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L’éditorial de Jean-Frédéric Poisson : transmettre ce qui doit durer, adapter le reste

Quelle drôle d’idée ! Dans un monde où plus personne ne lit, où l’on n’a plus le temps de rien, ou les écrans nous apprennent à ne lire qu’avec les yeux quand un livre nous apprend à lire avec les mains, nous publions une revue en bon vieux papier. Pourquoi être aussi anti-moderne ?

Et il y a pire : cette revue ambitionne d’être celle des conservateurs, catégorie longtemps bannie du vocabulaire politique en France. Nous serions toujours sous la tutelle de cette idée qu’il y a, en politique plus encore qu’ailleurs, une seule direction possible : faire table rase du passé. A quoi bon y revenir ?

Et nous avons même franchi un pas supplémentaire dans l’horreur – ou dans l’aveuglement, ou dans la provocation, ou les trois à la fois : cette revue n’est pas seulement celle des conservateurs, mais celle des « nouveaux » conservateurs. Comme s’il pouvait y avoir quoi que ce soit de neuf dans le conservatisme, qui repose en apparence sur cette idée que les seules vérités qui comptent,, comptent précisément parce qu’elles n’ont rien de nouveau !

Se conjugueraient donc dans cette publication à la fois l’inanité du papier, l’inutilité du but politique, et un mensonge sur le titre. On a connu des démarrages plus favorables.


Pourtant, le conservatisme politique ne s’est jamais aussi bien porté. C’est vrai, ce mot était banni du débat public il y a quelques années encore. Il évoquait pêle-mêle tout ce que l’opinion publique rejette paraît-il en bloc : l’attachement à la morale, au patrimoine, aux traditions culturelles, à la préservation des modes de vie anciens – en un mot tout ce qui apparaissait s’opposer à la religion moderne du « progrès ». Il était plombé par quelques exemples internationaux qui ne donnaient pas forcément envie.


Mais les temps ont changé. Partout dans le monde, la contestation gronde contre la globalisation. On entend cette volonté simple exprimée par les peuples : ne pas disparaître. Les oppositions à la mondialisation prennent des formes diverses : depuis l’expression démocratique des peuples européens ou américains, jusqu’à, dans certains de ses aspects, la volonté de domination engagée de l’Islam sur le monde. Cette volonté s’exprime d’ailleurs d’une manière parfois paradoxale : comment comprendre l’engouement nouveau pour l’écologie, sinon comme une très conservatrice, en un sens, volonté de renouer avec l’enracinement, et la vie harmonieuse avec la nature ? Bref, le conservatisme est en train de triompher de toute part. À défaut de gagner toutes les élections, il devient la référence sans laquelle il n’est pas possible de penser l’avenir politique de nos pays.

Ce sont les dogmes de la religion progressiste qui font naufrage.

Y a-t-il quoi que ce soit de nouveau là-dedans ? Pas le corps de doctrine, même si le conservatisme bien compris est l’attitude intellectuelle qui consiste à vouloir transmettre ce qui doit durer, et adapter le reste. Ce qui est nouveau, c’est que les circonstances le rendent impératif. Ce premier numéro est publié alors que nous sommes encore sous le coup de l’épidémie du Covid-19. On ne compte plus les incantations au titre desquelles un monde radicalement nouveau accouchera de cette crise sanitaire. Les dirigeants occidentaux, et particulièrement les nôtres, ne cessent de rassurer le peuple sur leur capacité à tirer les enseignements de la pandémie, et à orienter les sociétés occidentales dans un nouveau et bon sens. Il n’en est rien. Les épisodes les plus récents de notre vie politique, en particulier le changement de gouvernement, les récents accords européens, et l’absence revendiquée de changement de cap, renseignent suffisamment sur le fait que, si personne ne s’attache à élaborer un projet de redressement pour notre pays, les mêmes causes, modernes et néolibérales, produiront les mêmes effets dévastateurs.

Ce qui est nouveau, c’est que cette crise ne nous a rien appris. Elle n’a fait que confirmer le bien-fondé des convictions que de nombreux acteurs politiques, universitaires, associatifs, économiques et beaucoup de nos compatriotes portent depuis longtemps : ce ne sont pas les remugles et la vieillesse du monde ancien, mais bien au contraire les dogmes de la religion progressiste, qui sont un naufrage. De sorte qu’il n’y a plus aujourd’hui que deux attitudes politiques possibles : la première consiste à persister dans l’aveuglement, en continuant à penser que seul l’abandon définitif des principes du monde ancien assurera le bonheur de l’humanité ; c’est cette posture qui achève de tomber en ruine sous nos yeux. La seconde consiste à chercher dans les permanences du monde ancien ce qui doit nous aider à affronter et régler les crises nombreuses et douloureuses que nous traversons. Une mauvaise manière consisterait à vouloir répliquer, purement et simplement, une sorte « d’âge d’or ». Ou bien encore de considérer que tout ce qui allait de soi avant-hier continue d’aller de soi aujourd’hui, de sorte qu’aucun travail préalable de lecture du monde d’aujourd’hui ne serait nécessaire. Au fond, ce qui est nouveau, ce n’est pas le conservatisme en lui-même, mais l’attitude que doivent adopter les conservateurs, s’ils veulent réussir à proposer aux peuples un véritable projet politique.

À la première urgence qui consiste à montrer la capacité de la pensée conservatrice à élaborer un projet durable de redressement pour notre pays, correspond la seconde urgence, pour les conservateurs eux-mêmes : montrer leur capacité de travail en commun, puis de rassemblement.

C’est clairement dans cette perspective que se situe Le Nouveau Conservateur. En France, les idées ne manquent pas, et n’ont du reste jamais manqué. Le peuple exprime des attentes auxquelles les conservateurs doivent répondre. Ces derniers ont par conséquent le double devoir d’élaborer cette réponse et de lui donner un caractère collectif. La France n’a plus le temps d’être bernée par des candidats qui font semblant d’être conservateurs, alors qu’ils ne l’ont jamais été, qu’ils ne le seront jamais, et qu’ils oublient même l’avoir été le temps d’une campagne dès que celle-ci s’achève. La sincérité, et plus encore la véracité, tout autant que la cohérence entre les paroles et les actes, et la constance dans la défense des idées sont des attitudes conformes à la pensée conservatrice. Notre mission consiste à le rappeler aux électeurs.

Par ailleurs, le temps n’est plus – s’il l’a jamais été – à entretenir les fractures, souvent artificielles, qu’une certaine gauche « morale » a introduites dans la vie politique française dans le seul but d’en tirer profit. Notre ambition consiste à faire parler, dialoguer, travailler, préparer ensemble toutes les personnes qui se reconnaissent dans la pensée et le message conservateurs. À la première urgence qui consiste à montrer la capacité de la pensée conservatrice à élaborer un projet durable de redressement pour notre pays, correspond la seconde urgence, pour les conservateurs eux-mêmes, de montrer leur capacité de travail en commun, puis de rassemblement. Le Nouveau Conservateur poursuivra cette double ambition.

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