Par Maud Koffler
L’adaptation par Denis Imbert du livre de Sylvain Tesson, Les Chemins noirs, est sortie le 22 mars sur nos écrans. Jean Dujardin y incarne le héros du livre qui est en quelque sorte le double de l’auteur, âgé de cinquante ans, comme lui. « C’est un film buissonnier, comme une escapade qui offre aux spectateurs une pause dans l’incessant vacarme du monde. », a écrit Olivier Delcroix dans Le Figaro. Souvenez-vous, en août 2014, Sylvain Tesson l’aventurier se retrouve à l’hôpital dans un état grave, après avoir chuté de huit mètres en escaladant un chalet du côté de Chamonix. Plongé dans un coma artificiel, il survécut et se lança un défi à lui-même : celui de traverser la France à pied par les chemins vicinaux que l’on appelle les chemins noirs.
Cette traversée à pied de 1 300 km du Mercantour dans les Alpes-Maritimes, jusqu’au Mont Saint-Michel et la Hague dans la Manche ne pouvait laisser indifférente Maud Koffler, reporter-photographe qui arpente régulièrement les routes de France, un petit drapeau tricolore planté dans le cadre de son vélo de course. Celle qui témoigne régulièrement, notamment sur les réseaux sociaux en diffusant des textes, des images et des vidéos retraçant pas à pas sa lente exploration de la France avec ses contours, ses vallées, ses monts et merveilles, ses églises de villages et ses bistrots qui racontent la France d’en bas, s’est émue en regardant Les Chemins noirs.
Nous publions ses impressions, comme un poème dédié à la vie et au courage.
G.B.
*
J’ai honte parce que je suis allée voir ce film avant d’avoir lu le livre.
Et ce fut sans doute comme partir en randonnée avec des chaussures neuves.
Ma première réaction lorsque l’écran s’est éteint fut même d’imaginer que ces paysages eurent été plus joliment écrits que filmés. Qu’on aurait sans doute davantage souffert de lire ces larmes que de les regarder couler. De toute façon, je n’y allais pas en pensant que ce serait le film de l’année. J’y allais en pensant qu’il me conforterait dans ma folie d’exil.
Je voulais entendre ce cri venu d’un autre monde, de derrière les cimes, qui te dit : barre-toi. La France t’attend. Pas les Français, pas les urnes, pas l’Histoire : la France.
Sylvain Tesson a rendu quelque chose de possible. Il a ouvert des chemins.
Il y a versé sa sueur, son sang, ses larmes et son encre parce que la France le réclamait.
Elle était assoiffée de témoignages d’amour.
Elle avait besoin qu’on l’éprouve, qu’on l’étreigne, qu’on se casse
la gueule pour nous aider à nous relever.
Et je vous assure qu’en descendant les marches de la salle de cinéma,
je me suis sentie plus morte que vivante. J’ai cherché l’air, le ciel, les arbres.
J’ai quitté ce monde débile, ce que je cherche à faire tout le temps en disant
à mes potes et à ma famille que « je pars », « mais tu pars où ? »,
« je ne sais pas, loin », « mais tu reviens quand ? »,
« tout à l’heure, demain, dans un mois, jamais »…
Et soudain, la nuit est tombée. Pas dehors, il fait encore jour à 20h.
Mais en soi, il se faisait déjà tard.
C’est cet instant tragique où vous vous apercevez que la vie va beaucoup trop vite.
Alors vous montez sur votre scooter, vous démarrez en trombes, vous dévalez la rue Claude Bernard – la tête dans les nuages, vous passez devant Le Café d’Avant, vous voudriez vous arrêter mais vous ne pouvez pas parce que vous êtes en retard.
Et parce que ça va trop vite.
Vous vous rappelez de cette nuit où vous étiez complètement bourrée, à pleine vitesse dans la ville, les feux n’avaient aucune couleur, ou plutôt si : ils étaient tous rouges.
Mais là, à ce moment précis, vous êtes sobre et vous roulez vite quand même.
Personne ne vous attend, pourtant, mais vous réalisez que vous
avez passé votre courte vie à vous manquer vous-même et qu’il s’agirait de
vous donner rendez-vous, un jour.
Voilà.
Ce n’est pas un grand film.
Mais c’est une grande histoire qui conduit à une formidable ivresse.
Il ne s’agit pas de renier le monde moderne, il s’agit simplement de s’en évader quelque temps pour retrouver aux confins du pays tout ce que les écrans ne nous offriront jamais :
les parfums, les matières, les blessures et la vie.
Ce film n’est pas à voir. Il est à vivre.
Photo (C) Maud Koffler