par Gilles Brochard
Comment ne pas aimer la langue savoureuse de l’animateur zélé de Service littéraire, François Cérésa, écrivain si français qui ne s’embarrasse pas de litotes pour dire ce qu’il aime, ce qu’il vénère et tout ce qui le désespère dans une société qu’il ne reconnaît plus ? Son Dictionnaire amoureux du panache (52 entrées, de Jacques Anquetil à Louise de Vilmorin) est avant tout un hymne à la France, sauce épicée.
« Tout homme qui écrit, et qui écrit bien, sert la France »
De Gaulle à André Malraux (Les Chênes qu’on abat).
Après avoir écrit une trentaine de livres dans toutes sortes de disciplines, François Cérésa était bien le seul de sa génération (il est né en juin 1953) à crier son hymne au panache français. Son ouvrage chante ceux qui se sont fait ou qui se font une certaine idée de la vie, du dépassement de soi, qui savent s’exalter et rire de tout sans fausse pudeur. « Le panache, s’ajoutant à la grandeur, englobe une existence morale de la liberté et une philosophie du sacrifice », note-t-il. Cérésa aime les êtres qui ont de la cuirasse, de l’esprit et de la désinvolture. « Sachez-le, bonnes gens, s’enthousiasme t-il, depuis que le monde est monde, depuis qu’Adam s’est fait piquer une côte pour créer Ève, jusqu’à Napoléon attendant Grouchy à Waterloo, jusqu’à aujourd’hui où l’on nous bassine avec la cancel culture, les islamo-gauchistes, les glorificateurs de la victimisation, les LGBT et les minoritaires qui traitent de fascistes ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, toutes les grandes affaires qui ont foiré étaient basées sur la confiance. »
Bref : « Il ne faut faire confiance à personne ». En cela, Jean Gabin est un modèle. Il incarne « la France d’avant, celle des irréductibles, des vrais rêveurs, des résistants, la France éternelle. Avec son courage, ses coups de gueule, son brio ». À l’opposé de tous ces « fâcheux, américanisés jusqu’à la gauche qui veulent supprimer la fête de Noël et ses sapins, le Tour de France et le souvenir d’Austerlitz, la barbaque et Astérix, Colbert et l’Histoire de France. »
Remontant le temps, Cérésa célèbre Athos, mousquetaire du roi, inclassable et flamboyant, qui « boit comme le Monsieur Jadis de Blondin et frappe sans pitié comme Jean Gabin dans Le Quai des brumes. » Dans la lignée, Cérésa s’empare du duelliste Clemenceau (douze duels à son actif) : Envers et contre tout, il garde le goût du combat solitaire. C’est le Churchill français. Dans un tout autre style, très grand siècle sans doute, Cérésa sort de son chapeau l’académicien Maurice Druon qu’il rencontra pendant le tournage des Rois maudits alors qu’il était le jeune assistant de Claude Barma, génial réalisateur, assistant à la postsynchronisation avec Jean Piat et l’inestimable Geneviève Casile. De Druon, il aimait le ton à la Guitry, son amour de la France, son élégance de Grand d’Espagne. Il n’avait pas de panache, il était le panache : exagéré, outré, haut en couleur.
On ne s’étonnera pas de trouver dans cet abécédaire la Légion étrangère, hommage déguisé à son grand-père, Domenico Ceresa, engagé en 1914 dans la légion garibaldienne, un an avant que l’Italie n’entre en guerre contre l’Autriche. Dissoute en 1915, le grand-père se retrouve dans la Légion étrangère qui poursuivit la guerre jusqu’en 1918. De son aïeul, Cérésa a gardé une nostalgie du sens de l’honneur et de l’esprit de chevalerie, notions aujourd’hui surannées, voire méprisées par les nihilistes de la déconstruction. Quand de Gaulle, après la tentative de putsch d’avril 1961 par le 1er régiment de parachutistes, voulut supprimer la Légion, Pierre Mesmer, ancien de la Légion qui combattait au sein des Forces françaises libres s’y opposa : « Pas la Légion, mon général ! »
Le service littéraire est un service politique
Mais le panache, c’est aussi l’éloge des esprits libres qui font flamber les mots, « le génie de la vie », selon le mot de George Sand à propos d’Alexandre Dumas, à quoi, en écho, Hugo renchérissait : « Dumas, c’est un semeur de civilisation. Son nom est plus que français, il est européen. Il est plus qu’européen, il est universel. » Dumas était un collectionneur de femmes, de duels et de monnaies sonnantes et trébuchantes. Si, en 1830, il fit le coup de feu avec les insurgés, en 1848 il a été battu aux élections. L’ami des aristos qui ne cache pas son admiration pour l’Empire, relève Cérésa, est un républicain. Il est vrai que, lorsqu’on lui demandait ce qu’était l’Histoire à ses yeux, il rétorquait : un clou auquel il accrochait ses romans. Une vraie force de la nature qui semblait vivre les aventures de ses héros. Et Cérésa, qui aime sa bonne humeur et sa capacité à aimer, de conclure, enthousiaste : Ne pas aimer Dumas est un crime de lèse-romanesque. Puisqu’on l’a sottement relégué au rang des auteurs pour ados, à côté de Melville et de Defoe, mais il est à la fois Aristophane et Vatel, Dostoïevski et Pirandello. Le créateur du roman populaire. Le roi de la comédie inhumaine.
Le 14 mars 1590, à la bataille d’Ivry, Henri IV avait lancé son fameux cri : « Ralliez-vous à mon panache blanc ! » Et l’on sait depuis Cyrano que « le panache, c’est la victoire de l’esprit qui voltige sur la carcasse qui tremble ». On est chevalier où on ne l’est pas. Pas de hasard si de Gaulle, Romain Gary, Jean Moulin, Charette, Chevènement et Belmondo figurent dans ce dictionnaire. Chacun aurait pu clamer les vers de Cyrano : « Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas / N’importe : je me bats ! Je me bats ! Je me bats ! »
Dictionnaire égoïste du panache français, de François Cérésa, Le Cherche midi, 400 pages, 22 €.