0,00 EUR

Votre panier est vide.

À la recherche d’une politique perdue : les Affaires étrangères, par Caroline Galactéros

par Caroline Galactéros   

A tous ceux… un isthme qui devient une île.

Il est des moments douloureux pour l’observateur de la réalité internationale animé d’un amour profond de la France ; des moments où il se dit que notre déréliction politique, morale, intellectuelle et stratégique est irrattrapable, que l’on est allé bien trop loin dans l’abaissement et la servilité. Le documentaire « Un président, l’Europe et la guerre », diffusé le 30 juin dernier sur France 2 à la gloire du président de la République, qui ambitionnait de montrer son activisme diplomatique, sa proximité avec les grands leaders de ce monde et le caractère inéluctable de la pénétration du territoire ukrainien par l’armée russe le 24 février dernier est l’un de ces moments : à en croire les auteurs, Emmanuel Macron ne pouvait faire plus ni mieux. Il a tout tenté, mais n’est parvenu à rien. Bel exemple d’inversion victimaire digne des plus spectaculaires impostures du Département d’Etat américain, dont on se demande parfois si nous ne serions pas devenus une simple succursale. Car, en fait de démonstration de puissance et d’influence, c’est celle de l’impuissance de la France qui fut donnée. A aucun moment, notre pays ne sut jouer sa partie, faire bouger les lignes, se désaligner des Etats-Unis qui préparaient l’affrontement avec Moscou en Ukraine depuis au moins 2014. A croire que la France n’avait même pas le pouvoir de faire appliquer les accords de Minsk, dont elle était pourtant l’un des principaux garants ! En fait, tout le scénario était écrit à Washington : la volonté russe comme d’ailleurs chinoise de dédollariser l’économie mondiale étant intolérable, il fallait mettre la Russie à terre et dévaster son économie une fois pour toutes. Le piège de la guerre, inévitable pour Moscou qui ne pouvait plus longtemps laisser impunément bombarder les populations russophones du Donbass par les forces de Kiev, s’est refermé sur la Russie mais aussi sur nous, prisonniers de notre indécrottable suivisme atlantique. 

La crise économique s’annonce mais elle pourrait bien, pour les Européens, dépasser la question du prix du pain, de l’essence ou du gaz. Si les néoconservateurs enragés qui entourent un président Biden manifestement amoindri refusent d’arrêter la surenchère vengeresse, on ne peut exclure que la Russie et son chef n’aient d’autre choix que d’aller plus loin eux aussi et de montrer qu’ils ne bluffent pas. Vladimir Poutine ne peut se permettre de perdre. Surtout, ce conflit agit comme un catalyseur de la bascule stratégique et monétaire du monde tant redoutée par Washington. Autour du Pôle des grands récalcitrants russe et chinois, s’agrègent désormais l’Inde, l’Iran, la Turquie, l’Argentine, l’Indonésie, le Mexique, l’Egypte… et jusqu’à l’Arabie saoudite ! Les BRICS imaginent un panier de monnaies propres et un système Swift alternatif, tandis que Moscou et Pékin vendent massivement leurs dollars contre de l’or : et voilà l’arroseur arrosé…

Un puissant pôle eurasiatique va fondre sur l’UE

Revenons à notre documentaire hagiographique à l’envers : une heure de mise en scène narcissique à contre-emploi, se trompant de cible en voulant convaincre les Français au lieu de ses homologues, dévoilant des échanges confidentiels au plus haut niveau, ruinant toute confiance « chez l’adversaire », et faisant la démonstration douloureuse que Paris ne fut une fois encore ni écouté, ni utile à quoi que ce soit. Quoi de plus ruineux que de réduire une diplomatie en outil de communication à usage politique interne, tandis que se révèle  l’inquiétant amateurisme de la cellule diplomatique de l’Elysée et la totale asthénie  du Quai…

Or, l’Ukraine n’est que l’un des nombreux théâtres du suivisme français frappant depuis au moins quinze ans. Incapables de reprendre notre liberté ne serait-ce que symboliquement et de récupérer d’un coup un peu de valeur ajoutée stratégique dans le pugilat mondial, nous avalons constamment notre chapeau – par exemple lors de l’Affaire des sous-marins australiens et de la formalisation de l’AUKUS. On nous avait alors clairement montré, comme la niche à un chien, en quel respect on nous tenait. « Mais on ne va pas se laisser faire ! » L’indignation : ce qui reste quand on ne peut plus rien. 

