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Il y a quelques choses qui clochent

par Jean-Paul Chayrigues de Olmetta

Bouleversés par la disparition de Jean-Paul Chayrigues de Olmetta, nous republions ce billet qu’il avait bien voulu nous adresser. Nous prions pour cet homme lumineux qui nous manquera beaucoup.

J’ignore quand ce papier sera publié. Il est rédigé en mars 2023, en pleine « révolution » dans le Paris des poubelles. Cela finira par s’arranger même s’il y aura toujours des ordures dans les allées du pouvoir. En revanche, des éléments de cette réflexion vont perdurer, particulièrement ceux concernant la misère qui saute aux yeux, malgré tout, de ceux qui ne veulent pas voir. Personne n’a plus envie d’envisager des solutions. Entreprendre dans l’espérance… Utopie !

Je vais narrer une journée ordinaire d’un vieux Montmartrois qui s’aventure quotidiennement dans Paris. Je quitte Montmartre en empruntant le sympathique « Montmartrobus » qui dessert la butte. Ce joli nom qui disait quelques choses partout dans le monde est devenu, par le génie d’un communicant de la RATP, la « ligne 40 ».

Déjeuner habituel à la brasserie « Chez Mollard » (beau témoignage d’un Paris « vraiment parisien », en voie de vulgarisation) après un slalom dans l’océan des poubelles qui, en ce moment, adornent la gare Saint-Lazare et ses alentours, l’hôtel Terminus et la FNAC, entre autres.

Sur les trottoirs, les « marchands » (venus d’ailleurs) de fleurs (volées la nuit précédente à Rungis) tapinent en espérant le chaland naïf. La foule aveugle et « smartphonage » se meut machinalement, indifférente à la femme sans âge, enroulée dans une couverture et étendue sur une grille d’aération du métro qui la réchauffe. Les reliefs d’un MacDo gisent à ses pieds nus et repoussants qui émergent de sa crasseuse couvrante. Elle roupille…

Je parcours les trois cents mètres qui me séparent de la Chapelle Expiatoire, rue Pasquier. Traversant le boulevard Haussmann, face à la Maison Trousselier[1], au bord du trottoir, j’enjambe, comme les autres piétons, un vieil homme allongé sur l’accès au passage protégé. Il dort… j’espère ! Sur le trottoir d’en face un autre vieillard gît sur une grille d’arbre. Ils pourraient être décédés… Indifférence générale encore… J’ai honte de la mienne et poursuis mon chemin. Je me rends au théâtre de la Madeleine, rue de Surène. Environ quatre cents mètres sans croiser quelqu’un d’avachi sur le bitume. Notable ! Quittant le théâtre, je continue dans ma voie pour rejoindre la rue d’Astorg, passant devant l’hôtel de La Mark, résidence de l’ambassadeur de Belgique. Au croisement des deux artères, sur le trottoir, aux pieds du somptueux immeuble de la compagnie du canal de Suez, somnole dans un sac de couchage, une personne au visage enfoui dans une serviette de bain. Nous sommes, je le redis en mars 2023 et… à huit mètres de l’entrée arrière du ministère de l’Intérieur et à quelques pas de l’entrée d’honneur du Palais de l’Élysée. Quartier truffé de flics tant en civil qu’en uniforme. Y a-t-il des « favorisés » dans les quartiers super-protégés ? Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il y a de vrais défavorisés parmi ces derniers. De tous les pauvres hères, aucun ne faisait la manche et aucune bouteille ne traînait près d’eux. Simplement, ils roupillaient, écrasés de misère. Jusqu’l’arrêt du bus 80, je ne croise plus personne à terre dans ce quartier de Saint-Augustin.

Toutefois, j’ai effectué un crochet par le magasin Darty situé en sous-sol de la très chic station de métro « Madeleine » fréquentée par des touristes ébahis de trouver des chantiers aux places de Fauchon et Hédiard, puis dans le couloir entre l’entrée de Darty et la sortie du métro trois S.D.F. qui ont installé là leurs pénates : matelas, couvertures, réchauds à alcool, transistors et, confort en ce lieu passant, un seau hygiénique partagé. Luxe des « beaux-quartiers »

