Paul-Marie Coûteaux
Jeudi 10 juin. Après les soirs de Printemps à regarder tomber les degrés de la lumière sur les arbres et les terrasses, tandis que s’élevait, par degrés tout aussi réguliers, le chant extraordinairement clair du rossignol (si clair, hier, qu’il en devenait presque des phrases), brutal retour aujourd’hui à Paris, que je retrouve accablée par cette chaleur moite qui rend de plus en plus lourde la vie en ville. Et partout des travaux, presque toujours laissés en plan : outre les forêts de panneaux de signalisation absconse et socialiste pour autoriser, ou interdire, autoriser aux uns et interdire aux autres (piétons, cyclistes, camions de livraisons, bus, voitures, chacun a sa piste, si bien que la plus simple promenade devient un permanent Qui-vive), on voit de toutes part sur les chaussées des excavations, palissades, tubulures, tas de sable, des machines que l’on croit abandonnées, quelquefois même des cabanons de fortune obstruant rues ou avenues, mais on n’y voit presque jamais des ouvriers, et l’on se demande dans quel labyrinthe on se trouve pris. Tout est lourd et laid. Que cherche Madame la maire de Paris, en enlaidissant délibérément sa ville, le voit-elle et le veut-elle seulement ? N’a-t-elle aucune idée de ce qui est beau et laid ? Le goût , qui est déjà un vieux mot, est un des traits des âges classiques, son abandon une conquête des âges modernes -et de la décadence qui les suit inévitablement. En sortant de l’École Militaire (que j’ai trouvée, elle aussi, très mal tenue, presque délabrée en plusieurs de ses endroits), où FM m’avait convié au colloque qu’il organisait avec HEC et l’IHEDN sur l’Afrique, immense entrelacs de forces où chacun sent bien que l’essentiel se jouera dans un siècle ( dans soixante ans, elle rassemblera plus du tiers l’humanité -agréables perspectives) mais qui rend perplexes les responsables français (en clôture, Hubert Védrine était venu dire qu’il n’avait « pas vraiment quelque chose à dire »…), je remonte à pieds vers la Place Saint Sulpice pour me consoler à la Procure, et m’acheter le livre de l’ami Buisson – « la Fin d’un Monde ». Butinant parmi les tables de cet excellent libraire (qui met en bonne vue Le Nouveau Conservateur, grâce lui en soit rendue), je tombe sur un petit opus qui réunit quelques «perles de correspondance» de Flaubert. La Providence est espiègle : feuilletant le volume, je tombe sur ceci : « La littérature commence à m’être fortement désagréable. Je trouve cela tout bonnement impossible et comme, avec l’âge, le goût augmente et l’imagination décroît, c’est atroce (atroce est souligné). A mesure qu’on perd ses plumes, on veut voler plus haut ». Je ne vois pas comment je pourrais mieux décrire ce qui m’arrive depuis quelques années, cet empêchement d’écrire qui se fait plus lourd et plus épais à fendre d’année en année ; j’exige de ma pauvre plume toujours mieux ( sinon, à quoi bon écrire ?), mais vois bien qu’elle n’accède plus à à la prouesse, ou tout simplement à ce cher « bien dire » qui ne me vient plus que dans la tête, quand je forme pour moi, mentalement, de belles phrases, après quoi je ne peux plus rien coucher, sinon en forme de notes jetées ici ou là, sur des papiers éphémères, bientôt perdus, des carnets en cascade, ou sur mon pauvre ordinateur, lui-même si encombré de notes qu’il s’y perd un peu lui aussi. Après quoi, quand il s’agit d’écrire noir sur blanc, l’horrible blanc : galère. Jamais assez bien, toujours en dessous du beau moment d’exaltation cérébrale, et souvent très en dessous. De l’imagination, dit Flaubert. Ce n’est pas exactement ce qui manque, mais l’énergie – et le temps, la discipline. Cet état d’écriture profuse et confuse atteint un degré exaspérant pour le principal de mes travaux, mon Journal, et donc pour les extraits qu’en veut bien prendre depuis un an Monde & Vie. Les notes s’éparpillent de toutes parts, j’ai chaque mois des dizaines de milliers de signes à tamiser, distiller et réduire en douze mille, mais au moment de passer à l’opération que je crois finale, l’essentiel reste à faire, rien n’est beau -et c’est, comme dit le camarade Flaubert, atroce. Cela m’a valu le mois dernier, pour Monde & Vie justement, une aventure qui me terrasse encore : au lieu de rendre la forme finale, buvable au moins, j’ai rendu une sorte de brouillon intermédiaire – et comme je l’ai rendue tard et qu’il fallait boucler, il fut impossible de rattraper le coup : c’est le brouillon qui parut. Honte au front ! Reste à en demander pardon à mes bons lecteurs…
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Samedi 12 juin. Paris. Approche d’élections. Départementales et régionales, sont, cette année, curieusement mêlées, aveu secret de l’absurdité du mille-feuilles administratif, si absurde que je suis fort tenté de m’abstenir devant pareille carambistouille, et sans doute bien des Français avec moi… Mais, s’abstenir, c’est bien ce que demande le Système : que le peuple s’abstienne en masse, et que les titulaires perpétuels procèdent entre eux, tranquilles et bonhommes, à la distribution des postes, prébendes et tribunes. Et que, doucement, l’idée même d’élection aille se perdre dans les grimoires du vieux monde…