Tout cela n’est pas sérieux. C’est même très dangereux. Qui croit-on convaincre ? Pas Vladimir Poutine, ni Xi Jing Ping, ni R.T. Erdogan, Ni N. Modi, ni E. Raissi, ni le Maréchal Sissi, ni les dirigeants africains, brésiliens, argentins, indonésiens, et désormais même séoudiens ! On explique sans rire que la guerre en Ukraine a été décidée par le seul cerveau malade et maléfique du président russe, qu’elle a réussi à sortir l’Otan de sa prétendue mort cérébrale, et même l’Europe de son insignifiance stratégique ! Bref, on regarde le doigt au lieu de voir la lune.  La lune, c’est la coagulation puissante des deux tiers de la planète autour du pole sino-russe que cette « opération spéciale » et la réaction furibarde de l’OTAN a enclenchée. C’est l’accélération de la bascule du monde à notre détriment, c’est la formation d’un puissant pole eurasiatique économico-politico-sécuritaire s’opposant de plus en plus directement à l’UE. 

A force d’indifférence et de mépris, on a sous-estimé la force du ressentiment russe mais aussi la capacité du pays à mener une contre-offensive globale : la Russie se désoccidentalise mais ne se démondialise pas. Elle est tout sauf isolée. A force de diaboliser V. Poutine, on a oublié qu’il y a en Russie bien plus radical que lui. La Russie n’accepte juste plus qu’on lui donne des leçons de démocratie, d’économie ou de quoi que ce soit. Il faut mesurer cette exaspération. Le regime change que nous essayons par tous les moyens de provoquer depuis près de 20 ans partout dans le monde pourrait aboutir à un pouvoir infiniment plus belliciste et revanchard que celui que nous jugeons intolérable aujourd’hui. Washington veut peut-être la montée aux extrêmes et l’engrenage qui fait marcher l’économie américaine. Mais nous ? Dans ce contexte inflammable et après des années d’abaissement consenti, il est plus que temps de réfléchir à ce que pourrait faire la France ; et à ce qu’est une politique étrangère. 

Qu’est-ce qu’une politique étrangère ?

Une politique étrangère, ce n’est pas un chapelet de prêchis-prêchas parfumés à la moraline, ni une gesticulation médiatico-stérile, ni le suivisme béat d’alliés qui n’ont pas les mêmes intérêts que les nôtres, tout cela au seul motif de leur soutien de pendant la IIè Guerre mondiale ! C’est une vision cohérente appuyée sur la mémoire de constantes historiques et politiques, une projection des axes d’effort, des grandes manœuvres, des changements de pied, des surprises, des ruptures, des retournements d’alliance, des prises de gages, bref c’est une permanente guerre d’influence menée à l’échelle planétaire. C’est une intelligence du monde et des hommes dans leur complexité ; c’est la détermination d’objectifs à partir d’une définition réaliste de nos intérêts nationaux, la mise en œuvre cohérente de lignes d’action, de dialogue ou de pression crédibles pour les atteindre nos objectifs nationaux sur la scène du monde. C’est aussi la fiabilité, donc la démonstration que la France n’a qu’une parole et une signature qu’elle honore. Tout cela dans le respect de la souveraineté des États, que leurs régimes nous plaisent ou non : l’influence sans l’ingérence. 

Une politique étrangère n’est pas un chapelet de prêchis-prêchas parfumés à la moraline, ni une gesticulation médiatico-stérile, ni le suivisme béat d’alliés qui n’ont pas les mêmes intérêts que les nôtres, tout cela au seul motif de leur soutien de pendant la IIè Guerre mondiale !

Pour notre pays, compter aux yeux du monde, c’est évidemment assumer un statut de puissance d’équilibre, ce qui suppose un positionnement des acteurs les uns par rapport aux autres dans lequel chacun peut vivre sans considérer qu’il doit éliminer les autres -d’où l’intérêt de chercher des convergences sur certains sujets et enjeux collectifs, comme le terrorisme, la protection de l’environnement, et par-dessus tout la stabilité stratégique. Nous devons être des médiateurs, et des médiateurs recherchés. Dans le cas ukrainien, ce n’est pas le Qatar, ou la Turquie, l’Arabie saoudite ou Oman qui devraient proposer leurs bons offices, mais Paris ! C’est notre vocation et notre plus éminent atout, considérant notre position géographique, notre histoire, notre langue réputée « non alignée », et notre savoir-faire diplomatique. Pour cela il faut être de nouveau perçus comme fiables et indépendants. 