J’arrive place Jules Joffrin où la mairie et l’église se font face sans pour autant se défier. J’emprunte la commerçante et familiale rue du Poteau. En sept ans, quatre charcuteries y ont été remplacées par un kebab, un couscous, un chinois, un turc… Universelle gastronomie ! Au début de cette voie multiculturelle, la Société Générale a ouvert, il y a peu, une vaste succursale pour en regrouper trois dispersées dans Montmartre. Ça fait marcher le « Cher client »… Sportif ! Sur le trottoir étroit entre la banque et un traiteur franco-colombien (si, si, ça existe et c’est le meilleur foie gras du quartier !), un Rom a installé un lit de 140 équipé : matelas, oreillers, polochon et couvertures. Il l’a agrémenté d’un cageot devenu table de nuit et bar. Monsieur Rom « habite » ici depuis deux ans. Les commerçants. Les habitants du quartier, les enfants de l’école voisine ne le voient plus. Les jours de marché, les acheteurs sont contraints de descendre du trottoir pour se croiser. Le « squatteur » et son plumard sont à trente-cinq mètres de la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris… Le samedi, la chaussée est réservée aux piétons. Un panneau, placé au milieu de la rue, l’indique. Il est encadré par deux « flics », juste à la hauteur du Rom. Interpellés, ils répondent immuablement « ce n’est pas notre affaire ! » Encore quelques pas et me voici devant mon immeuble, en face de l’église Sainte-Hélène (ce quartier de Paris est dédié au Premier Empire : boulevard Ney, quartier de la Moskova, etc.). À côté se trouvent les locaux sinistres d’une association d’aide aux immigrés. Le deus ex machina de cette officine est souvent agressif avec les « souchiens ».

Un vicaire de la paroisse de mon enfance, Saint-Eugène, avait servi à Sainte-Hélène dès son ordination. Nostalgie…

Il y a maintenant un trimestre, sous le porche gauche de Sainte-Hélène, s’est installé un vieil homme, minuscule, fragile, aux cheveux et à la mince barbe de neige. Le père Noël miniaturisé… Pas de bouteilles, aucun déchet. Entre des moments de gymnastique, il repose sur un matelas. Lorsqu’il pleut, il a le corps abrité et les pieds mouillés. Dans cet endroit perdu du bas-Montmartre, il devient un semblant de mascotte. Jamais il ne tend la main, on donne spontanément. Dialogues et sourires. S.D.F ou clochard philosophe ?

Un matin légèrement pluvieux, je sors de chez moi. Sur les marches de l’église, je vois son jeune curé en baskets, jeans et… col romain, aidé par deux sbires patibulaires, engueulant, à la limite de l’insulte, le vieillard recroquevillé dans sa couverture, immobile et silencieux. Grande gueule, on ne se refait pas, j’apostrophe le prêtre « Mon Père », il pourrait être mon fils, « les églises sont depuis toujours les refuges des pauvres d’où qu’ils viennent, monsieur est donc ici chez lui. Il est votre frère en Jésus-Christ ! » « Je ne vous connais pas », me répond-il. « Je suis votre voisin, mais je ne suis pas votre paroissien. Vous me confortez dans mon choix de pratiquer chez les tradis ! » Haussements d’épaules et repli des trois « agresseurs » dans l’édifice. Le 10 mars, le gentil sans-abri a rendu son âme à Dieu. À l’emplacement, durant deux semaines ont été déposés messages, fleurs et bougies. Bel endroit durant la grève des éboueurs… Des locaux attenants à l’église ont été, me dit-on, prêtés à une association, cultuelle musulmane…

Il me revient des souvenirs (partagés) des années cinquante concernant les clochards. Ils étaient moins d’une centaine, éparpillés le long des quais de la Seine. La notion de S.D.F. n’existait pas. Il s’agissait de disciples de Diogène de Sinope qui vivait dans la Grèce du IVe siècle av. J.-C.. Il est considéré comme le créateur du cynisme qui se fonde sur un idéal : l’autarcie qui se manifeste en bousculant les normes du monde pour une vie marginale. « Clochard » (clodo en argot) vient de cloche, celle qui tintait à la fin des marchés de villages. Ceux de mon enfance faisaient l’objet de cartes postales achetées par les touristes. Malins, les pacifiques « clodos » commettaient un larcin ou une petite infraction à l’arrivée de l’hiver. Comme dans ces temps anciens la justice était véloce, ils écopaient rapidement de deux à quatre mois de taule. Ainsi passaient-ils les frimas à l’abri et nourris sans problème.

S.M. Emmanuel Ier avait promis, un peu vite, que durant son règne, personne ne dormirait dans les rues… Haec decies repetita placebit ! Sous son lointain prédécesseur Louis XIV, les malheureux, à Paris particulièrement, étaient chaque soir menés par des argousins à La Salpêtrière. Soignés, nourris, ils étaient relâchés à l’aube. Tout recommençait au crépuscule…

                                                                                                                 15 avril 2023
                                                                                                                             

Jean-Paul Chayrigués de Olmetta

Retrouvez le Marquis sur les ondes de Radio Courtoisie, pour ses Chroniques de la vie parisienne.


[1] Élégante et célèbre boutique proposant de sublimes fleurs artificielles dans un passé récent

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