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Le 23ème Prix Combourg est décerné à Maurice Barrès, le grand inconnu

Par Philippe de Saint Robert

Légende : Philippe de Saint Robert entouré de Sonia de la Tour du Pin, de son fils Guy et d'Hervé Louboutin, organisateur du prix.

Comme un rituel, ce prix littéraire est décerné en octobre  dans le grand salon du château de Combourg, dans le bourg du même nom (Île-et-Vilaine), situé à mi-chemin entre Rennes et Saint-Malo.

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     Cette année, Chateaubriand a rencontré Maurice Barrès. Car le 23e Prix Combourg, présidé par Philippe de Saint Robert – à la tête de l’Académie Chateaubriand – vient d’honorer Emmanuel Godo, l’auteur de la biographie monumentale Maurice Barrès, le grand inconnu, 1862-1923 (éd. Tallandier). Ainsi ce professeur des classes préparatoires au lycée Henri IV à Paris a reçu son prix des mains de Guy de la Tour du Pin, propriétaire du château de Combourg, qui lui a offert une édition originale d’un livre de Chateaubriand. Est-il utile de rappeler que François-René de Chateaubriand s’applique dans ses Mémoires d’outre-tombe à évoquer les douze années qu’il aura passées dans ce château tourmenté que découvriront Maxime du Camp en 1848 ainsi que son ami Gustave Flaubert et que Maurice Barrès lui-même qualifiera d' »épreuve de pierre d’un chef-d’œuvre verbal. »

     Avec fierté, nous publions en exclusivité le discours élogieux que notre collaborateur, Philippe de Saint Robert, a prononcé dans le grand salon du château.

                                                                                                        Gilles Brochard

Monsieur,

Barrès, je pense, n’est pas tant inconnu, que méconnu. C’est toujours apparemment un méconnu qui attend sa Pléiade chez Gallimard où l’on publie aujourd’hui de bien moindres auteurs. Aussi soyez remercié ici, au nom de Chateaubriand, pour l’ouvrage que vous venez de lui consacrer  en ce centième anniversaire de sa mort précoce, en décembre 1923, à l’âge de 62 ans. Votre ouvrage est plus et autre chose qu’une simple biographie. « J’ai voulu dans ce livre, écrivez-vous, donner aux œuvres de Barrès la place qu’elles méritent, les restituer dans leur dimension expérimentale voire maïeutique, comme autant d’essais tentés par un homme non seulement pour comprendre le sens de sa vie, mais encore pour l’orienter, pour l’infléchir, l’ajuster. » Et ajoutez-vous, « en insufflant [dans la société] un état d’esprit qui lui fait défaut, un supplément d’âme. »

Un ressentiment veut aujourd’hui encore faire peser, non seulement sur sa mémoire, mais sur l’œuvre de l’écrivain, une chape de méchanceté recuite. L’affaire Dreyfus, effet indirect de la défaite de 1870, a été l’erreur judiciaire de toute la France – opinion publique, journalistes hystérisés, politiciens incités à se quereller, justice trompée. Dreyfus condamné, « Barrès rejoint le cortège des dénonciateurs, lui qui sait, mieux qu’un autre, que la haine emporte tout. »  Il s’en est fallu de peu que Jaurès aussi ne se fourvoie, mais personne n’en parle. Aussitôt Dreyfus innocenté, Barrès, à la différence de Maurras qui s’entêtera toute sa vie, tourne cette page douloureuse des erreurs judiciaires en pleine Chambre des députés et déclare : «  Depuis vingt-quatre heures, par une autre vérité judiciaire, il est innocent. C’est une grande leçon, Messieurs, je ne dis pas de scepticisme, mais de relativisme qui nous invite à modérer nos passions. »

Redonner le sens du sacré à un monde engagé pour sa perte

En 1997, dans la collection « Acteurs de l’histoire », dirigée par Georges Duby, l’Imprimerie nationale réédite Les grandes familles spirituelles de la France, publiées par Barrès en 1917. Les Israélites y figurent en bonne place. C’est le « déterminisme biologique, écrit Pierre Milza dans sa présentation, de la nation et des communautés qu’elle abrite qui se trouve remis en question par Barrès, à la lumière des événements de 1914-1918. » Maurice Barrès s’attache alors au destin d’un jeune normalien, Roger Cahan, tombé en Argone, au premier jour de la guerre et dont il nous dit : «  Roger Cahan est justifié par Pascal. » Ce n’est d’ailleurs pas sans surprise et sans bonheur que vous nous montrez l’importance de Pascal dans la pensée de Barrès, qui à bien des égards, peut nous sembler désinvolte lorsqu’on trouve dans ses Cahiers cette note étonnante : « Je ne sais pas la vérité de la religion, mais je l’aime ». Vous ajoutez : « Il n’est pas abusif de dire que Barrès a fixé comme objectif à son œuvre de redonner le sens du sacré à un monde engagé pour sa perte dans une logique de désenchantement. » On croirait que vous nous parlez des jours que nous traversons.

