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Henri IV, un roi libre

Entretien de Paul-Marie Coûteaux avec Jean-Christian Petitfils

Avec Henri IV, Jean-Christian Petitfils achève le cycle des biographies qu’il a consacré, au milieu d’une foisonnante œuvre d’historien, aux cinq rois Bourbon qui ont dirigé la France pendant deux siècles, l’essentiel de cette époque qui ne fut pas sans raison nommé « moderne ». Quelle lecture ! Au delà de la biographie du roi préféré des Français, voici un récit captivant, par le siècle qu’il embrasse, par la gravité des questions qu’il pose (la Légitimité, la Souveraineté, l’autorité de l’Etat, la distinction du temporel et du spirituel, l’édification d’un Etat désormais en voie de centralisation, etc.), d’autant plus captivant que les personnages principaux, le truculent Navarre, dont la belle-sœur Eléonore de Médicis écrivit qu’il était « homme à se faire aimer par les pierres elles-mêmes », mais aussi Henri III, sa mère Catherine de Médicis ou Henri de Guise, sont d’une richesse psychologique hors pair. Par-dessus tout, le style de l’auteur est remarquablement limpide, constamment imagé : un livre éblouissant, qui vaut à lui seul une année de sciences-po. Voici que défilent, en version chair et os, les principales questions de toute philosophie politique. Par exemple, celle de la violence légitime : Petitfils restitue la vérité sur la SaintBarthélémy, montrant notamment que l’ordre de Charles IX se bornait au chef du parti protestant Coligny, le peuple s’arrogeant au delà ce « droit de violence » qui fait les guerres civiles – sujet d’une brûlante actualité. Celle de la souveraineté aussi, à travers le récurrent problème, toujours de mise, du « parti de l’étranger » : que l’un ou l’autre des partis gagne, et, inévitablement, une couronne étrangère s’arrogeait la France. Celle de la légitimité, quand son absence menace de disloquer le royaume entier. Celle, capitale, de la formation d’un chef d’Etat, et de son caractère : décisives années d’apprentissage du jeune Henri de Navarre, au plus près de la population béarnaise dont il partagea la rude existence, une connaissance des hommes dont il tira un remarquable bon sens et un réalisme qui ne s’embarrassait pas de préjugés, comme si souvent ceux d’aujourd’hui. Au moment où le royaume menaçait de sombrer, au milieu d’une incroyable succession de massacres, d’intrigues, de revers et de rebonds, il fallait un homme de sa robuste trempe pour s’imposer. Si le règne « d’Henri le Grand » a marqué si durablement la France, c’est que la vie du premier roi Bourbon a magnifiquement mis en scène les invariants de toute grande politique, restaurant ainsi, entre le roi et le peuple, une relation vivante et solide. Autant que la poule au pot, sa mort même, érigée en martyre, servit sa légende.

A son avènement, après l’assassinat d’Henri III en 1589, son cousin Henri de Navarre, un des chefs du parti protestant, se promet de se convertir à la religion catholique. Cependant, il lui faudra plusieurs années, bien des atermoiements et des échecs militaires pour se trouver comme acculé à la conversion de Saint-Denis de 1593 sans laquelle il n’aurait jamais été vraiment roi de France, mais seulement, comme vous l’écrivez, ‘’un monarque à cheval avec pour tout trône la selle royale’’. Fut-il sincère ? Ne resta-t-il, in petto, protestant ?

Non, sûrement pas ! Henri IV, après la messe de conversion de Saint-Denis du 25 juillet 1593, n’est pas resté protestant de cœur. Il devint au contraire sincèrement catholique. Il en admettait le point dogmatique central, celui de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, autour duquel s’est édifiée l’Eglise, ce que niaient les calvinistes. Lui-même dira d’ailleurs y avoir toujours cru, y compris durant sa période protestante. Il manifestait également une grande dévotion envers la Vierge Marie. En revanche, il est vrai qu’il n’adhéra jamais que du bout des lèvres au culte des saints ou des reliques, ou encore à l’existence du purgatoire, uniquement, dira-t-il, pour « faire plaisir aux moines ». Dans son for intérieur, d’ailleurs il pensait que le protestantisme n’était pas une hérésie, mais plutôt un schisme, destiné à réparer les dérives et abus de l’Eglise. En tout cas, après son sacre qui eut lieu à Chartres le 27 février 1594 (car Reims, lieu traditionnel, était aux mains des ligueurs) – cette impressionnante cérémonie qui participa grandement au processus de légitimation de son pouvoir -, il eut la conviction d’incarner en plénitude la fonction royale et la sacralité qui en découlait. Il se considéra dès lors comme le roi très-chrétien, ayant reçu l’onction du Très-Haut, envisageant même de ramener par la persuasion ses anciens compatriotes huguenots dans le giron de la Sainte-Eglise romaine. Le jour de Pâques, 10 avril 1594, peu après son entrée dans Paris, il pratiqua au Louvre le rituel du « miracle capétien », le toucher des écrouelles, le comble de la superstition pour les calvinistes !