Ce n’est pas le Qatar ou la Turquie, qui devraient proposer leurs bons offices, mais Paris ! C’est notre plus éminent atout, considérant notre position géographique, notre histoire, notre langue réputée « non alignée », et notre savoir-faire diplomatique.
Pour cela il faut être de nouveau perçus comme indépendants.

Comment faire tout cela ? En faisant un net « pas de côté » pour retrouver notre liberté de parole et d’action. Le désalignement de la France et son ré-ancrage dans les principes de la Charte des Nations unies foulés aux pieds depuis 25 ans n’est pas une option mais une nécessité, le principe cardinal qui seul peut nous donner de la liberté de manœuvre géopolitique et nourrir le dialogue permanent que nous devons entretenir aux quatre coins du monde, et notablement sur les théâtres de crise et de conflit. La France n’est ni « pro américaine », ni « pro russe » ou  « pro chinoise », mais « pro France », et pour cela parler avec tout le monde, sans exception ni sans excommunication grotesque pour complaire à l’Empire. Cette intelligence du monde est toute notre utilité stratégique, ce qui peut nous faire écouter puis éventuellement entendre, pas comme le petit télégraphiste de Washington mais comme une puissance certes moyenne, mais nantie du feu nucléaire, d’un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité, du deuxième domaine maritime du monde, d’une aura qui ne demande qu’a resurgir en Afrique, d’une histoire éminente de courage et d’indépendance. Un pays qui voit le monde tel qu’il est et ne s’en offusque pas. 

Déployons une carte du monde : que voit-on ?

Une politique étrangère digne de ce nom est d’abord réaliste, refusant l’angélisme comme la diabolisation en leur préférant toujours une lecture lucide de la géographie, tous les Etats étant peu ou prou prisonniers de leur propre géographie. Or, que voit-on quand on regarde une carte ? On voit que la Russie était le rempart naturel de l’Europe contre la Chine et que l’exclure de l’Europe nous coutera cher, économiquement et stratégiquement ;  on voit l’Eurasie irriguée par les Routes de la Soie qui s’avancent vers nous, où Moscou essaie de préserver ses intérêts, une Eurasie dont nous sommes pourtant l’isthme stratégique. Or, cet isthme est en train de se détacher pour se raccrocher au continent-monde américain, lequel ne fait plus la loi mais entend bien tenir d’une main de fer les dépendances européennes de son Empire ; on voit les BRICS structurer leur intégration géopolitique, économique et financière au sein d’un pôle de puissance alternatif qui fait de plus en plus école face à « l’Empire du bien » ; l’Afrique qui ne supporte plus nos leçons et leur préfère le pragmatisme chinois et la sécurité russe ; l’Amérique latine qui refuse explicitement la Doctrine Monroe ; l’Asie-Pacifique qui craint tout autant le bellicisme américain que la projection de puissance de Pékin, et observe avec anxiété le déplacement du centre de gravité des armées américaines vers ses rivages, tandis que la Chine mène à grandes guides un réarmement pharaonique. 

Face à ces évidences, Paris est en plein autisme stratégique, enfoncé dans une réalité parallèle, celle d’une France qui serait encore influente, crainte même, alors qu’elle a été écartée toutes ses zones d’influence traditionnelles, en Afrique comme au Proche-Orient, en Iran et en Russie. Les moulinets présidentiels sur le « leadership français » sont un leurre narcissique à visée électorale pour un président dont quasi toutes les « initiatives » internationales ont été des fiascos. La Russie sait notre vassalité, la Chine aussi, l’Iran, les pays du Moyen-Orient et les Etats africains ne s’en laissent pas plus conter. Quant à l’Allemagne, elle ne supporte plus notre incurie financière et a compris tout l’intérêt qu’elle avait à obéir à Washington contre Paris. La France se rêve, pendant que la France se perd. Tous ces pays, retorquera-t-on, sont infréquentables, aux mains d’autocrates populistes illibéraux… Certes, mais c’est le monde réel, la matière première du monde, un monde d’États sur lesquels nous n’avons aucun droit. Même le surplomb moral qui fonde l’exceptionnalisme américain est désormais démonétisé.

Enfin, et surtout, il ne saurait enfin y avoir de politique étrangère sans conscience de soi et des exigences de sa propre souveraineté,  priorité donnée aux intérêts supérieurs de l’État, au temps long et à la discrétion, une vision de long terme pour son pays. Nous n’avons rien de tout cela depuis longtemps. Le monde est redevenu « westphalien », peuplé de puissances assumées qui n’entendent plus se faire sermonner comme des garçonnets dans une cour d’école. Les désastres irakien, afghan, iranien, yéménite, syrien, libyen et désormais ukrainien ne nous ont-ils donc rien appris ? Quel est leur point commun? Le mépris de la souveraineté des États, la volonté de détruire des équilibres communautaires fragiles pour imposer des intérêts économiques et énergétiques les plus cyniques, sous couvert d’offrir la démocratie de marché, à peu près aussi transposable en ces contrées qu’un emplâtre sur une jambe de bois. 