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Dimanche 13 juin. Mais que faire ? Je vois bien quelques personnages capables de reprendre la main : mais ils sont, comme toujours, dispersés, ou bien en lisière, comme Éric Zemmour, qui ne se déclarera pas de sitôt. Et je n’aperçois pas de meilleur attelage que celui qu’il pourrait former avec quelques LR de bonne souche, et par-dessus tout Jean-Frédéric Poisson, lui déclaré, et en campagne, discrètement, mais, sûrement – quel homme cultive davantage que lui de durables et confiantes relations avec tout ce qui compte dans la Pléiade des nationaux ? Attelage auquel je m’emploie, ce qui va sans dire -et peut-être serait-ce mieux en ne le disant pas. En tous les cas, mauvaise nouvelle pour le Système : le Front National, grande ombre qu’il fait planer sur ladite Pléiade des nationaux et la recouvre, est en piteux état, à ce que j’apprends alentours. N’y règne plus qu’une petite coterie d’état-major qui tranche de tout, à commencer par relégations et exclusions, où l’on ne réfléchit plus à rien sinon aux élections prochaines, et d’où ne sort plus que de minces filets d’eau tiède propres à rafraîchir militants et électeurs, dont la plupart pourrait bien aller à la pêche. Sur la Covid, dont il est de plus en plus évident qu’elle fut une opération politique de très grande envergure bien plus qu’une épidémie, et dont les décripteurs, couramment nommés « complotistes » voient de plus en plus clairement qu’ils avaient raison, Marine le Pen en est à dénoncer les « élucubrations complotantes », en bonne soldate du Système. Elle passe ainsi à côté, après d’autres grandes causes, d’un vaste courant de braves gens qui s’étonnent que, cette maladie grave, comme on nous l’a assez dit, il fut interdit de la soigner, tout cela pour faire passer tout le monde à l’injection d’un produit inconnu, administré sans recul, et qui était encore en phase 1 de l’expérimentation. Or, voici le pot aux roses : on « vaccine » depuis cette semaine jusqu’aux enfants de 12 ans, alors même qu’il fut dit et répété que les enfants, et même les jeunes, et même la grande majorité de la population, qui a moins de 60 ans, est à l’abri des formes graves – hors comorbidité. Mais je radote et devrais me taire, puisque les vérités éclatent toutes seules à présent. L’injonction de pratiquer l’injection à des enfants dit tout : c’est bien le génome humain que l’on (des oligarchies dont on n’a pas le droit de parler…) entreprend de modifier, notamment lors de la procréation. Mais qui s’étonne que l’omnipuissante (dans les esprits) Modernité devenue folle impose un changement anthropologique radical ? L’a-t-elle assez proclamé qu’elle voulait « changer l’homme » ! On vous prépare ça, mon petit monsieur…
Pourquoi, d’ailleurs, ne pas se répéter ? Me fait penser à ce trait de Jacques Bainville : « Les vieux se répètent et les jeunes n’ont rien à dire. L’ennui est réciproque »
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Lundi 14 juin. Paris. Ayant écrit ce qui précède, je tombai, hier au soir, rangeant la bibliothèque à la faveur de l’installation en son nouveau siège du Nouveau Conservateur (grande affaire qui me prend ces temps-ci le plus clair des jours) sur cette phrase de La Bruyère, dont il n’y a pas mieux que les fameux Caractères pour souligner les constances humaines et illustrer le regard qu’un conservateur porte sur le monde, avec ce qu’il y entre de pessimisme : « Ce qui caractérise l’espèce humaine, c’est l’outrance confinant à la déraison, alors même que l’homme se croit supérieur aux animaux par l’exercice de la raison. Cette croyance se révèle un leurre : le propre de l’homme est de se méconnaître, de s’aveugler sur sa valeur. Par nature il n’est ni bon, ni juste, ni honnête, ni généreux, mais menteur, présomptueux, infidèle, avide, etc. Et cela depuis toujours, avec toutefois une aggravation continue. » Avec une aggravation continue, précise le sagace La Bruyère : comme si le monde, loin de s’élever, tombait au contraire…
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Samedi 19 juin. Mirebeau. La figure devient habituelle, et pas simplement pour moi : douce vie à la campagne, dure vie de Paris, devient la grande chanson du jour, qu’entonnent les Parisiens qui rêvent de fuir et les citadins ou campagnards des provinces, lesquels voient les fuyards affluer, se remplir les maisons, s’encombrer villes et magasins qu’on aurait cru, voici dix ans, vouées à l’abandon. J’écris dix ans sciemment : le mouvement de transhumance inversée s’est accéléré avec l’opération covid, certes, mais il était déjà amorcé.
