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De Gaulle face à l’Histoire

Par Gilles Brochard

1890, 1940, 1970 : trois dates phare dans la biographie du premier président de la Ve République. Plusieurs ouvrages célèbrent son engagement en 1940, la Libération comme son entrée en politique et les principes qu’il a fondés en créant une nouvelle constitution, mais aussi en redonnant à la France un rôle majeur dans le concert des nations.

Si la télévision s’est emparée récemment de la « geste gaullienne » à travers une série remarquable – De Gaulle, l’éclat et le secret – et plusieurs documentaires diffusés notamment par le service public, il faut saluer l’effort manifeste de certains éditeurs qui n’ont pas hésité à s’engouffrer dans cette « année de Gaulle » avec la publication de livres très ciblés.

D’emblée, la collection Bouquins republie l’intégrale des Lettres, notes et carnets (1905-1941) du Général, présentés par l’amiral de Gaulle. Toujours dans la même collection, l’événement est cette nouvelle version du Bloc-Notes de François Mauriac en deux volumes, annotée par Jean Touzot, et qui traverse les années gaulliennes. Après avoir parlé dans Le Figaro, à la Libération, du « premier d’entre nous », Mauriac évoque dès octobre 1959 le général, tel un « chevalier légendaire dont l’armure est comme enchantée ».

L’auteur du Mystère Frontenac use de mots très forts le 18 avril 1970, six mois avant sa disparition : « Jamais aucun homme politique n’aura annoncé avec une telle assurance ce qui s’est accompli à la lettre : c’est que ce prophète aura été sûr de sa prophétie parce qu’il faisait ce qu’il fallait pour qu’elle s’accomplit ». Mauriac n’a de cesse de relayer le discours du général car pour lui le verbe est aussi fort que l’action puisque l’action succède toujours au verbe. Il sait parfaitement qu’ « un régime lié à un homme, c’est l’histoire de cet homme qui devient la nôtre et son caractère qui devient notre destinée. » Et son éloge continu de l’homme du 18 juin se résume dans son Bloc-notes du 9 janvier 1966 : « Depuis vingt-cinq ans, ce qui me satisfait dans le comportement de De Gaulle, c’est que je sais d’où il vient et où il va ; peu de ses cheminements m’échappent, les motifs en sont inscrits en clair, ici et maintenant, dans le monde tel qu’il m’apparaît à chaque instant de la durée. »

« Restaurateur puis sauveur de la République »

On lira ainsi dans De Gaulle, l’homme du siècle, de nombreuses contributions inédites rassemblés par Jean-Paul Bled, qui cinquante ans après sa mort, disent en quoi la pensée et l’action du général demeurent novatrices et peuvent éclairer la politique d’aujourd’hui, lui qui envisageait son action comme un sacerdoce au service de la France. D’où les questions posées en introduction par Hervé Gaymard, président de la Fondation Charles de Gaulle : « Comment un homme formé dans la France d’hier a-t-il pu se révéler comme un homme d’après-demain ? Comment le fils d’un « monarchiste de regret » est-il devenu le restaurateur puis le sauveur de la République, fondant un régime qui a réconcilié mille ans d’histoire de France ? ».

C’était un homme qui acceptait les valeurs autres que les siennes, mais non l’absence de valeurs.

En écho, Gaël Forni rappelle que pour le général « la seule querelle qui vaille c’est celle de l’homme », phrase étendard à mettre sur le même plan que « l’humanisme intégral » proclamé par Jacques Maritain, tous deux portés à défendre « l’idée de fonder une société sur l’espérance et la liberté, au sens chrétien du terme », comme le souligne encore Gaël Forni. Ce dernier insiste sur l’objectif de l’action du général porté sur « l’émancipation de l’homme, en rejetant tout à la fois les systèmes totalitaires qui broient l’individu, les systèmes collectivistes qui le nient, une certaine forme de capitalisme qui l’exploite. »

