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Le cinéma, entre frivolité et propagande

Entretien avec Laurent Dandrieu 

Dans son «Libre Journal» du 18 Octobre 2023 sur Radio Courtoisie, Catherine Rouvier a invité Laurent Dandrieu, critique et essayiste, distingué en 2021 par l’Académie française pour son livre La Confrérie des Intranquilles (éd. de l’Homme Nouveau ), qui est par ailleurs, depuis de nombreuses an-nées, directeur en chef des pages Culture de Valeurs Actuelles. A la suite de cette émission, Catherine Rouvier a demandé à Laurent Dandrieu d’évoquer pour nous son dernier livre Une cinémathèque idéale; que regarder en famille de 5 à 16 ans (éd. Critérion, 253 p)? Occasion de prendre un peu de recul sur le cinématographe devenu «cinéma», ce septième art indiscutable mais sans cesse guetté par la frivolité (le «cinoche») et/ou la propagande, plus fréquente qu’on ne croit et moins facile à détecter qu’elle ne l’est dans les arts majeurs…

Vous aviez écrit en 2013 un Dictionnaire passionné du cinéma, 6.000 films à voir ou à fuir (éd. L’Homme Nouveau ). Ce «à voir ou à fuir » sous-entendait qu’il ne s’agissait pas d’une anthologie et que vous faisiez un tri. Votre but était-il de faire partager votre passion, y compris aux nombreux chrétiens pour qui le cinéma apporte frivolité ou complaisance envers le crime? Et de lever les préventions de ceux qui y voient un outil de propagande puisque, comme dit Gustave le Bon, « la foule pense par images », en facilitant leur choix de bons films ?

Tout d’abord, mon Dictionnaire passionné du cinéma, même s’il était – comme tout ce que je publie – écrit d’un point de vue chrétien, n’était pas destiné spécifiquement au public chrétien, mais à tous les lecteurs de bonne volonté soucieux, quand ils regardent des films, de faire des choix éclairés et de regarder des choses qui leur enrichissent l’âme et l’esprit plutôt que de leur faire perdre leur temps dans des divertissements oiseux, dont souvent on peut avoir un peu honte après en avoir profité. Je ne sais pas s’il existe encore cette méfiance envers le cinéma dont vous parlez dans les milieux chrétiens. Mais je pense fondamentalement que le cinéma, comme le roman, peut être « ce miroir qu’on promène le long du chemin » dont parle Stendhal, qu’il peut nous aider à réfléchir sur nos vies, sur ce que c’est que d’être un homme, de mener une vie bonne – ou bien d’oublier de la mener ! Je crois aussi qu’il peut, quand il est à son meilleur, non seulement enrichir l’intelligence mais élever l’âme, nous rappeler que, pour parler comme Shakespeare, « il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve notre philosophie » trop souvent matérialiste ; art de l’incarnation, le cinéma peut être aussi un excellent moyen de suggérer l’existence de l’invisible !

 Mais dans mon Dictionnaire passionné, comme dans les critiques que j’écris chaque semaine dans Valeurs actuelles, j’ai voulu rappeler que le cinéma était aussi, et de plus en plus avec l’arrivée de ce qu’on appelle le wokisme, un champ de bataille idéologique, le terrain privilégié de toutes les déconstructions, où on essaye souvent de nous faire passer en douce, dissimulé dans la guimauve d’un spectacle agréable ou émouvant, le poison d’un relativisme destructeur. Je pense que, faute de prendre le cinéma au sérieux comme un art véritable, trop de spectateurs se laissent prendre à ce piège : cela fait partie du rôle du critique que d’alerter sur ces messages cachés et de leur apprendre à les repérer.

Cette fois, c’est au public enfantin et adolescent que vous destinez ce livre. Pourquoi ? Quelle est l’histoire de la rencontre de vous-même enfant puis adolescent avec le cinéma ?

C’est d’abord un plaidoyer pour regarder des films ensemble, en famille, pour bâtir par ce moyen une culture commune qui cimente l’unité familiale et aussi pour ouvrir des espaces de discussion à propos des enjeux moraux, philosophiques ou religieux que peuvent contenir les films que je propose. Pour ma part, c’est en effet en famille que j’ai découvert le cinéma, enfant, autour du bon vieux poste de télévision (en noir et blanc, au début !) qui constituait l’unique source d’images du foyer, à l’époque. On laissait généralement le petit dernier que j’étais s’agréger au public plus âgé de ses frères et sœurs, sauf évidemment quand le film contenait des choses choquantes : mais j’ai découvert ainsi beaucoup de classiques qui théoriquement « n’étaient pas de mon âge » et auxquels je ne comprenais pas forcément tout, mais que j’étais heureux d’avoir vu en famille. Et d’autant plus que les films pouvaient être ensuite l’objet de discussions animées autour de la table familiale !