Un pont pas un pion : une véritable politique étrangère est à portée de mains

Ainsi, notre politique étrangère n’est pas seulement mauvaise ou illisible : elle est introuvable. Elle se réduit à des éléments de langage et à un entêtement dans l’erreur. Un jour, le directeur du Nouveau Conservateur m’a lancé un défi : « tout cela est bel et beau mais votre diagnostic ne mange pas de pain ; que feriez-vous si vous étiez Ministre des Affaires étrangères ? ». Eh, bien acceptons l’exercice, et voici ma réponse : la France doit et peut sauver l’Europe contre elle-même par le non-alignement : être un pont, pas un pion. Six principes simples peuvent nous inspirer une autre politique, délicate à mettre en œuvre mais assez simple : 

  1. Se rappeler que la politique étrangère est une politique d’État dont les pierres d’angle sont le maintien de la sécurité des Français (premier devoir de l’État), la défense de nos intérêts économiques et culturels et la restauration de notre influence. 
  2. Cesser d’obéir et de penser que les intérêts américains se confondent avec les nôtres. Sortir du piège américain qui se referme sur nous, coincés dans une armature normative et dans le carcan d’une extraterritorialité parfaitement illégitime.
  3. Dialoguer avec tout, sur tout, et en permanence : c’est là un signe de force et le socle de toute crédibilité diplomatique. Des interlocuteurs forts sont d’ailleurs préférables : de toutes façons, s’ils sont chefs d’État reconnus par les Nations Unies, nous n’avons pas à les juger, mais à prendre langue avec eux, les écouter et leur faire connaitre nos positions.
  4.  Notre intérêt n’est pas de promouvoir des valeurs bafouées dans les faits, ni de réduire la politique étrangère à une politique de vente d’armements ou à une politique humanitaire et son indécent deux poids deux mesures. Le modèle des relations internationales post Guerre froide a vécu. Il faut revenir d’urgence au respect de l’indépendance et de la souveraineté des États, à la non-ingérence dans les affaires intérieures, à l’intangibilité des frontières, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Bref, revenir à la Charte des Nations Unies sur laquelle les Anglo-saxons s’assoient avec jubilation depuis 1990, donc cesser les interventions hors mandat ou en auto-saisine. Nous n’avons rien à faire en Ukraine, en Syrie, en Irak ou en Libye. Aucun mandat onusien ni otanien ne nous autorise à frapper un État légalement reconnu. Nous n’y gagnons que la déstabilisation islamiste, un discrédit moral universel (que nous ne voulons pas voir) et le mépris du « Maitre ».
  5. Face au Nouveau duopole sino-us, comment exister et compter ? Il faut un double « reset » : Franco-américain et Franco-russe. Une fois sur les rails, il en provoquera d’autres, dont la relation entre EU et UE, elle-même devenue problématique. Ici, la France a un rôle fondamental à jouer celui d’un d’inspirateur, ce qui lui est impossible si elle se contente d’être le supplétif de l’Amérique, de Ryad, de Moscou ou de quiconque.
  1. Pour finir, un préliminaire de méthode : Tout d’abord, impossible d’œuvrer sans un chef d’Etat qui ait des qualités à ce jour inconnues dans l’aréopage politique français : une vision de notre avenir, l’amour de la France, le souci de sa renaissance, le sens de l’Etat, le courage de traiter des problèmes douloureux, un langage clair pour un pays dont les « élites » méprisent le peuple, cantonné dans un village Potemkine qui cache les ruines. Ensuite, la nouvelle (ou très ancienne…) politique de la France exige une équipe de diplomates professionnels, ayant le sens de l’Etat et de la France et sachant être aussi « ronds » qu’intraitables. S’y adjoindrons quelques professionnels du renseignement ainis que des civils et militaires chevronnés disposant de réseaux internationaux « hors cadre ». Pour cela, il va sans dire qu’il faut rétablir le corps diplomatique, et le faire évoluer pour former nos diplomates au renseignement et à l’influence. Certains comprennent l’éminent intérêt du recueil et de l’analyse partagée du renseignement, arrière fond à l’analyse diplomatique qui lui évite de quitter terre, mais cette espèce reste embryonnaire. L’animation par l’ambassadeur, d’un vaste réseau dans son pays de résidence, qui va de soi chez les Anglosaxons et les nordiques, reste trop souvent sujette, en France, à la défiance corporatiste, quand « l’ambass » néglige trop souvent « le barbouze », chef de poste DGSE et ne comprend rien aux travaux de « l’attaché de défense », ces deux-là le tenant pour un naïf inutile, réduit à faire de la représentation dans les salons. Tout cela suppose aussi d’extirper « l’Etat profond » du ministère, et d’éradiquer les réseaux atlantistes trop sensibles aux consignes ou inspirations étrangères et ouvertement supranationaux. La « secte » que forme les réseaux atlantistes incrustés dans l’appareil diplomatique français n’est pas une lubie complotiste. C’est une coagulation au long cours manœuvrée depuis Washington depuis l’après-guerre à coup de hochets universitaires, médiatiques ou financiers qui paralyse toute évolution de notre diplomatie -et va de pair avec un mouvement général de prise de contrôle par la haute administration des mécanismes de pouvoir au détriment de responsables politiques de plus en plus ignorants et qui consentent à leur impuissance.
La secte que forme les réseaux atlantistes incrustés dans l’appareil diplomatique français n’est pas une lubie complotiste. C’est une coagulation au long cours manœuvrée depuis Washington depuis l’après-guerre, à coup de hochets universitaires, médiatiques ou financiers qui paralyse toute évolution de notre diplomatie.

