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Onfray et l’art contemporain

Une lecture de Jean-Gérard Lapacherie

Michel Onfray, Les raisons de l’art

(Albin Michel, 2021, 176 pages)

L’essentiel de ce livre est consacré à l’art contemporain, comme l’annonce l’image de couverture, Not Afraid of Love, de Maurizio Cattelan. Le titre laissait augurer raison, connaissances, détachement ; il dissimule un plaidoyer passionné. 40000 ans d’histoire en quelques dizaines pages et plus de cent pages pour l’art des années 1917-2017. La phrase mise en exergue indique les intentions : « L’art contemporain est une langue à laquelle il faut être initié ». De l’introduction à la conclusion et dans les 13 chapitres qui forment le livre, Michel Onfray critique les détracteurs de l’art contemporain, dont la pensée est ramenée à des répulsions obsessionnelles : l’art est mort, le Beau n’est plus recherché, l’art contemporain est à jeter à la poubelle. Les raisons de l’art cache un exposé engagé : ce n’est pas l’engagement qui est critiquable, mais le fait qu’il soit caché. Ainsi, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles trente pages et de nombreuses illustrations sont consacrées dans le chapitre 8, « Le dionysiaque » (pp. 64 à 93), à l’art dégénéré et surtout à la répulsion que suscitaient chez les dignitaires du IIIe Reich des œuvres qui n’étaient montrées que pour être conspuées, comme si Michel Onfray étendait aux détracteurs de l’art contemporain la très convenue reductio ad hitlerum.

Dans les peintures rupestres, de – 40000 (Chauvet) à – 6000, la catégorie esthétique du Beau, que Kant et Hegel ont vulgarisée, est absente ; il y aurait seulement un élan vital, comme dans les mains négatives ou positives peintes sur les parois. L’art n’est pas lié au Beau, sinon par accident dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais au sens, à la construction de significations diverses, à la communication par symboles, allégories, signes.

Michel Onfray en rend compte par des concepts (le dionysiaque, l’iconique, le spectaculaire), ce qui le conduit à justifier l’art conceptuel et toutes les installations ou autres formes ironiques qui ont besoin de longs discours, souvent fumeux, pour expliquer pourquoi un tas de charbon, de la poussière ou des excréments sont de l’art.

Le livre est écrit avec talent, mais le talent cache mal les faiblesses de la thèse. Par exemple, l’art n’est jamais défini, comme si la chose allait de soi : les saintes images, celles qui sont exposées dans les églises pour inciter les fidèles à la dévotion, ne relèvent pas du même phénomène que les tableaux de Chardin ou de Monet. De plus, une rupture a brisé au XXe siècle l’unité de l’art moderne, séparant à jamais l’art moderne, dont relève la peinture de Picasso, de ce qui est nommé le contemporain où sont regroupés les continuateurs de Duchamp ou de Warhol.

Le contemporain n’est plus de l’art, mais du travail, des propositions, des concepts, du brassage d’idées, de la parlote, et tout ce qu’on voudra d’autre, spéculation financière, attrape-nigauds, etc. Or, rien de tel n’apparaît dans le livre. L’académisme, dont les artistes du XXe siècle prétendent s’être affranchis, n’est jamais étudié. Or, un académisme de type nouveau, soutenu par la critique et les institutions (musées, galeries, spéculateurs, curateurs, etc.), sous-tend une grande partie du contemporain. Plutôt que d’éclairer les lecteurs sur ce phénomène, Michel Onfray se contente d’opposer les bons artistes aux mauvais, ramenant l’art à une affaire de goût, multipliant les points d’exclamation, comme pour exprimer son impuissance. Certes, la transformation des œuvres contemporaines en valeurs monnayables est brillamment analysée, les collectionneurs profitant du marché pour décupler en quelques années leurs valeurs, mais cette analyse tient une place restreinte. En fait, Michel Onfray est un vrai conservateur.

Jean-Gérard Lapacherie

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