Dans le même esprit, Philippe de Saint Robert rappelle que Malraux avait confié à André Brincourt qu’aux yeux du Général, « les valeurs suprêmes de la France étaient, dans la pensée comme dans l’action qui l’a fait entrer dans l’histoire, la nation, le catholicisme, et une sorte de stoïcisme qui gardait ses passions de tout fanatisme. C’était un homme qui acceptait les valeurs autres que les siennes, mais non l’absence de valeurs. »

« La Cinquième République, république monarchique »

On lira aussi avec plaisir, toujours dans De Gaulle, l’homme du siècle, la fine analyse du professeur d’histoire contemporaine Éric Anceau, lequel souligne que le Général appréciait le « conservatisme critique » de Chateaubriand, estimant comme lui que chaque siècle découle du précédent, « que la monarchie a forgé la France et a construit l’État, au fil des siècles, mais que le XIXe siècle a introduit des ruptures : la déchristianisation, les révolutions, la lutte des classes. »

C’est par l’écriture que Charles de Gaulle retrouve, à un moment où son destin semble suspendu, son appartenance à l’histoire de France : elle confirme sa place dans la nation.

De Gaulle il est vrai, considérait que tous les régimes qui se sont succédé depuis la Révolution, mis à part la tentative de la Restauration, « reposent sur le consentement populaire et sont donc peu ou prou républicains, Second Empire inclus. » Y renoncer serait donc peu souhaitable. Et Éric Anceau parlant de son républicanisme : « Il fallait simplement qu’un homme puisse donner une assiette durable à ce régime. Comme il essaie de le démontrer tout au long de la deuxième partie de ses Mémoires, il estime y être parvenu avec la Cinquième République, monarchie à temps, république monarchique. »

Conclusion de Philippe de Saint Robert dans un texte lumineux, faisant allusion aux Mémoires de guerre, notamment : « C’est par l’écriture que Charles de Gaulle retrouve, à un moment où son destin semble suspendu, son appartenance à l’histoire de France : elle confirme sa place dans la nation. Lorsqu’on a à ce point vécu l’histoire avant qu’elle advienne, il est naturel de la recomposer afin de lui donner la plénitude dont l’esprit est de légitimer la politique ».

Résistance, Légitimité, Incarnation, Autorité, Grandeur 

Il faut se pencher alors sur un livre clé, paru avant l’été, signé Éric Branca, De Gaulle et les grands (Churchill, Roosevelt, Nixon, Franco…), pour mieux saisir comment de Gaulle s’est immergé dans l’Histoire, pensant « Je » en disant « la France ». L’auteur cite au fil de son avant-propos la magistrale perception de Raphaël Dargent dans De Gaulle, portraits en douze tableaux d’Histoire de France, sur celui qui résume « en lui tous les personnages de notre histoire » : « Tout à la fois Vercingétorix quand il est à la Résistance, Clovis quand il est la Foi, Hugues Capet quand il est la Légitimité, Saint Louis quand il est la Vocation universelle, Philippe Auguste quand il est le Rassemblement, Jeanne d’Arc quand il est l’Incarnation de la France, Louis XI quand il est le Réalisme politique, Richelieu quand il est l’Autorité de l’État, Louis XIV quand il est la Grandeur, Napoléon quand il est la Gloire militaire, Gambetta quand il est la force du Verbe, Clemenceau quand il est le Caractère. »

On prolongera cette analyse avec le volumineux Découvrir, comprendre de Gaulle, d‘Alain Kerhervé et Gérard Quéré, qui retrace depuis sa jeunesse et la grande guerre, toute la vie militaire et politique de celui qui clamera : « Il n’y a pas de France sans épée. Je suis un soldat français à qui, pour l’instant incombe le grand devoir de parler seul au nom de la France. »

Pour tout savoir sur les Forces Françaises Libres, De Gaulle et Giraud, la conférence de Yalta jusqu’au retour aux affaires et la place de la France dans le monde, l’importance de sa politique sociale, la politique familiale et la Participation, dates après dates, le tout accompagné d’annexes détaillées et de notices biographiques. Une vraie bible du gaullisme.