Six principes prioritaires

 Puisqu’on ne peut être partout ni tout faire, il nous incombe de fixer, après nos six principes liminaires, six applications prioritaires : 

1 Le rétablissement de la relation stratégique de la France et de la Russie 

Paris doit opérer un renversement mental et en finir avec le conte infantile du « Grand méchant loup russe ». La Russie n’est pas notre ennemie, Ukraine ou pas. La question est simple : à qui profite le crime ? Pourquoi Moscou s’est-il résolu à arrêter la rue vers l’Est de l’Otan en sachant ce qu’il lui en couterait ? Les sanctions contre l’économie russe comme en Iran ne font que raidir le pouvoir et le contraindre à se « re soviétiser ». La lutte entre courants modérés et conservateurs (représentés par les ministères de force) sont confortés par les sanctions au profit des seconds. Il existe une alliance objective entre Washington et ces courants qui ont besoin d’un ennemi identifié pour justifier leur emprise sur le système et des postures martiales. Nous savons tout cela mais ne voulons pas le voir. Comme nous, la Russie est menacée par le nouveau duopole sino-américain. Elle est la dernière ligne de défense vis-à-vis de l’invasion chinoise, ce qui saute aux yeux.  Nous devons donc prendre l’initiative de siffler la fin de partie en Ukraine et de proposer les bases d’une refondation des équilibres de sécurité en Europe en rappelant l’unicité et l’indivisibilité de la sécurité européenne – exigeant que chaque partie garantisse celle de l’autre et n’augmente pas sa sécurité à son détriment. La Russie doit quitter le territoire ukrainien, mais la protection et l’autonomie culturelle et linguistique des populations des deux républiques séparatistes du Donbass doit être garantie. Paris doit appeler au respect intégral des accords de Minsk par Kiev et refuser de proroger les sanctions contre la Russie. Comme elle le fit dans l’affaire géorgienne en 2008, la France doit s’opposer à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, se dissocier de toutes les sanctions et rétablir une coopération multiforme étroite avec Moscou.

