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Henry de Montherlant, cinquante ans après sa mort

par Gilles Brochard

Faudrait-il voir en Montherlant le dernier stoïcien, le dernier auteur tragique que la France ait pu connaître depuis la fin du XXe siècle ? « Le tragique dans mon théâtre est bien moins un tragique de situation qu’un tragique provenant de ce qu’un être contient en lui-même », écrivait-il. En réalité, chez cet auteur singulier, mysticisme, nihilisme et stoïcisme se confondaient  en une même vision du monde, comme a pu le souligner notre ami Philippe de Saint Robert. Cinquante ans après sa mort, il était normal que Le Nouveau Conservateur rende hommage à celui qui avait mis dans la bouche d’un de ses personnages (Persilès) : « Le malheur de la France me réveille la nuit. Aimer son pays est un état qui ne se connait que par la douleur ». Ne jamais oublier aussi ce qu’il disait de la patrie, cette passion douloureuse dont il était affecté : « Horrible maladie mais pas plus que tout amour ».  Et dans Les Voyageurs traqués, après trois ans passés loin de son pays, il notera : « Il n’y a que moi, ou à peu près, en France, à souffrir de la France comme il n’y avait personne que moi, en Afrique, à souffrir de la question indigène. Être patriote et être Français, en 1932, c’est vivre crucifié. »

*

     À 72 ans, Henry de Montherlant s’est donné la mort le dernier jour de l’été de 1972, un 21 septembre, à 16 heures, dans son appartement du quai Voltaire, se tirant dans la bouche une balle de 6.35 après avoir avalé du cyanure. La secrétaire de l’académicien, Mlle Cottet, entendit aussitôt le coup de feu, se précipita au salon et constata le décès. Ce jour-là était le jour de l’équinoxe de septembre, comme le souligna Philippe de Saint Robert dans sa préface complémentaire au volume de son Théâtre paru dans La Pléiade en 1972, « où il voyait , avec l’égalité du jour et de la nuit, celle du oui et du non, de la vie et de la mort. Non parce qu’il haïssait la vie, comme l’a aussitôt écrit un âne littéraire, mais parce qu’il l’aimait trop pour accepter d’y demeurer diminué, et ne pouvant plus l’accomplir.  »     

     Et dans son remarquable essai  Montherlant ou L’indignation tragique,[1], Saint Robert ajoute : « C’est par égoïsme qu’on dissuade de nous quitter ceux qui n’ont déjà plus de regard que pour l’autre rivage ; et c’est sur nous-mêmes que rituellement nous pleurons, nous sachant encore plus seuls. « En fait, quelle que soit. l’époque, la Balance gouverne toujours le suicide »[2] (…) Automne de l’année, automne de la vie, la fin des choses sait aussi s’entourer de couleurs magnifiques et de gestes forts qui marquent la relève du soir ; l’inachevé ne s’achève pas sans que quelque part la chasse ne reprenne. Je n’appris la nouvelle que le lendemain matin par l’appel d’une amie. Et moi-même, qui appeler, l’étourdissement passé ? J’appelai Matzneff :

– Tu sais ?- Oui.

Nous raccrochâmes. »

Entre le néant et l’être

   On le sait, Montherlant avait confié à quatre de ses amis son souhait de voir ses cendres  dispersées à Rome parmi les ruines antiques. Gabriel Matzneff fut de ceux-là et il faut lire ‘ »Le tombeau de Montherlant », son émouvant récit de cette dispersion qu’il effectua aux côtés de Jean-Claude Barat, son légataire testamentaire, dans l’édition de 1977 du Défi [3]. Au lendemain de sa disparition, Jean Guitton avait confié au Figaro : « Il y avait quelque chose de très espagnol chez Montherlant. Il concevait le drame de la vie sous forme d’un choix entre deux extrêmes, le meilleur ou le pire.. Pour lui, il n’y avait pas de milieu. Il était partagé entre l’espérance et le désespoir, entre le néant et l’Être… Il pensait que tout ce qui est gloire est poussière. »

Le dernier auteur tragique

   Au regard de cette commémoration, dont on peut s’étonner qu’elle ne fut suivie d’aucune manifestation, d’aucune publication, il est conseillé aux plus jeunes de se plonger dans cette littérature qui place Montherlant du côté des classiques et notamment dans son théâtre, de La Reine morte (dont 2022 marque le quatre-vingtième anniversaire de la création à la Comédie française) à Port-Royal, du Maître de Santiago à La Guerre civile, en passant par La Ville dont le prince est un enfant et l’admirable Mort qui fait le trottoir (son Don Juan), qui place ce répertoire, comme le soulignait Pierre Dux, administrateur général de la Comédie Française, comme « le plus important du théâtre du XXe siècle. » 

   Et Saint Robert encore, in fine, dans sa préface à son Théâtre de conclure : « Montherlant, comme Malatesta, a rejoint les ombres qui toute sa vie l’avaient hanté, protégé, construit, mais, ce faisant, il s’est rejoint lui-même. Nous finissons dans la faiblesse et la grandeur. Ce qu’il y a de faiblesse dans le refus de la vieillesse et de la maladie, et, au fond de cette faiblesse, ce qu’il a fallu de courage pour consentir à une telle mort, pour mourir à ce point d’accord avec soi-même. Au dernier acte, Caton se tue avec le revolver de M. Persilès : « Heureux ceux qui meurent sans papotages et sans pleuraisons, dans la sainte solitude où meurent les bêtes, et les soldats au fond d’un lointain trou d’obus. » C’est le point où se révèle que ce long et  dur orgueil fut une longue et dure pudeur. Explicit mysterium. »

Gilles Brochard

  • [1] Paru en 2012 chez Hermann. Cette édition reprend et complète celle parue aux Belles lettres en 1992, intitulée Montherlant ou la Relève du soir
  • [2] Le Treizième César, d’H. de Montherlant, Gallimard, 1970.
  • [3] La Table Ronde.

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