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Risquer sa vie pour sauver la planète

Entretien avec Elisabeth Schneiter, auteur de Les Héros de l’Environnement (éd. Reporterre / éd. du Seuil)

Après avoir créé le magazine de la Francophonie « Qui Vive », puis le magazine « Rendez-vous en France » pour mieux faire connaître dans le monde les véritables spécificités culturelles françaises, Elisabeth Schneiter est à présent journaliste pour le site Reporterre, média en ligne bien connu qui recense largement les luttes écologiques. Elisabeth Schneiter est notamment l’auteur d’un livre qui marque profondément tous ceux qui le lisent, Les Héros de l’environnement, publié en 2018 au Seuil (cf. présentation ci-après). Nous l’avons rencontrée, et ce fut l’occasion de faire le point sur ce que l’on pourrait appeler la « nébuleuse écologiste » qu’elle connaît de longue date. Sur le sujet, elle est catégorique : les écologistes lucides, honnêtes et sérieux sont rares. Les vrais défenseurs de l’environnement, ceux qui se battent, sont voués à une mort ou une autre : au moins la mort médiatique, souvent la mort sociale, quelquefois la mort tout court… En voici quelques exemples.

Votre ouvrage a ceci d’original qu’il situe la question dite écologique à l’échelle de drames qui ne sont pas collectifs, mais individuels. Nous découvrons avec quelle sauvagerie les multinationales tuent des paysans qui s’opposent au vol de leurs terres pour en exploiter leurs richesses ; avez-vous délibérément choisi cette façon un peu drue, et violente, de poser la grande question environnementale, certes plus parlante que les annonces périodiques de cataclysmes à venir ? Qu’est-ce qui vous a conduite en somme à poser la question environnementale sous cet angle ?

J’ai commencé à écrire pour Reporterre à propos du TAFTA, projet de Traité commercial entre l’Union européenne et les Etats-Unis qui vise à créer un grand marché commun entre les deux zones et toucherait à tous les aspects de nos vies, notamment l’accès aux médicaments, la sécurité alimentaire ou le règlement des différents privés-publics. Il est dénoncé par de nombreuses ONG et une partie de la classe politique qui craignent à bon droit un affaiblissement considérable des normes environnementales et sanitaires européennes, ainsi qu’un affaiblissement des économies locales face au géant américain. Puis j’ai continué à écrire de nombreux articles pour Reporterre, notamment sur les combats de militants assassinés un peu partout à travers le monde, souvent pour avoir fait respecter des lois, ou défendu des paysans ou autochtones massivement pollués et quelquefois chassés de leurs terres par de grands groupes multinationaux. D’où l’idée de leur rendre hommage dans un livre.

L’ouvrage date de 2018, mais il paraît assez simple de l’actualiser. Le rythme de ce qu’il faut bien appeler des persécutions s’est-il poursuivi depuis lors ? Y a-t-il aujourd’hui des régions plus touchées que d’autres ? Et comment expliquer que ces drames soient si peu évoqués et que même les partis écologistes reconnus, qui disposent de relais d’information importants, les évoquent si peu ?

En premier lieu, si les drames dont je parle dans mon livre sont bien des drames individuels, ils s’inscrivent toujours dans une lutte collective : le rapport de Global Witness, sorti fin septembre 2022, indique que près de 2 000 militants écologistes ont été tués au cours des dix dernières années pour avoir tenté de dénoncer la corruption et les abus commis par certaines des industries les plus rentables du monde. Berta Cáceres, assassinée en 2016, et dont l’histoire ouvre mon livre, avait organisé la résistance de son peuple, les Lencas, pour empêcher la construction du barrage hydro[1]électrique Agua Zarca, financé par des fonds internationaux, sur le fleuve Gualcarque, au Honduras.

Ce barrage menaçait tout simplement la survie physique de plusieurs villages, et la survie spirituelle de tout un peuple. Ces drames ne font pas l’objet de grands articles car, comme vous le savez, les grands médias en France sont sous contrôle – soit officiel, comme les chaînes d’Etat, soit détenus par des oligarques. On n’y trouve donc que rarement des articles pertinents sur un sujet qui pourrait déplaire à leurs propriétaires, sponsors, ou annonceurs publicitaires. Il faut consulter des médias comme Reporterre ou Basta ! pour une information plus réaliste. Il y a néanmoins, parfois, des documentaires, comme Green Blood, une mini-série diffusée en 2020 sur France 5, réalisée par le collectif «Forbidden Stories», des journalistes qui continuent les enquêtes de reporters menacés ou tués parce qu’ils informaient sur les pratiques criminelles des industries – en l’occurrence l’industrie minière…

Dans cet ordre d’idées, pouvez-vous nous dire ce qui fait la particularité du magazine auquel vous collaborez, Reporterre ?