2 Le rééquilibrage de notre relation avec les États-Unis 

Cessons de définir nos positions en fonction de ce que l’on croit que Washington souhaite. La servilité n’engendre aucun respect, seulement le mépris et l’abus de position dominante. Cessons de confondre notre alliance avec l’Amérique avec l’allégeance ou l’alignement. Nous avons des intérêts sécuritaires et économiques propres, nous faisons face à des menaces propres, nous subissons une porosité spécifique avec les foyers de crise ou d’islamisme, notamment au Sahel et plus généralement en Afrique. Il faut être cohérent vis-à-vis de notre vieil Allié et nous en faire enfin respecter. Pour cela une seule solution : oser tracer notre propre chemin. Si le président français, quel qu’il soit, veut faire la différence en Europe et être pris au sérieux dans le monde, il y a une décision emblématique à prendre : la sortie du Commandement militaire intégré de l’OTAN qui mettra un coup d’arrêt à l’implication de nos états-majors dans la planification d’aventures américaines contraires à nos intérêts, notamment en zone indopacifique. En faisant cela, la France changerait ipso facto de catégorie, prenant de l’aplomb et regagnant en surplomb. Elle offre ses bons offices entre Moscou et Washington pour la réparation des dommages causés à l’équilibre stratégique global – en Ukraine bien sûr, mais aussi avec le retrait américain des accords ABM, FNI, SALT… Le modèle impérialiste américain de puissance est mort, mais Washington ne veut pas le savoir, tout en ruinant les mécanismes protecteurs d’un multilatéralisme imparfait mais vital. L’empire a fomenté les révolutions de couleur, les Printemps arabes, la déstabilisation des grands Eats laïcs du Moyen-Orient, tenant l’Europe en rangs serrés via l’OTAN, tout en rêvant de se servir d’elle pour contrer la Chine. Or, tous ces calculs sont faux : aucun n’a produit de stabilité, ni régionale ni globale, mais une destabilisation tous azimuts justifiant sans cesse de nouvelles interventions. Nous devons sortir de ce cercle vicieux au lieu de le cautionner, trouver notre place dans le « contre-monde » qui se structure à grande vitesse, défendre le multilatéralisme, revenir à un certain légalisme face à la stratégie du chaos perpétuel.

3 Une projection au cœur de l’Eurasie pour imposer à la Chine le respect de la France. 

L’Europe mésestime depuis longtemps son intérêt stratégique cardinal consistant à se rapprocher de la Russie pour constituer une masse critique crédible entre Amérique et Chine. L’UE comme la France ne peut ignorer la force de l’intégration eurasienne : si l’UE continue de se tenir à l’écart des projets russe d’Union Eurasiatique Economique (UEE) et chinois de Nouvelle Route de la Soie, la Russie et la Chine se ligueront toujours d’avantage, formant ainsi un contrepoids tentaculaire dangereux face à l’UE qui deviendra quantité négligeable. La peur n’évite pas le danger. L’Europe doit donc mettre en place un mécanisme triangulaire de coopération entre elle, l’UEE et l’architecture des Routes de la Soie en tirant davantage l’Eurasie dans son orbite, mettant en place sans états d’âme un protectionnisme tempéré donc en rupture avec l’idéologie libre échangiste qui règne à Bruxelles. Pourquoi les Américains et les Chinois peuvent ils le faire et pas nous ? 

4 Moyen-Orient : la France devenue « puissance affinitaire » ?

Notre dogmatisme moralisateur à contre-emploi nous a complétement sortis du jeu. Pire encore : nous souffrons d’une gravissime schizophrénie puisque nous appuyons des islamistes inspirateurs d’attentats sur notre sol. La restructuration de notre politique au Moyen-Orient passe donc par l’arrêt définitif des ingérences et de l’imposture des bons sentiments. Jamais nous n’aurions dû prêter la main à la déstabilisation de la Syrie pas plus qu’à celle de la Lybie ou du Yémen. Nous devons le reconnaitre et changer de pied très vite et radicalement. Ce n’est pas perdre la face, c’est cesser de s’enfoncer et reconquérir l’estime des peuples du Levant comme celle de nos partenaires concurrents qui rient de notre entêtement dogmatique suicidaire à l’heure de la reconstruction et de l’évidence d’une souveraineté syrienne sauvée par l’Iran et la Russie de l’hallali djihadiste que l’invasion américaine de l’Irak a largement préparé. Nous devons cesser le soutien en formation et armements à tous les groupuscules islamistes et appuyer l’approche russe d’un Comité constitutionnel représentatif de la diversité ethnique et confessionnelle syrienne. Ne nous en déplaise, c’est aux Syriens de choisir leur dirigeant, pas à nous. Arrêtons-nous par exemple sur le cas de l’Iran, où la France garde une influence  qu’elle doit exploiter. Il faut renouer la relation de confiance par des mesures de coopération concrètes et soutenir sans équivoque la réintégration globale de ce pays. Paris doit refuser de cautionner tout autre accord que le JCPOA (développé ? ) dans sa version première. Aucune pression ne doit nous convaincre d’en étendre la portée aux vecteurs balistiques, de le renégocier ou lui substituer un nouvel accord pour complaire aux exigences sans fin de Washington qui cherche l’affrontement avec Téhéran comme on cherche l’eau dans le désert. Nous devons pousser pour la levée des sanctions européennes et agir activement pour le retour des entreprises européennes dans le pays au lieu de les laisser seules face au spectre des sanctions extraterritoriales américaines. On me retorquera que la pression est trop forte, les amendes potentielles trop insoutenables pour nos banques… Mais pourquoi les payer ? Au nom de quoi tolérer un tel chantage ? Au nom de notre alliance avec Washington ? Traite-t-on ainsi ses alliés ? Non. Ses vassaux dont on ne craint rien, oui. 