Catholiques et protestants, chacune des parties avait ses puissances tutélaires, le parti protestant nous jetant dans les bras de l’Angleterre et de la Hollande et la Ligue catholique dans ceux des Habsbourg, ce Philippe II d’Espagne qui jusqu’au bout réclama la couronne de France et ne fut pas loin de l’obtenir. Autrement dit, la France ne fut-elle pas plus près de disparaître qu’on ne l’a cru ? La question n’est pas conjoncturelle, d’ailleurs, mais permanente, on se souvient du mot de Michelet : « La France aurait pu ne pas être », qui fut aussi la hantise du général de Gaulle. N’étant ni une race, ni un empire, ni une île, sa fragilité pourrait la dissoudre dans une tout autre organisation politique de l’Europe…

Au moment des guerres de Religion, en effet, la France a bien failli disparaître. Elle était menacée de démantèlement, et d’être partagée entre l’Espagne de Philippe II et la Savoie de Charles-Emmanuel Ier. En 1584, les ultra-catholiques constituèrent un puissant mouvement politico-religieux, la Ligue. Fondée par un petit nombre de membres du clergé parisien, s’appuyant sur les éléments populaires, elle se donna pour chef le jeune Henri de Guise dit le Balafré, qui avait créé par ailleurs une association de la noblesse destinée à dominer la Cour et le roi Henri III. Cette seconde Ligue (une première née en 1576 dans les milieux nobiliaires étant tombée en léthargie) connut une ascension fulgurante. Alliée au roi d’Espagne Philippe II, dont elle recevait de substantiels subsides, elle en devint rapidement le bras armé, représentant, sous couvert de défense du catholicisme romain, le « parti de l’étranger », celui, disons le mot, de la collaboration. La légitimité capétienne se trouvait de fait contestée par une partie de la population. En avril 1593, les états généraux, réunis depuis trois mois à Paris par le duc de Mayenne, chef de la Ligue, s’apprêtaient à élire reine de France, en violation de la loi salique, la fille de Philippe II, qui se trouvait être aussi la petite-fille du Valois Henri II, Isabelle Claire Eugénie d’Autriche, infante d’Espagne. Événement gravissime puisque cette décision aurait mis fin à l’indépendance de la France, appelée à tomber dans l’orbite de Madrid. La quasi-totalité des membres du clergé, plusieurs nobles et la majorité des députés du tiers état avaient émargé aux subsides de Madrid pour un total de plus de 24 000 écus. Réaliste et pragmatique, Henri IV comprit que sa conversion s’imposait. Tel fut le fameux « Paris vaut bien une messe », phrase qu’il n’a jamais prononcée mais qui correspond bien à la situation.

Votre Henri IV ne fait pas simplement la biographie de Navarre, mais aussi celle de deux ou trois autres grands personnages de l’époque, Catherine de Médicis et Henri III. Deux personnages controversés, mais que vous réhabilitez. Un récent ouvrage d’Eric Zemmour, Destin Français, fait de Catherine un personnage indécis tentant de faire sa part à chacune des parties, une sorte de raccommodeuse pour congrès radical-socialiste. Est-il exagéré de dire qu’elle a pour ainsi dire trouvé la formule qui a sauvé le Royaume ?

Les portraits de Catherine de Médicis qu’ont brossés Michelet, Alexandre Dumas et leurs épigones – la « maquerelle des Guise », acariâtre, artificieuse, malfaisante, dévorée de jalousie, gouvernant par le poignard et le poison – ont fort heureusement disparu sous la plume de ses derniers biographes. Balzac l’avait dit avec plus de justesse, la figure de cette « femme extraordinaire » apparaît « comme celle d’un grand roi ». Que cette manipulatrice se soit servie de la ruse, qu’on l’ait prise souvent en flagrant délit de mauvaise foi est indéniable. Ce sont là les instruments éternels de la politique. L’important n’était-il pas qu’elle mît son machiavélisme florentin au service du bien commun du royaume ? En revanche, son rôle dans le massacre de la Saint-Barthélemy a été totalement faussé. Après la paix de Saint-Germain de 1570, soucieuse de réconcilier catholiques et protestants autour du trône de son fils Charles IX, c’est elle qui organisa le mariage d’Henri de Navarre (notre futur Henri IV) et de sa fille Marguerite de Valois, la fameuse reine Margot. Il ne s’agissait nullement d’une ruse destinée à attirer à Paris les chefs protestants et à les faire assassiner. La Saint-Barthélemy fut le résultat d’un tragique concours de circonstances. Élément déclencheur : la tentative d’assassinat du chef de guerre des protestants, l’amiral de Coligny, effectuée par quelques extrémistes isolés, proches du duc de Guise, qui souhaitaient la reprise de la guerre civile. Devant la fureur des 800 gentilshommes huguenots de l’entourage d’Henri de Navarre venus en armes à Paris, le roi Charles IX et sa mère, craignant un coup d’Etat violent, décidèrent préventivement, au nom de l’intérêt supérieur du royaume, de se débarrasser préventivement de quelques dizaines de meneurs. C’est alors que spontanément la foule ultra-catholique de la capitale déclencha le massacre de masse, que Catherine n’avait nullement commandité : il y eut quelque 3 000 morts à Paris, 7 000 en province. Ce qu’on a appelé « l’ordre de l’amour » entre le souverain et ses sujets fut alors rompu. Il faudra attendre les dernières années du règne d’Henri IV pour que celui-ci fût enfin restauré.

Retrouvez la suite de cet entretien passionnant dans le cinquième numéro du Nouveau Conservateur

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