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La France est toujours veuve

Par Valentin Gaure

Hommage au Général de Gaulle

Un village français. Il y en aurait mille, trente-cinq mille autres en vérité. Les vents viennent s’y coucher, comme étourdis, prisonniers qu’ils sont de cet étrange carrefour, perdu quelque part entre la Champagne, la Bourgogne, les Ardennes et les Vosges.

Au neuvième soir de Novembre, seule une lumière ébrase la brume drue, signature éternelle des régions de l’Est, pour éclairer de son halo indélébile l’église romane et son cimetière. Univers bernanosien des crucifix de pierre plantés dans la lande ; gardiens silencieux de l’ineffable. Dans le crépuscule, lorsque la nuit se répand, une main ridée pousse la porte de ce jardin du trépas. Une veuve, recouverte d’une longue tunique noire, comme les princesses déchues, s’avance entre les tombes. Elle s’arrête devant l’une d’elles. Toujours la même. Elle relève la tête et, d’un geste furtif, retire sa longue capuche sombre. Sa chevelure, blonde ou brune, quelle importance, a gardé sa beauté fondatrice.

Elle n’est pourtant pas épargnée par les temps. Chaque jour, l’existence la frappe, comme une interminable lapidation. Une nuit peut-être, une nuit sans doute, plus noire que les autres, un coup, plus violent que les autres, finira par l’emporter. Il faut la voir, tout contre la pierre blanche, entonner doucement le chant des origines. Rêve t-elle des forêts gauloises, du baptême de Clovis, des prairies de Domrémy ?

La France, encore debout dans ce champ du repos, se souvient du dernier de ses chevaliers. Ce fils-là, au temps troublé de la défaite, n’avait pu se résoudre à l’infamie. Sentiment instinctif qui avait étreint certains Français, valeureux parmi les valeureux, aux mêmes heures, dans son sillage. Ils quittent la Doulce France par tous moyens, pour gagner Albion ou l’Empire. Certains autres illustres, d’un même élan salvateur, firent le choix de retourner au contraire à la terre de leurs ancêtres, des maquis du Vercors à ceux du Jura. Dans le matin glauque de l’Occupation, ils gardaient à eux seuls le corps nu de la France, laissée pour morte par une pléiade de traîtres. Elle dormait seulement, d’un sommeil supplicié, telle la madone des contes. Peuple des ombres, qui, des années plus tard, dans un matin boréal de décembre, dansait dans le ciel du Panthéon, ressuscité pour quelques minutes par la seule ferveur oratoire du chamane Malraux. Aumône de l’échappement furtif à l’ici-bas que n’avait pas renié le regard léonin du Général, plongé dans son passé, celui du gaullisme originel et de ses oriflammes, toutes entières tenues par le secret éclat de la Providence.

De quelles eaux provenaient les larmes retenues qui, fatales, embuaient ses yeux ? Étaient-ce celles du survol du pays de France, traversé dans son petit avion, qui, de Bordeaux rejoignait Londres, en ce jour maudit du 17 juin 40 ? À quelques heures de son entrée dans la stratosphère de l’Histoire, il surplombait une nation brisée jusqu’au râle traumatique. De la sombre splendeur de sa plume, de Gaulle écrivait, dans L’Appel, premier tome de ses Mémoires de Guerre :

« Nous sommes partis vers 9 heures en prenant quelques précautions mais sans difficultés. D’ailleurs, c’est ce matin-là seulement que M. Paul Reynaud a transféré ses pouvoirs au maréchal Pétain et, jusqu’à l’accomplissement de cette formalité, j’étais membre du gouvernement et ne courais guère de risque. […] Nous survolâmes La Rochelle et Rochefort. Dans ces ports brûlaient des navires incendiés par les avions allemands. Nous passâmes au-dessus de Paimpont, où se trouvait ma mère, très malade. La forêt était toute fumante des dépôts de munitions qui s’y consumaient […]. Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord de l’océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »

Ce chemin vers les sommets de l’Histoire, l’avait t-il seulement souhaité pour lui-même ? Habité en son sein, depuis l’enfance lilloise, par le feu sacré de la patrie – de Gaulle fut un intellectuel passionné, un soldat à la clairvoyance géniale, un esprit libre et rebelle qui ne supportait pas l’accommodement. Il savait, mieux que tous les autres, que la politique est d’abord l’art de séparer le négociable de ce qui ne l’est pas, pourfendeur des savantes lâchetés. Se rêvait-il en Jeanne D’Arc, comme d’aucuns le racontèrent, prenant exemple sur la petite rédaction écrite à l’âge de quinze ans, où déjà il s’imaginait en sauveur de la Nation assiégée ?

Comme la Pucelle, la Providence, il est vrai, avait fait de lui son instrument. Le voilà projeté aux devants d’une scène historique que cet homme timide n’allait plus quitter. Mille péripéties n’y firent rien. Jusqu’au dernier souffle, écrivait Malraux, « de Gaulle avait dressé à bout de bras un cadavre », celui de la France. L’éclat de sa lumière personnelle avait rejailli sur la vieille nation blessée, brisée par la rupture de sa défaite.

Mais la France revenait sans cesse vers ses démons intimes. Il s’en désespérait jusqu’à parfois songer au suicide. Dans ce rapport étroit, proche du murmure sibyllin, qu’il entretenait avec les anges, le Général avait compris qu’au fond ce sont les morts qui commandent. Danse que l’on peut trouver macabre mais, en ces journées sépulcrales de novembre, perdus entre la Toussaint et la commémoration de l’Armistice, l’évocation retrouve son sens capital, originel. 

Tel Antigone, de Gaulle retournait la terre d’une fougue désespérée.

« Il s’était levé seul contre la fin d’un monde ».

Valentin Gaure

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