La Lecture de Jean-Gérard Lapacherie
Jean-François Chemain a une carrière étonnante. Diplômé de Sciences Po Paris, après avoir été consultant et cadre dans des entreprises, il a décidé, âgé d’une quarantaine d’années, de devenir enseignant. Agrégé d’histoire, il a exercé dans des collèges classés en Zone d’Éducation Prioritaire et dont les élèves sont pour une majorité d’entre eux des immigrés ou des enfants de parents immigrés. Son ambition est de faire aimer l’histoire de France et la France à des élèves musulmans. Avec l’association La France, quelle Histoire ! de Seine-Saint-Denis, il encadre des visites de ce département, ouvertes aux élèves et à leurs parents, dans les lieux de mémoire (cathédrales, abbayes, palais, etc.) où s’est faite l’histoire de France. Son expérience lui a appris que cette jeunesse « peut aimer la France, même si ce n’est pas un défi facile à relever par les éducateurs ». C’est de cela qu’il témoigne dans ce livre, qu’il présente comme une réaction à l’éloge du professeur Samuel Paty prononcé par le Président de la République : « Faire des républicains, c’était le combat de Samuel Paty ». La thèse du livre est dans le titre : la France ne se réduit pas à la République, ce qui, hélas, n’est plus une évidence, les républicains ayant pris l’habitude de faire commencer l’histoire de la France en 1789 et 1792. Jean-François Chemain juge bon de rappeler que la France préexiste à la République, que son patrimoine est multiséculaire, que les Français ne parlent pas le républicain, mais le français, langue qui existe depuis un millénaire. En fait, il inverse l’ordre des origines : c’est la République qui procède de la France et, si la République est laïque, c’est parce que la France est catholique. La République tient à la France par plus de fils qu’on ne le croit : elle est aussi la fille de l’absolutisme. Ce que montre Jean-François Chemain, c’est que la République n’aime pas la France, accusée de tous les maux et contrainte de se repentir chaque jour de continuer à exister. L’analyse la plus neuve porte sur la prégnance de l’idéologie. La République est une doctrine religieuse, qui a ses clercs, influents et nombreux, qui a des dévots, réunis dans des partis puissants et qui diffuse et impose des valeurs (partage, respect, repentance, vivre-ensemble, vertu) qui sont celles du christianisme. Il est impossible de faire aimer cette République-là à des croyants musulmans. Elle ressemble à une religion – un christianisme dévoyé ou devenu fou – qui nourrit l’ambition de rééduquer les Français à la vertu, qu’elle soit idéologique, écologique, comportementale, antiraciste, hygiéniste, sanitaire, sexuelle. Jean-François Chemain est cultivé ; il a lu Philippe Muray, dont il partage l’aversion pour les modernes à tout crin, les postmodernes de tout genre.
Jean-Gérard Lapacherie
Jean-François Chemain, Non, la France, ce n’est pas seulement la République (Artège, 2021, 142 pages