Reporterre est un média indépendant, financé par ses lecteurs. Il est en accès libre, sans publicité, ce qui lui donne une totale liberté. Il évoque l’urgence écologique sous toutes ses formes, en mettant l’accent sur les luttes spécifiquement environnementales. Le journal est géré par une association d’intérêt général à but non lucratif, mais emploie une équipe de journalistes professionnels.

Le péruvienne Máxima Acuña de Chaupe devenue un symbole de la lutte contre les multinationales qui, sur tout les continents, chassent les paysans de leurs terres.

Finalement, que sont et que veulent les vrais écologistes – vrais, par opposition aux écologistes de salon, ou ceux qui font de l’inquiétude environnementale une mine électorale ?

Face aux dégradations de plus en plus irréversibles de nos écosystèmes les plus indispensables, les authentiques défenseurs de l’environnement demandent urgemment le respect de la biosphère, des espèces vivantes, des communautés biotiques. Ils espèrent pouvoir retrouver des écosystèmes en bonne santé, et un mode de vie humaine réellement « soutenable », compatible avec la démocratie, favorisant la liberté individuelle et collective. Face aux appétits de plus en plus démesurés de grandes entreprises qui consomment et exploitent de façon irréversible les ressources planétaires communes, ces vrais écologistes demandent l’identification et la punition des coupables.

Dans un documentaire paru en septembre dernier, L’illusion de l’abondance, Randolfe Rodrigues, sénateur brésilien, pose la question cruciale : « si les PDG des très grandes entreprises ne sont pas tenus pour responsables des drames causés par leur politique industrielle, qui alors est responsable ? ». Le documentaire suit les combats juridiques de trois femmes exemplaires : Carolina attaque en justice pour crimes environnementaux Tüv Süd AG, société allemande d’audit de sécurité, impliquée dans l’effondrement meurtrier du barrage de Brumadinho, en 2019 – drame prévisible qui a enseveli un village rural et répandu des déchets miniers dans toute la région minière de Minas Gerais, au Brésil ; Bertita attaque la banque néerlandaise FMO depuis la région indigène Lenca du Honduras ; Màxima résiste au plus grand groupe minier aurifère du monde, Newmont, qui prétend l’expulser de sa maison et de sa terre, situées à 4000 mètres d’altitude dans les montagnes reculées du Pérou.

Vous vous êtes engagée depuis longtemps dans le combat environnemental – dès les années 70 si j’ai bonne mémoire. De quel œil suivez-vous l’évolution de ce qu’il est convenu d’appeler le combat écologique, dont bien des militants sont loin, eux, de risquer leur vie pour sauver la planète ?

Les vrais écologistes existent toujours. Et ceux qui sont considérés par les entreprises comme des menaces se font tuer, emprisonner ou harceler, suivant les pays. Aux Etats-Unis, les dirigeants de la société pétrolière Chevron harcèlent et tentent d’éliminer (de point de vue professionnel, s’entend) l’avocat Steven Donziger, dont je raconte l’histoire dans mon livre. Ils ont réussi à le faire abusivement rayer de l’Ordre des avocats de New York. Pensons également à Ralph Nader, avocat américain lui aussi qui, dans les années 1970, avait réussi à faire voter des lois obligeant les industriels à respecter des normes de sécurité.

Entre 1966 et 1973, le Congrès avait adopté 25 textes de loi sur la consommation, auxquels Nader a contribué dans leur quasi-totalité. Il était l’homme le plus respecté du pays. Aujourd’hui c’est une sorte de paria. « La pression exercée par les sociétés comme General Motors, les compagnies pétrolières et les sociétés pharmaceutiques sur les rédacteurs en chef, et probablement sur les éditeurs, a créé une sorte de fatwa médiatique », expliquait-il en 2010 à Chris Hedges, du magazine Truthdig. Reconnaissons que certains de ces héros sont des citoyens états-uniens : le capitaine Paul Watson, fondateur en 1977 de l’ONG Sea Shepherd, qui mène depuis lors une protection active et déterminée de la vie marine et de nos océans, notamment pour sauver les baleines, a été conduit à démissionner de la section américaine de son mouvement, lequel fut peu à peu infiltré et finalement contrôlé par des faux-nez pseudo-écologistes qui prônent, eux, une action sans confrontation directe avec les criminels des mers. On voit de plus en plus apparaître toute sortes d’éco-opportunistes, prêcheurs de consensus, qui viennent « faire le buzz », plaire et divertir, pour occulter les dangers immenses et l’urgence d’y faire face. Applaudis et financés par le monde industriel, ils détournent ainsi les gens du véritable combat en proposant des actions stériles, souvent purement médiatiques, sans action directe ni confrontation avec les entreprises impliquées, lesquelles agissent tout à l’aise, à l’abri de ces opérations de diversion.

Retrouvez la suite de cet entretien dans le numéro IX du Nouveau Conservateur.

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