5 La refondation de notre politique africaine à rebours du discours de la Baule

 Les Russes et les Chinois sont en train de nous tailler d’énormes croupières dans nos zones d’influence traditionnelles. L’Afrique se sent abandonnée de la France et à juste titre. Notre politique africaine a disparu, dissoute dans un interventionnisme destructeur sous des oripeaux moralisateurs (Libye, Syrie), et parallèlement dans les méandres abscons d’une repentance délirante. Nous sommes coupables sans doute de bien des erreurs, mais surtout de cette rage à battre notre coulpe par dogmatisme et démagogie, jusqu’à réduire toute l’ampleur de notre histoire commune à l’idée d’une « France Afrique » opaque et corrompue. Nos chefs d’État et de gouvernement, depuis une bonne dizaine d’années au moins, se sont complus dans ce renoncement bruyant, ouvrant la voie à l’influence prédatrice d’autres puissances, et nourrissant la critique croissante de nos frères africains, dont la susceptibilité s’est accrue jusqu’à remettre en cause nos liens historiques si précieux, à se sentir abandonnés et méprisés à la fois. Nous avons donc creusé notre propre tombeau en Afrique, ressassant l’illégitimité de notre présence sur le continent, jusqu’à abandonner des positions précieuses pour notre sécurité à la Chine, aux Etats-Unis (comme à Djibouti) ou la Russie, jusqu’à nous dire que nous devions quitter ce continent et nous en faire oublier. Il n’est plus temps de juger le passé. Il est en revanche une évidence : la France ne peut se passer de l’Afrique pas plus que l’Afrique ne peut se passer de la France. Nous sommes intimement liés. Pour que la France soit grande, elle a besoin d’exister et de compter en Afrique. Si elle n’a plus de relations particulières avec l’Afrique, la France redevient un petit pays, elle se coupe les ailes. L’Afrique n’est pas un fardeau, c’est un potentiel immense d’extension de notre influence et de rayonnement. On n’a de toute façon pas le choix pour des raisons démographiques, sécuritaires et économiques. L’indifférence n’est pas une option. Si la France veut rester une grande puissance, elle doit donc redevenir la première en Afrique. La dimension historique mais aussi affective de nos liens doit en conséquence être restaurée de manière dynamique, réhabilitée à notre bénéfice mutuel.  Nous devons aimer l’Afrique comme elle nous aime toujours. Ce n’est pas de la démagogie ni du cynisme, c’est une nécessité. La France est la seule nation capable d’entretenir, avec de nombreux pays africains, au-delà même du périmètre de la Francophonie, des relations de compréhension et de respect ancrées dans le temps et l’histoire. Nous devons rester liés à l’Afrique ; pas comme des prédateurs, pas comme des bienfaiteurs, pas comme des donneurs de leçons arrogants et faibles, comme des amis fidèles, exigeants et utiles. Il faut rebâtir la relation, voir l’Afrique autrement que comme un continent explosant démographiquement et nous menaçant de mouvements migratoires et d’une exportation de la violence djihadiste. Cette « explosion » gigantesque en valeur absolue (1,3 milliards, 2,5 en 2050) doit nous pousser à ne pas abandonner l’Afrique, à l’aider à se développer et à combattre les fléaux bien réels (islamisme, terrorisme, sous-développement) qui la menacent tout autant que nous. Nous sommes dans le même bateau et nous avons besoin les uns des autres. Bref il faut aimer l’Afrique, changer notre regard, lui montrer qu’on la comprend, mais qu’elle doit aussi nous comprendre, et que nous ne pourrons rétablir des liens durables et mutuellement profitables que sur un pied d’égalité, de réciprocité, de respect et de mémoire de ce que nous avons su être les uns pour les autres et de ce que nous voulons être de nouveau. 