Il nous semble toujours qu’il y ait deux Barrès, celui du Culte du moi qui le fit proclamer prince de la jeunesse, et celui du Roman de l’énergie nationale qui est une sorte d’histoire personnelle de la Troisième République au temps du boulangisme. C’est à tort, comme vous le montrez très bien, qu’on veut opposer ces deux époques de l’écrivain. En réalité, il a transposé ce culte du moi en un culte de l’attachement national, qui n’en est au fond qu’une réincarnation portée par les événements.

Je voudrais souligner cette part de Barrès que vous mettez en lumière en nous replongeant dans sa vie politique que vous analysez avec beaucoup de pertinence. Attardons-nous sur cette vie politique qui a tant comptée pour Barrès. Ce qu’on remarque ce sont les liens d’estime, de respect, et parfois d’admiration qu’il sut entretenir avec ses adversaires. L’assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, le touche profondément. Le lendemain, dîtes-vous, il est l’un des premiers à venir s’incliner sur la dépouille de celui qui fut son adversaire politique. Il écrit à Madeleine Jaurès, sa fille : « J’aimais votre père, alors même que nos idées nous opposaient l’un à l’autre et que je devais résister à la sympathie qui m’entraînait vers lui. »

Par ailleurs, son amitié avec Léon Blum est toujours restée fidèle à elle-même au point qu’on publiera plus tard leur correspondance. Vous écrivez : « La relation entre Blum et Barrès a toujours été chaleureuse. Léon Blum avait dédié à ‘‘M. Maurice Barrès, député de la 2e circonscription de Nancy’’ le premier article d’analyse politique qu’il avait publié dans la Revue Blanche en 1892. Blum a admiré Barrès dès ses premiers écrits. Cette liberté d’esprit, de part et d’autre, devrait nous aider à déjouer l’ostracisme impitoyable que se vouent aujourd’hui nos acteurs politiques.

Maurice Barrès a été contesté de son vivant. Le rejet de Barrès a commencé dès le lendemain de la Grande Guerre, où il s’était si passionnément engagé par dévouement à sa chère Lorraine. On se souviendra que Romain Rolland l’a traité de « rossignol du carnage ». Il est vrai qu’au lendemain de la Grande Guerre l’opinion publique, épuisée par son effroyable bilan, devint peu à peu pacifiste, ce qui l’empêcha de toute évidence de se garder de la guerre suivante. Le nationalisme dont on lui tint rigueur n’était pourtant pas si excessif qu’on l’a cru : « Le nationalisme barrésien, écrivez-vous, n’est pas un gros mot. Il cherche à instituer, entre les Français, un rapport d’amitié. »

Mauriac et Montherlant, reconnus par Maurice Barrès

Il faut rappeler qu’à l’origine des contemporains de la grande littérature française qui marqua le siècle dernier dès ses débuts – Gide, Mauriac, Montherlant, Aragon, Malraux – il y eut Maurice Barrès où, soit dans Le Culte du moi, soit dans Le Roman de l’énergie nationale, soit alternativement dans l’un et l’autre, ils ont tous puisé et leur style et leur imagination, même s’ils ont su, pour parvenir à eux-mêmes, s’en détacher selon leur génie propre. Mauriac et Montherlant furent les plus explicitement reconnus, dès leur premier livre, par Barrès lui-même, et ils en furent toujours marqués, même s’il leur arriva de s’en détacher quelque peu – question de religion chez Mauriac, question de tempérament chez Montherlant. Faut-il rappeler que deux des principaux présidents de la Ve République furent des barrésiens parfaitement reconnus et assumés.

Vous concluez : « Barrès n’a pas disparu de notre horizon mental. Il est partout là où des hommes cherchent à accorder leur vie à la musique immémoriale dont ils se découvrent les porteurs. Partout là où des libertés prennent conscience qu’il n’y a pas de fécondité individuelle et collective sans l’acceptation d’une discipline intérieure. » C’est dire, cher Monsieur, à quel point votre livre répond à une attente et à quel point nous vous en remercions.

                     P.S.R.

Emmanuel Godo reçoit son prix des mains de Guy de la Tour du Pin (propriétaire)
Emmanuel Godo, le lauréat

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