 Mais je pense avoir conçu ce livre plus pour les parents que pour leurs enfants. Je crois que dans ces séances familiales, les parents doivent être moteurs : d’abord parce qu’ils restent les seuls juges du caractère adéquat ou non du film choisi par rapport non seulement à l’âge, mais aussi à la maturité et à la sensibilité particulière de leurs enfants. Mais aussi parce que, dans leur immense majorité, les enfants vont avoir tendance à aller vers ce qu’ils connaissent déjà, à chercher quelque chose qui ressemble à ce qu’ils ont déjà apprécié. L’intérêt de ces séances familiales est aussi de permettre aux parents d’aiguiller la curiosité de leurs enfants, de les entraîner vers des terrains où ils n’auraient pas spontanément envie d’aller – cela vaut notamment pour les vieux films, plus encore en noir et blanc : une solide recommandation familiale, bien argumentée, peut aider les enfants à dépasser leurs préjugés sur ce point et sur d’autres.

Les films sont classés par thème mais aussi par âge. Or ma préférence va aux films pour les 8 ans : La belle américaine, La grande vadrouille, Le Corniaud! En revanche, certains Hitchkock du chapitre « Sueurs froides » recommandés aux 14 ou 16 ans m’effrayaient à 25 ans passés. Peut-on dire que votre choix est celui d’un homme plus audacieux et moins émotif qu’une femme et qu’une mère ?

Il me semble qu’il faut éviter ici les généralisations abusives : il y a des femmes émotives qui comme vous préfèrent les comédies familiales et enfantines, il y en a aussi beaucoup qui préfèrent des boissons plus fortes ! Et je connais bien des couples où c’est la femme qui aime les films un peu durs quand le mari préfère aller vérifier s’il y a des bières au frigo quand le suspense devient un peu trop tendu… D’ailleurs, pour éviter un biais trop masculin (le male gaze comme on dit aujourd’hui), je me suis entouré pour rédiger mes avis de conseillers dont beaucoup étaient des mères de famille, qui n’ont pas paru horrifiées par l’audace de mes choix…

On trouve dans votre livre les meilleurs films comiques français à l’humour truculent, fin, parfois sarcastique. Ainsi le Viager, Le Caire nid d’espions, les Tontons flingueurs ou les Visiteurs. Mais, là encore, vous faites un choix: Le Père Noël est une ordure n’est pas cité. Il dépasse les limites ?

  Il me semble que, comme son titre l’indique, Le Père Noël est une ordure est typique de ce moment où l’on bascule d’un rire bienveillant, un rire d’empathie, à un rire de dérision, où l’on rit contre les personnages, des personnages que l’on méprise, finalement. C’est un comique qui peut être très drôle, mais dont on sort toujours un peu triste, un peu désabusé, avec l’idée que le genre humain, finalement, est décidément quelque chose de bien moche et de bien médiocre. De manière générale, et a fortiori dans un guide à destination familiale, j’ai tendance à privilégier un rire qui a plus de noblesse, comme celui des films français que vous citez, mais aussi des classiques de la comédie hollywoodiennes, les Chaplin, les Keaton, les Lubitsch et les Capra. Et cette comédie italienne dont, justement, la caractéristique dominante est l’empathie pour les personnages, et surtout pour les humiliés de l’existence, fussent-ils ridicules ou misérables.

L’attachement de nos réalisateurs aux lieux emblématiques de notre patrimoine est patent : Sacha Guitry jadis avec Si Versailles m’était conté ou Jean-Pierre Jeunet, plus récemmennt avec le Montmartre rétro du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. La beauté est-elle un critère?

Bien sûr, parce que l’art doit être aussi, naturellement, une éducation du regard et un moyen d’aller au vrai par le beau. Mais justement, le cinéma peut être un bon moyen de nous révéler que la beauté, ce n’est pas seulement Versailles ou Montmartre, qu’on peut la trouver aussi sur les docks, dans un paysage industriel ou urbain qu’on ne sait pas regarder, dans un détail qu’on aurait pu croire insignifiant ou bien sûr dans un geste de délicatesse inattendu ou un sourire qui illumine un visage dit « ingrat »…

La suite de cette analyse est à retrouver dans le numéro XII du Nouveau Conservateur.

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