Par Gilles Brochard
Au Théâtre du Nord-Ouest, son directeur incarne le personnage d’Alvaro, à la trempe romaine et à la foi chrétienne, muré dans sa solitude et happé par une soif d’absolu, alors que se prépare en Castille, une croisade aux Indes. Refus du compromis, éloge de la pauvreté, dénonciation de l’amour ramené à une « singerie », foi exaltée : entre La Reine morte et Port Royal, Le Maître de Santiago apparaît comme la pièce la plus mystique de Montherlant.
« La pensée de Montherlant est l’une des dernières aventures du scepticisme occidental« , écrivait Philippe de Saint Robert dans Montherlant ou l’indignation tragique (Hermann, 2012). Terminée en 1945 et jouée pour la première fois au Théâtre Hébertot en 1948, Le Maître de Santiago retentit comme l’une des pièces tragiques les plus denses du théatre d’Henry de Montherlant. Se disant à la fois « chrétien » et « profane », le dramaturge se demande, dans sa postface à la pièce parue dans le volume « Théâtre » de la Pléiade en 1972, s’il existait « des sapes communicantes entre le jansénisme et le catholicisme castillan du XVIe siècle. » Il est vrai que la notion d’Ordre si importante dans Le Maître de Santiago, a hanté Montherlant toute sa vie, lui donnant des couleurs dans son Port Royal et même dans son cycle romanesque des Jeunes filles à travers Costals, l’auteur rappelant qu’il est connu que les libertins du XVIIe siècle avaient de la sympathie pour le jansénisme. » Ajoutons que Montherlant voyait en ses trois pièces, Le Maître de Santiago, La Ville dont le prince est un enfant et Port-Royal une « trilogie catholique » : l’ordre de chevalerie, le collège et le couvent.
Chevalier de l’Ordre de Santiago
Ainsi, Jean-Luc Jeener, qui avait mis en scène Santiago dans la crypte Saint-Agnès, en l’église Saint-Eustache au printemps 1989, est cette fois dans la peau d’Alvaro, laissant à Patrice Le Cadre le soin de signer une mise en scène dépouillée et captivante, servie par des comédiens talentueux. Jeener incarne Alvaro ascétique et exalté, Maître de l’ordre des chevaliers de Santiago, qui en janvier 1519, renonçant à partir en croisade pour les Indes avec ses compagnons d’armes, vit en reclus et en miséreux avec sa fille, Marianne, éprise de Jacinto, fils d’un des chevaliers de l’Ordre. Tous les deux finiront leur vie au couvent, Marianne renonçant à l’amour et Alvaro à la vie terrestre. « Je le savais depuis longtemps : il n’y a plus d’Espagne, s’exclame-t-il. Eh bien ! périsse l’Espagne, périsse l’univers ! Si je fais mon salut et si tu fais le tien, tout est sauvé et tout est accompli. »
Comment ne pas être touché par autant de grâce, de mysticisme et de ferveur ? La dernière scène est d’une intensité exceptionnelle, atteignant des sommets digne des grandes manifestations d’extase, le père et la fille à l’unisson de leur dévotion et de leur résignation à n’être qu’une âme soumise à Dieu. « C’est en ne voulant rien que tu reflèteras Dieu » s’exclame Alvaro à sa fille. « Par ma main sur ton épaule, je te donne la Chevalerie. Et maintenant, partons pour un pays où il n’y a plus de honte, partons du vol des aigles, mon petit chevalier ! ». Et dire que Montherlant confiait qu’il « n’a pas fait d’Alvaro un chrétien modèle » ! Ajoutant : « Il reste en deça du christianisme. Il sent avec force le premier mouvement du christianisme, la renonciation, le Nada. ; il sent peu le second, l’Union, le Todo. » Principe chez Montherlant, avec Port Royal comme avec Le Maître de Santiago : « il s’agit toujours des démêlés de l’homme et de la grâce. »
Le Maître de Santiago, au Théâtre du Nord-Ouest, avec Jean-Luc Jeener, Coralie Salone et Didier Bizet. 13, rue du Fg Montmartre, 75009 Paris. En alternance. www.theatredunordouest.com.