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De Gaulle, une succession pour l’Histoire

Ventes aux enchères chez Artcurial

Le 13 mars dernier, l’amiral de Gaulle mourrait à 102 ans, laissant derrière lui dans sa succession des trésors intimes, des insignes de croix de Lorraine, des médailles, des montres, des sous-mains, un étui à cigarettes, des valises, mais aussi des lettres manuscrites signées du maréchal Pétain, de Joséphine Baker ou de Paul Claudel, sans parler des manuscrits de ses premiers livres. Tout cela aujourd’hui est dispersé lors d’une vente inédite chez Artcurial, 7, Rond-point des Champs-Élysées Marcel Dassault (Paris 8e), qui a lieu le lundi 16 décembre 2024 dès 14 h.

Par Gilles Brochard

Il fallait visiter les différentes salles ouvertes au public chez Artcurial jusqu’au dimanche 15 décembre (18 h) pour se rendre compte de la qualité des documents et autres objets sortis des placards et des tiroirs de la famille de Gaulle, une sélection parmi près de 380 lots prêts pour la vente aux enchères. Des lots que de nombreux musées pourraient récupérer, des pièces maîtresses qui comptent dans le destin historique du général et de sa vie personnelle également. Parmi les vitrines, contenant des documents d’archives exceptionnels, et les écrits ou certains tableaux encadrés, était également présentée une version écrite de l’appel du 18 juin,  qu’il dira à la radio de Londres, avec un mot annoté de la main d’Yvonne de Gaulle, comme pour l’authentifier. Il est bon de rappeler à ce sujet qu’Alain Delon acheta une des affiches de cet « Appel » placardées sur les murs de la capitale anglaise.

  Au lendemain de la mort de son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, quatre experts de la maison Artcurial n’ont pas perdu de temps pour inventorier ce qui avait été choisi par les deux fils pour être vendus aux enchères. L’abondant et lourd catalogue de 334 pages qui rassemble pas moins de 372 lots « ouvre une nouvelle étape en offrant une double opportunité », comme l’écrit Yves de Gaulle, un des cinq petits-fils du général, second fils de l’amiral (né à Rabat, avant de grandir à Paris), celle de proposer au public des pièces et des documents originaux le plus souvent déjà connus mais qui étaient conservés dans un coffre depuis quarante ans, en même temps que celle d’enrichir à nouveau les collections publiques de documents historiques gardés par notre famille, dont certains sont très emblématiques, et qui seront probablement versés à terme aux Archives nationales. » Et Stéphane Aubert, chargé de la vente, s’est expliqué dans les colonnes du Figaro : « Nous ne vendons qu’une petite partie de ce que possède la famille de Philippe de Gaulle et ses quatre enfants. Pour cet ensemble exceptionnel – uniquement  des souvenirs privés du Général jamais vus du grand public -, nous avons fait toutes les démarches nécessaires avec les instances culturelles pour éviter les problèmes de revendication, comme c’est souvent le cas dès qu’on touche aux écrits publics de l’homme d’État ». Il n’empêche, que l’on est en droit de se demander s’il est bien utile de vendre un tel patrimoine, même s’il est du ressort de l’intime. Pourquoi ne pas avoir offert au Mémorial de Colombey-les-deux-églises la plupart de ces trésors ? Pourquoi ne pas exposer certaines pièces du trésor gaullien à la Boisserie où elles trouveraient leur place ? On pourrait aussi évoquer le musée de l’Armée aux Invalides… 

Lettres de Joséphine Baker, de Malraux, du comte de Paris

Car découvrir par exemple, une lettre de captivité de Charles (alors capitaine), de six pages à sa mère, le 29 juillet 1916, dans laquelle il fait le récit de son assaut en rendant hommage à son commandant mort au combat, est-ce que cela relève de l’histoire familiale ou plutôt de la grande histoire ? Idem quand on lit  la lettre que le général adressa au général Mac Arthur le 5 mai 1956 dans laquelle il écrit  » Vous vous êtes rendu au rendez-vous de l’Histoire et vous ne l’avez pas déçue ». Et pourquoi la famille n’a pas retiré de la vente des centaines de pages manuscrites de la main même du général, des corrections sur les épreuves de ses mémoires par exemple, ou des lettres relevant directement de l’histoire immédiate ? On pense  à ce brouillon de lettre daté du 22 juin 1956 destiné au général René Bouscat qui fut nommé en 1943 chef d’état-major général des forces aériennes françaises, l’incitant à réagir au passage de ses Mémoires de guerre (L’Unité) dans lequel il souligne qu’il a « joué un rôle éminent et glorieux ». Et que dire de ce manuscrit autographe de sa première nouvelle prophétique intitulée La Campagne d’Allemagne, écrite à 14 ans ? Il faudrait citer des lettres du maréchal Pétain, d’Haïlé Sélassié, d’André Malraux, de Paul Claudel, de François Mauriac, de Jean Guitton, d’Alphonse Juin ou, très émouvantes, de Joséphine Baker, toutes manuscrites. « Ce n’est pas une actrice de théâtre qui vous parle, lui écrit-elle, mais une compatriote. qui a la foi en son chef », signée « Votre Joséphine ».  Figure aussi une missive signée de la main d’Henri d’Orléans, comte de Paris (1908-1999), datée du 15 octobre 1956 : « Je viens de terminer la lecture du second tome de vos Mémoires et je tiens à vous exprimer mes remerciements pour l’exactitude avec laquelle vous avez traduit les sentiments qui m’ont poussé à venir à Alger en novembre 1942. Tout au long de ce volume, le lecteur vibre en communion avec l’auteur à la relation de cette marche heurtée, difficile, mais triomphale en fin de compte, vers la libération du territoire. » Mais les lettres les plus touchantes, car les plus personnelles, sont celles écrites par le général à son fils, alors lieutenant de vaisseau, notamment dans les années 1950 alors qu’il rédige ses Mémoires de guerre, trouvant le temps de lui dire qu’à la Boisserie il n’a jamais vu « un froid très dur et très tenace (…), aussi prolongé dans une pareille âpreté. », ajoutant : « Philomène et Louise nourrissent les oiseaux de la Boisserie qui en ont le plus grand besoin. » 

