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Ah, Séville !

Par François Martin (en partenariat avec Causeur)

Les sévillans ne sont pas des progressistes : ils sont fiers de leur ville, mais aussi de leur cuisine et de leurs traditions. Il se trouve que je connais très bien l’Espagne, y ayant vécu l’essentiel de ma jeunesse. Je connais très bien Madrid et sa région, également la Catalogne et les Baléares, assez bien aussi la Galice. Je suis déjà allé à Burgos, Valladolid, Tolède et, au sud, à Cadix, à Cordoue et à Grenade, dans ma jeunesse. Mais je n’étais jamais allé à Séville, dont je reviens.

J’y retourne dès que je peux

A tout point de vue, cette ville est extraordinaire. Sa situation géographique autour du Guadalquivir, la beauté de ses monuments, son patrimoine historique et artistique, tout y suscite l’admiration. Peu d’endroits donnent autant envie d’y retourner. Même la modicité des prix y est tout à fait remarquable, puisqu’on peut s’y nourrir très correctement, avec d’excellentes « tapas », pour quelques euros.

Mais ce qui est le plus impressionnant, sidérant même, c’est donc son peuple. En effet, les sévillans sont des fêtards incroyables, on a l’impression qu’ils ne dorment jamais. Tous les soirs, semaine et week-ends compris, dans les innombrables bars, restaurants et « bodegas » du centre-ville, du quartier de Triana et même de la banlieue, les sévillans sont dehors, hommes et femmes, jeunes et vieux, parlant fort, buvant force bières en rigolant (et ça fume !). Même les enfants y sont, qui, à minuit ou une heure du matin, jouent au foot entre eux et avec leurs pères. La jeunesse, l’amitié, la confiance, l’optimisme éclatent de partout lorsqu’on observe cette société andalouse. Le contraste, lorsque l’on rentre, avec nos rues si souvent vides et sans enfants, nos bistrots, nos commerçants et nos visages tristes, est vraiment saisissant.

Pourtant, l’Andalousie n’a pas été épargnée par la crise, loin s’en faut. Si l’agriculture est importante (le sud de l’Espagne produit, à lui seul, la moitié de la production mondiale d’huile d’olive), la désertification industrielle y a fait son œuvre, avec des taux de chômage aberrants, de plus de 30% encore fin 2016. Si la remontée très rapide du tourisme compense un peu cette catastrophe, ce n’est pas assez bien sûr pour redonner suffisamment d’emploi à la région. Beaucoup de situations y restent très précaires, comme on s’en rend compte lorsque l’on discute un peu, sur un plan plus personnel, avec les serveurs ou les chauffeurs de taxis. Pourtant, il est impossible de distinguer auprès d’eux, ni auprès de personne, le moindre signe de la sinistrose qui nous affecte tant, nous Français. Ils considéreraient d’ailleurs comme un manque absolu de savoir-vivre de nous la montrer.

Fierté andalouse

Quelle est la clef de ce miracle ? Elle est assez simple : les sévillans ne sont pas des progressistes. Ils aiment passionnément leur Semaine Sainte, et leur Féria, et pas seulement parce qu’elles sont connues dans le monde entier. Ils sont fiers de leur ville, mais aussi de leur cuisine et de leurs traditions. J’ai dit à un moment à un serveur du centre-ville qu’il me semblait assez incroyable de manger, à des prix aussi bas, des produits d’une telle qualité, alors qu’il était si facile, vu la quantité de touristes, de trafiquer la qualité pour vendre de la saleté beaucoup plus cher, et personne, mis à part les connaisseurs comme moi et les sévillans, qui iraient alors chercher les « vraies tapas » dans quelques lieux peu connus, ne s’en rendrait compte. Il m’a répondu qu’ils n’étaient pas là uniquement pour faire de l’argent, mais aussi pour la fierté de montrer aux étrangers ce qu’il y avait de meilleur chez eux, « comme nous aimerions que ce soit pour nous-mêmes », a-t-il dit. J’ajoute, étant catholique et allant aussi, parfois, à la messe en semaine, que les églises sont pleines les week-ends, et qu’il y a même du monde en semaine, des hommes, des jeunes femmes et des enfants, pas seulement les mamies. Crime des crimes, les sévillans aiment donc aussi leurs églises et leur religion.

Pour autant, les sévillans ne sont pas des grenouilles de bénitier, ni des fascistes racistes sexistes homophobes ringards arcboutés à leur passé nauséabond. On voit bien qu’ils sont ouverts et prêts à discuter de tout. Ce sont des personnes sympas, normales. C’est nous qui ne le sommes plus : Guilluy dit que ce ne sont pas les idées qui changent les choses, mais le quotidien, et il a bien raison. La marque d’une société qui vit, c’est le bistrot. Lorsqu’on se sent bien, on a envie de sortir, d’aller voir les autres, de faire la fête. Pas forcément pour se défoncer, mais simplement, pour s’amuser, être heureux avec ses amis, passer du temps, discuter de tout et de rien tard le soir. Lorsqu’on se sent mal, on se recroqueville, et on reste calfeutré chez soi. Séville, à ce titre, grouille de vie, et les bistrots y abondent. Chez nous, ils disparaissent, car nous ne sortons plus. L’Andalousie naît, ou renaît, et la France meurt.

Cette pression permanente du progressisme tous azimuts, avec « sauvetage de la planète », « lutte contre l’islamophobie et l’homophobie », y compris dans les stades, « égalité hommes-femmes » tellement ressassée qu’elle instaure progressivement la guerre hommes-femmes, multiculturalisme, migrants, PMA pour toutes, et bientôt GPA pour tous, honte du passé colonial, antispécisme et véganisme, « laïcité » antichrétienne obsessionnelle, etc…, tout cela matraqué tous les jours, de toutes les façons et à tous les étages, tout cela nous tue. Notre société est devenue irrationnelle, suspicieuse, schizophrène, agressive, méchante, tout le monde s’épie, s’accuse et se dispute. Elle n’a plus rien d’humain. Surtout, elle est devenue d’une tristesse absolue. Quand arrêtera-t-on ce lavage de cerveau ? Quand nous laissera-t-on vivre ? Qui nous délivrera du progressisme ? Ah, Séville…

François Martin

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