Par Gilles Brochard
Philippe Humm et Pierre Adrian, comme Emmanuelle Jary, partent à la recherche de la France des bars à l’ancienne et des restaurants qui jouent la tradition et les produits locavores. Une façon de chroniquer le terroir dans ce qu’il a de meilleur, c’est-à-dire de plus authentique.
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Il fallait y penser. Donner un titre qui soit exactement l’inverse de Michelin. Un anti guide qui célèbre à sa façon la France profonde, celle des bistrots de campagnes ou des villes avec les banquettes en skaï, les nappes à carreaux, les œufs durs sur le comptoir (avec les normes sanitaires, c’est rare), les tables en formica, le picon bière à moins de 3 euros, le casse-croûte au jambon beurre et à la croûte épaisse, les néons et les parasols Miko devant l’entrée, les toilettes à la turque de préférence…
Ainsi est né La Micheline, tournée des bars de France, petit livre jaune à glisser dans sa poche quand on voyage le cœur léger à la recherche d’un troquet franchouillard resté dans son jus depuis trente ans au moins. Bien utile pour le client qui ne dédaigne guère les briscards du beaujolais qui n’ont pas froid aux yeux, des patrons à la moustache tenace sous le béret qui fidélisent leur clientèle ou se risquent à accueillir quelques voyageurs débarqués souvent par hasard. Car il y a toujours un risque à pénétrer dans un tel lieu. On se demande toujours qui sera le plus traditionnel des deux : le client ou le tenancier.
La France du formica et du casse-croûte
En introduction à leur guide, comme une profession de foi, Philibert Humm et son comparse Pierre Adrian, deux amis d’enfance plutôt espiègles, la trentaine, l’écrivent haut et fort : « Il n’existe pas à proprement parler de profil type. Un bar agréé Micheline est un bar hors normes, c’est-à-dire hors des normes en vigueur. (…) Un bar resté figé dans une époque, même si celle-ci est de très mauvais goût, recevra les compliments de la Micheline. Par exemple, un café audacieusement nineties, moche, truffé de plastique, dont le patron est vêtu d’un survêtement vert anis, peut tout à fait recevoir une note honorable. De fait, un bar doit réunir deux contraires : être le lieu de l’habitude et du voyage. Voyage dans le temps y compris. » Voilà qui est clair.
Alors les verdicts ? A Paris, voici Le soleil levant au 196, rue de Charonne (aucun code postal parisien ou provincial n’est cité dans le guide, comme à l’ancienne), situé « à l’ombre des vignes en fleur », ce « petit paradis désuet en diable » invite « à piquer des olives au cure-dents » et à déguster un alcool de caroube. Au Kennedy Eiffel, avenue du Président-Kennedy, « l’âme du Dernier Tango à Paris souffle encore dans ce bar-tabac-kiosque à journaux enchâssé sous le pont Bir-Hakeim ». Même si « on a depuis longtemps remplacé la vieille carabine par un abominable sèche-mains Dyson », la Kronembourg a été remplacée par de l’Asahi pression et le lieu est toujours dédié aux « cinéphiles déshydratés. « Même ambiance surannée à L’Express bar, au 22, rue du Roule, quand la nuit tombée « les bons garçons viennent s’encanailler ». En revanche, Le Magnolia Eden vaut le detour par sa terrasse, à l’ombre du magnolia où les clients « jouissent de la quiétude de la rue Sainte-Blaise. » La permanence du PCF est située juste en face. Forte affluence le 1er mai : muguet en plastique, merguez Franprix, mais lendemains qui chantent.
Atmosphère, atmosphère : rien ne sert d’aller dans un café rétro s’il n’y a pas d’ambiance associée à un décor de choix. Philibert Humm et Pierre Adrian, en gastronomes nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas vraiment connue, nous donnent quelques ingrédients nécessaires : des rideaux de dentelle, une brochette d’habitués, des tabourets en bois, une patronne aux yeux bleus (Chez Danielle à Grand-Champ); le Picon dans la bière, les tarifs d’avant-guerre, la bonne mine d’Yvette et un bon buffet de fromages (Chez Yvette à Ray-sur-Saône); une mélancoie tranquille, la très catholique liqueur de Bénédictine, une clientèle blanchie aux tempes (Le Tout va bien à Fécamp); guitares et baby-foot chez Manu, « les sourcils foncés » (Le Scoop à Limoges); les poutres un peu basses, « l’air un peu moite, de vieilles godasses servent de jardinières et un touret de guéridon » (Bar’bouchka, à Bubry, dans le Morbihan).