6 En Europe, créer un noyau de nations prêtes à agir de manière indépendante 

L’OTAN est une organisation de contrôle politique et économique en même temps qu’une poule aux œufs d’or pour le système militaro-industriel américain. Elle ne protège pas l’Europe, elle l’empêche d’être stratégique et lui vend des armes. L’Europe va se faire manger toute crue si elle ne se décide pas à restaurer les souverainetés de ses éléments pour réassurer et rassurer ses peuples et pouvoir prétendre à construire un nouvel ensemble offensif, résistant et pas seulement résilient. L’Europe doit donc se positionner en pont entre l’Occident et l’empire asiatique. On peut être patriotes et pro-européens. Paris doit cesser de fermer les yeux et d’appuyer sur l’accélérateur européen par principe. Il faut reprendre conscience de nous-mêmes et sortir de l’hypnose, retrouver notre ADN stratégique perdu depuis la fin de la Guerre froide, chercher l’espace stratégique légitime et viable pour re projeter notre puissance et notre influence, chercher à montrer une voie ardue mais salvatrice aux pays de l’Europe du sud au lieu de critiquer leur sursaut d’identité, considérer nos citoyens comme autre chose que des abstractions et des bouts d’universalité. Pour soigner l’Europe, il faut paradoxalement rétablir la crédibilité politique des États européens et cesser de dévaloriser leur aspiration à la souveraineté. La chair du monde est à la fois noueuse et dure, avec des parties molles : l’Europe et ses inconséquences et, au sein de l’Europe la France, dont la maitrise des contestations intérieures vacille. L’Europe n’est qu’un appendice américain aux yeux du monde. Si nous voulons nous affirmer il faut reconstruire notre propre ligne diplomatique et stratégique. La France peut parfaitement se proposer non comme le centre autoproclamé mais comme l’embryon d’une identité européenne stratégique autonome qui doit aller de pair avec un protectionnisme industriel et commercial assumé. 

Si on veut que l’Europe ait un sens, il faut que la France soit forte. Cela veut aussi dire, ne pas renoncer à notre siège au Conseil de Sécurité. Berlin est enfin sorti du bois en novembre 2020 en demandant que notre siège (et donc notre droit de véto) soit mutualisé et devienne européen. C’est un coup de force inacceptable. L’Allemagne souhaite-t-elle sortir de l’Otan, former avec la France l’armature d’une armée européenne crédible ? Évidemment non ! Berlin est en pleine réémergence stratégique et militaire contre la France pour prix de sa rupture énergétique avec Moscou. Mutualiser notre siège sans reformer politiquement en profondeur l’Union et revoir ses mécanismes de décision et de blocage serait le dernier clou dans son cercueil mais aussi dans le nôtre. Nous perdrions à jamais notre autonomie de décision militaire alors qu’elle est déjà grevée par un suivisme coupable. Cette attaque allemande est le signe que toute crédibilité française a disparu. Notre alignement a fini par nous perdre et par autoriser nos concurrents à justifier leur main basse sur notre ultime avantage comparatif. Car il ne faut pas se faire d’illusion : les disparités de puissance économique et financière intra européennes ne disparaitront pas par miracle. Elles vont devenir encore plus visibles et paralysantes. Le rapport de force franco-allemand qui n’est pas à notre avantage se traduira par un poids supérieur des visions allemandes qui sont-elles-mêmes dictées par l’allégeance américaine. Un piège terrifiant. Jamais il ne faut consentir à un abandon ou un partage de ce précieux fauteuil. Si l’Europe doit en avoir un, fort bien. Mais l’Inde aussi alors et nous devrions tout autant l’y aider.  Mais nous gardons le nôtre. C’est un privilège de l’histoire de l’ordre qui s’est établi entre les puissances victorieuses de l‘après-guerre. Un point c’est tout. C’est non négociable.

                        *

Concluons : la renaissance de notre politique étrangère passe par un tournant réaliste sec et l’adoption d’un tout autre état d’esprit. Il nous faut renoncer au conformisme stratégique que l’on pratique faute d’oser sortir de notre zone de confort. Mauriac disait de l’absence de la France à Yalta : « quand on n’est pas à (la) table, c’est qu’on est au menu » Pour l’instant, nos concurrents ont tout juste commencé à saliver et n’en sont pas encore à sucer nos os, mais nous ne sommes à la table que sous forme d’hologramme dématérialisé. Nous passons les plats et nous en contentons. Il nous faut gravir le chemin ardu de l’Europe européenne entre Chine et États-Unis. Sinon nous n’aurons bientôt plus notre mot à dire dans les affaires du monde.

Sur tous les dossiers évoqués, nous avons d’évidentes positions à prendre pour faire bouger les lignes dans le bon sens et nous rendre enfin de nouveau utiles. S’autoproclamer médiateur ne suffit pas. Il faut désobéir, innover, définir une nouvelle ligne, s’y tenir.Vue l’aboulie des Européens sur tous ces sujets, faire la différence n’est pas difficile. Une voix humaine, généreuse et surtout libre. Une voix que le monde a encore envie et besoin d’entendre. 

Voir aussi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici