celles d’un homme immuable, d’un monde immuable dont l’Europe, ou l’espace atlantique, serait le centre éternel, de valeurs qui paraissent si évidentes qu’elles seraient universelles : non certes pour abandonner nos valeurs ou nos civilisations chrétiennes réputées obsolètes, mais, en choisissant l’éveil et la connaissance, comme le dit Bergson, pour prendre conscience qu’elles devront désormais s’affirmer, beaucoup plus que jamais auparavant, dans un univers hostile, à tous égards lointain, et pour nous inhumain : il y là un effort de l’intelligence et de la volonté qui nous sera de plus en plus nécessaire pour opposer au Tout-Technique, au Tout-Commerce et au Tout-Religieux qui de part en part embrassent le monde, la force de nos héritages ancestraux, la liberté, la libre-discussion et la lucidité intellectuelle, le respect de la loi naturelle, de la nature et de la nature humaine, que les civilisations chrétiennes fondent sur l’impérissable humanité de l’Homme. Après tout, face à tant de menaces qui paraissent lointaines mais qui nous atteignent plus vite qu’on n’ose le voir sous ce que cache « l’Opération Covid », c’est peut-être dans cette résistance toute nouvelle à un progrès devenu fou, que s’illustre la plus féconde idée de la France – et qu’on verra au grand jour ce qu’être conservateur veut dire. Mais commençons par le commencement…

De la civilisation atlantique à celle du Pacifique

Dans Les chênes qu’on abat, ouvrage par lequel Malraux met en scène, dans la résidence haut-marnaise de la Boisserie recouverte de neige, sa dernière rencontre de l’hiver 1969 avec le Général de Gaulle, ce dernier lâche, à la fin de l’ultime conversation : « Je veux bien qu’une civilisation soit sans foi, mais je voudrais savoir ce qu’elle met à la place, consciemment ou non… Enfin j’aurais fait ce que j’aurais pu ! S’il faut regarder mourir l’Europe, regardons : un tel cataclysme n’arrive pas tous les matins ». Et Malraux de glisser : « Alors la civilisation atlantique arrivera… ». Mais de Gaulle poursuit : « Il ne s’agit plus de savoir si la France fera l’Europe, il s’agit de comprendre que la France est menacée de mort par la mort de l’Europe. (…) Voyez-vous, la France a été l’âme de la Chrétienté, disons aujourd’hui de la civilisation européenne. J’ai tout fait pour la ressusciter, j’ai tenté de dresser la France contre la fin d’un monde. Ai-je échoué ? D’autres verront plus tard… » « Alors la civilisation atlantique arrivera. », disait Malraux en 1969. En réalité, la civilisation atlantique était déjà là, installée sur le mythe créé en 1917, renouvelé en 1944, du « sauveur américain », mais aussi sur l’appétit de consommation, et cet utilitarisme anglo-saxon, intensivement matérialiste et technicien qui sapa les fondements l’Europe chrétienne. Certes, le mouvement s’accéléra après la mort des deux chênes qui avaient tenté de l’endiguer, déferlant au fil des décennies suivantes sur l’Europe aux anciens parapets, jusqu’à nos tristes jours. Cependant, l’Europe une fois divisée, et soumise, le monde atlantique, nourri par cette relation entre l’Europe et les puissances maritimes (la Grande-Bretagne puis les Etats-Unis) qui connut autant de malheurs que d’heures de gloire, apparaît de moins en moins comme le centre du monde – ce qu’avait été avant lui la Méditerranée. A force de multiplier les guerres qu’elle perd, du Vietnam à l’Afghanistan, en passant par le Proche-Orient (où Washington ne put qu’ébranler le pouvoir de Bashar al-Assad, détruire l’Irak et la Libye au bénéfice des islamistes), la suprématie de « l’Amérique » a perdu son lustre, tandis que l’Europe disqualifiée, marginalisée et bientôt disloquée (après le Royaume-Uni, la Hongrie, la Pologne, les forces centrifuges s’ajoutent les unes aux autres), laisse échapper la dernière chance d’unir le continent et de rester dans l’Histoire, une alliance avec cette Russie qui, déboutée par ce qu’il reste d’Occident, cherche en Asie, notamment en Chine, de nouveaux partenariats. Un demi-siècle après la phrase de Malraux, ce n’est plus l’Atlantique aux bords délaissés qui est le centre du monde, mais le Pacifique ; c’est autour du grand océan lointain que s’ordonnent désormais les puissances nouvelles. Aux Etats-Unis, la côte Ouest, la Californie et tout ce qui fait la pointe de l’univers numérique, domine désormais Washington (c’est une des raisons de l’échec de Trump) ; de l’autre côté, la Chine, mais aussi les dragons asiatiques, Corée en tête, deviennent (en liaison étroite avec la Californie, connivence dont Trump s’alarmait déjà…) les foyers d’un monde neuf et terrible, tandis que s’esquisse dans les laboratoires de Shanghai et de la Silicon Valley, cet homme nouveau, « augmenté » à coup de transplantations, vaccinations et appareillages en tous genres qui fait le fond du trans-humanisme, et sans doute l’horizon d’une tout autre vision du monde et de la vie, totalement étrangère à la culture chrétienne. Déjà, dans un inextricable mélange de concurrences (militaires et politiques) et de partenariats (technologiques et commerciaux), les deux superpuissances du pacifique se partagent le pouvoir sur le reste du monde. Il ne leur faut personne d’autre. La récente affaire du « contrat du siècle » conclu mais non honoré par l’Australie témoigne que le monde anglo-saxon, Grande-Bretagne comprise, resserre les rangs – en particulier, comme il se voit depuis trois siècles, pour en exclure cette France dont les Anglo-saxons ont toujours refusé l’influence. C’est dans ce contexte que se lit tout l’enjeu du prochain référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Lire la suite de l’éditorial de Paul-Marie Coûteaux dans le cinquième numéro du Nouveau Conservateur.

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