Au total, neuf mille kilomètres parcourus en Peugeot 204, à vélo ou à pied, et douze années d’enquêtes, ce qui peut paraître un peu longuet pour un guide qui rassemble seulement quatre-vingt-onze adresses aux quatre coins de France. Mais cela donne des pistes et à chacun d’entre nous de trouver le bistrot qui correspond à ces critères conservateurs et nostalgiques. Comme le confiait Philippe Humm récemment au Figaro, quotidien auquel il collabore. : « La France qu’on décrit c’est une France immuable. Il reste quelques maquis de résistance à la modernité. C’est ce qu’on aime. »
Emmanuelle Jary animatrice de C Meilleur quand c’est bon
Même démarche pour ce côté pérenne chez Emmanuelle Jary, anti-mode, qui depuis 2016 est à la recherche – accompagnée de son mari, pro de la caméra -, des meilleurs caboulots et autres restaurants typiques qui mettent en avant les produits du terroir, de Paris à la province. Du local avant tout, diantre ! Dans ses émissions assez courtes mais toujours nerveuses, C meilleur quand c’est bon, la journaliste gastronomique, titulaire d’un DEA d’ethnologie et de sociologie comparative, cultive, un ton caustique, sincère et vif.
Elle part à la rencontre des restaurateurs et des producteurs, pas forcément connus, souvent même pas du tout, s’assoie, commande, goûte et commente. Son point de vue est celui d’une vraie journaliste-reporter qui connaît l’origine des produits et qui sait comment ils ont été transformés par des amateurs ou des professionnels qui ne trompent jamais le client. D’où son succès. Des milliers de vues chaque jour sur son site ou sur Instagram.
De temps en temps, dans le cadre de sa rubrique très spéciale « Dans mon cabas », cette inconditionnelle du cochon dans tous ses états met en valeur des artisans qui se distinguent dans leur discipline, à l’image de ce charcutier, vainqueur du meilleur « pâté croûte » de France en 2012 et qui dans sa boutique présente « L’oreiller de la belle Marion », qui lorsqu’il n’y a plus de gibier, est à base de cochon, de poulet, de dinde, de pigeon et de foie gras, riz de veau et truffe, sous une gelée et une croûte pur beurre. Sans parler de son pithiviers canard et foie gras, brunoise de légumes, trompettes de la mort, et cèpes, le tout arrosé d’un peu de cognac, d’alcool de bourgeon de sapin (comme chez le chef Alain Chapel) et de vin blanc (pour la fraîcheur). Qui ne serait pas tenté de déguster son quatre quart au rhum ?
Bref, la journaliste de Saveurs donne des recettes qu’elle réalise, improvise souvent et confie quelques bons trucs pour le salé comme pour le sucré. Comment ne pas craquer pour son « Gâteau au chocolat ganache », simplissime , sans lait, sans crème et sans farine, élaboré juste avec du beurre salé, du chocolat noir, du sucre glace et des œufs ? Et dernièrement, on a vu Emmanuelle Jary, sur la terrasse du restaurant Copain comme cochon, à Pleumeur-Bodou (Côtes d’Armor), pousser un « coup de gueule », comme elle dit, face caméra : « Si je fais ces vidéos, c’est parce que je ne veux pas de cette France moche où tout se passe à la périphérie des communes, où l’on vit à l’Américaine avec des grosses bagnoles et où on va faire ses courses en voitures. J’adore les restaurateurs qui remettent de la vie au sein des villages, dans les centre des villes…. et là-dessus je vais manger un peu de cochon ! » Comment lui donner tort ?
G.B.
La Micheline, tournée des bars de France, de Philippe Humm et Pierre Adrian, Les Equateurs, 134 pa ges, 12 €.
C meilleur quand c’est bon, émission d’Emmanuelle Jary, à retrouver sur rinstagram et sur le site www.cestmeilleursquandcestbon.com