Des dons à la Bibliothèque Nationale

Deux précisions s’imposent : entre 1980 et 1997, la quasi-totalité des manuscrits privés et correspondances familiales furent publiés chez Plon sous la forme de Lettres, notes et carnets, soit treize volumes disponibles, notamment avec la complicité de Michel Cazenave. Comme le rappelle Yves de Gaulle dans sa préface au catalogue  De Gaulle, une succession pour l’Histoire, « parce qu’il considérait que sa mémoire appartient à tous les Français, le général de Gaulle s’est efforcé, outre la publication de ses oeuvres littéraires, Mémoires, Discours et Messages, de mettre  à la disposition du public l’ensemble des textes qu’il a produits au cours de son existence au service de la nation. » Ensuite, rappelons que le général de Gaulle fit don à la Bibliothèque Nationale en 1956,  des manuscrits de la première partie de ses Mémoires de guerre, ensemble de brouillons pour le premier et le deuxième volume, auxquels il travaillait depuis qu’il avait quitté le pouvoir en janvier 1946. « Il s’était également dessaisi, à partir de 1953, de nombreux dossiers produits à Londres, Alger, puis Paris, couvrant les cinq années 1940-1945 », ajoutait Yves de Gaulle. Il en fut ainsi quand il entra à l’Élysée puisque le fonds des archives pour la période 1958-1969 fut déposé à la BN, comme les manuscrits et les dactylographies des Mémoires d’espoir, inachevés, ainsi que la plupart des brouillons des écrits antérieurs au 18 juin 1940. 

Un train électrique et des montres

Parmi tous les objets les plus insolites que le général de Gaulle se vit offrir, ce poignard « Le vengeur de 1870 », offert en juin 1940 par l’historienne anglaise Miss Rose Graham, la donatrice, Commander of the Most Excellent Order of the British Empire, accompagné par ce mot : « Je vous prie d’accepter ce poignard, souvenir de la guerre de 1914-1918. Je vous l’offre en vous témoigant mon espoir et ma confiance que vous serez le vengeur de 1940. Madame ma mère et moi, nous aimons tellement la France, et ses villes d eprovince, où nous avons voyagé si heureusement et nous sommes désolés de smalheurs de nos amis et alliés.. » Autre lot original, le numéro 324 (estimation 1.000/2.000€) : un train électrique remit par Nikita Krouchtchev pour ses petits-enfants, comprenant les rails, deux motrices, deux wagons de passagers et deux wagons de marchandises,  de couleur verte, une gare, un pont, un passage à niveau, un chef de gare, une station et des feux de signalisation. Le secrétaire général du Parti commniste de l’Union soviétique avait été reçu à Paris par le général et son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville,  du 23 mars au 3 avril 1960. Artcurial a exposé ce train électrique une fois monté, mais sans le faire fonctionner, ce qui aurait été assez plaisant… 

Et puis, quand on sait l’importance du temps pour le le fondateur de la Ve Répubique, toujours lié à la réflexion comme à l’action qu’il menait, on n’est pas surpris de voir plusieurs montres, gardées précieusement par la famille et qui font partie de la vente comme une montre à gousset en or jaune au mouvement mécanique avec remontage à couronne de chez L.Leroy, ou ce modèle de chez Lip, célèbre horloger français, « Calibre R 27 », montre bracelet électronqiue en or 18K portée par le général sans doute dès 1958, une des pièces les plus iconiques de la vente, car, comme le disent les experts « elle combine tous les aspects qui conscourent au Prestige de la France« . Cette montre au boîtier rond à double fond vissé pour les piles, est décrite dans la publicité de l’époque comme « l’une des montres les plus précises du monde » ainsi que « la première montre électrique fabriquée en Europe », symbole de l’épopée horlogère de la fabrique Lip, fleuron à l’époque, de l’industrie horlogère en France. Comme le souligne le catalogue : « Discrète, innovante et fabriquée en France, la montre Lip reflète le rapport qu’entretenait le général de Gaulle avec l’horlogerie : la recherche d’un accessoire idéal pour affirmer son soutien à l’industrie française. » Cela ne l’empêcha pas de porter plus tard une montre prestigieuse de marque suisse, Longines (fondée en 1832), au boîtier tonneau avec une lunette en métal doré, qui est aussi de la vente (mais sans bracelet), une des premières à quartz avec ce commentaire de l’amiral : « Montre ayant été portée par mon père ». 

www.artcurial.com

De Gaulle, une succession pour l’Histoire, Artcurial, 332 pages, 50€ (en vente à la librairie Artcurial). Catalogue documenté, commenté, très illustré, tout en couleur, avec une préface d’Yves de Gaulle.

Les produits de cette vente iront à la Fondation Anne de Gaulle. www.fondation-anne-de-gaulle.org.

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