« L’appel de la grandeur »

Enfin, parmi cette avalanche de livre sur le Général, signalons l’émouvant Colombey, l’autre colline inspirée,de Philippe Le Guillou, qui avec délicatesse raconte ses visites à la Boisserie, allusion à « la terre de France travaillée par le Souffle, le levain de la grâce, le souci des choses d’en haut – l’appel de la grandeur », évoquant avec une certaine gravité le triste 12 novembre 1970, citant les Chênes qu’on abat : « À Colombey, dans la petite église sans passé, il y aura la paroisse, la famille, l’Ordre », la messe s’apparentant aux « funérailles des chevaliers ». Tout est dit.

 Les valeurs les plus hautes de la nation française ne retrouvaient leur éclat et leur force contraignante qu’à travers les mots qui, aux plus hautes époques avaient servi à les formuler.

De son côté Jacques Julliard publie un court essai, De Gaulle et les siens. Il raconte les liens du Général avec quatre écrivains avec qui il a tissé un lien spirituel : la connivence évidente et la rencontre manquée avec Bernanos ; « l’immense considération » portée à l’oeuvre de Paul Claudel (qui démissionna du RPF au lendemain du rejet du plan Schumann par les députés gaullistes en décembre 1951) ; sa fidélité mais « non inconditionnelle » avec François Mauriac et son attachement à « la seule et véritable source » que fut Péguy, Julliard remarquant combien De Gaulle, s’inspirant de l’auteur d’Ève, « pratique cette alternance d’ample éloquence et de remarques coupantes, gouailleuses, ce goût pour les expressions populaires, dont l’irruption soudaine est destinée à réveiller l’auditeur assoupi ». Pour Julliard, de Gaulle a compris comment « les valeurs les plus hautes de la nation française ne retrouvaient leur éclat et leur force contraignante qu’à travers les mots qui, aux plus hautes époques avaient servi à les formuler. »

Enfin, autre hommage sensible et vibrant, celui du romancier Xavier Patier qui dans Demain la France, ouvre les tombeaux de Mauriac, Michelet, de Gaulle, fait l’éloge de sa jeunesse (il est né en 1958) à l’ombre de ces gloires défuntes, marquant à leur façon les trois vertus théologales : « la foi de Mauriac a cédé la place à la tentation identitaire, la charité de Michelet, à la confusion émeutière et l’espérance de Gaulle, au culte décliniste. » Sa chronique d’un temps passé, presque englouti est aussi une façon de retracer sa propre enfance, en tentant de retrouver le fantôme d’Edmond Michelet son grand-père, qui lui avait enseigné deux principes : « l’art d’aimer la France et être digne du général de Gaulle ».

***

À lire : Le Bloc-notes (1952-1962) et Le Bloc-notes (1963-1970), préface de Jean-Luc Barré, édition établie et annoté par Jean Touzot, Robert Laffont, collection Bouquins, 13 44 pages, 32 € (chaque volume). De Gaulle, l’homme du siècle, sous la direction de Jean-Paul Bled, éditions du Cerf, 355 pages, 24 €. De Gaulle et les grands, d’Éric Branca, Perrin, 428 pages, 23 €. Découvrir, comprendre de Gaulle, d’Alain Kerhervé et Gérard Quéré, Regain de culture, 538 pages, 25 €. Colombey, l’autre colline inspirée,de Philippe Le Guillou, Salvator, 180 pages, 18 €. De Gaulle et les siens, Bernanos, Claudel, Mauriac, Péguy, de Jacques Julliard, éditions du Cerf, 101 pages, 12 €. Demain la France, tombeaux de Mauriac, Michelet, de Gaulle, de Xavier Patier, éditions du Cerf, 195 pages, 18 €

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