Récapitulons : y a un millénaire, presque toute la population du Royaume de France était rurale. Le mouvement d’urbanisation, perceptible vers le milieu du Moyen-Âge, s’emballa avec le triomphe des « idées nouvelles » puis de la Révolution : de 5% en 1790, la population urbaine (vivant dans de villes de plus de 10.00 habitants) passa à 12% en 1900, 50% en 1950 et presque 80% vers 2012. C’est alors que s’ébaucha un renversement, d’abord timide, puis de plus en plus marqué : les petites villes de moins de 10.000 habitants et les villages se repeuplent. Aperçoit-on les chances que ce renversement pourrait redonner à ce que nous persistons à nommer, nous autres Conservateurs, la civilisation française ? Ou n’est ce qu’un reflux comparable à celui des citadins devant les invasions barbares, il y a plus d’un demi-millénaire, qui aboutit à l’effondrement général des deniers siècles mérovingiens, et des carolingiens ? Ressourcement ou pas ? La roue tourne.
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Dimanche 20 juin. Vais voter dans le nouveau bureau de vote municipal, celui de la communauté de communes, sis à Chavenat. Personne. Je vote aux départementales parce que j’aime les départements, mais pas aux régionales, car je déteste les régions ; ce désert électoral me fait penser à une phrase de Dostoïevski que je cherche au fond de ma mémoire, roulant au milieu d’une campagne elle aussi déserte : « La tolérance atteindra un tel niveau que les gens intelligents seront interdits de toute réflexion pour ne pas offenser les imbéciles ».
Le principal enseignement du premier tour des élections locales, ce soir est que le duel tant annoncé pour les présidentielles, dans moins de dix mois, Le Pen/Macron n’a plus grande probabilité. Qu’il faut plus que jamais rapporter les voix aux inscrits et non aux votants – où l’on voit par exemple que la batterie de six ou sept ministres que la République en déroute a dépêché dans le Nord, sur le terrain, et sur le tapis : 3% des inscrits ! Et qu’Éric Zemmour, dont même des membres de l’équipe tenaient pour assuré que plusieurs victoires du RN allaient disqualifier sa candidature, a plus d’espace que jamais -et sa candidature plus de nécessité. Déjà s’opèrent autour de lui des recompositions inattendues, y compris dans les partis dits de droite, qui ne le sont pas mais seront balayés par un nouveau parti qui, lui, le sera ; ce soir, grande animation téléphonique. Seule ombre : il faudrait bien que Thierry Mariani l’emporte en Provence, dans les Alpes etc…
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Jeudi 24 juin. Retour à Paris, hier, avec la fin du déménagement. Les déménageurs s’inquiètent de ce que l’UEFA (une des féodalités en vue dans le monde du foute) cède aux injonctions islamistes et retire tout alcool de ses conférences de presse. Jean-Frédéric Poisson écrit que ce genre d’injonction est un des plus sûrs moyens de conquérir. Mais je vois bien, dans mon nouveau quartier, que ces moyens subreptices sont innombrables : mise en scène publique des fêtes rituelles, musique diffusée aussi fort que possible par les fenêtres, etc. Pour s’installer, montrer par tous les moyens que l’on s’installe. Amusant : je boucle ce soir une longue conversation numérique avec Renaud Camus sur fond de musique arabe… Elle sera publiée dans le numéro d’été du Nouveau Conservateur -nous bouclerons après le second tour un numéro fort riche : Zemmour, Mariani, Alain de Benoist, Onfray, Laurence Trochu, Sébastien Meurant…Ah, certes, idées et réflexions ne manquent pas : ce qui manque, c’est le pouvoir – je veux dire l’Histoire, qui tant fait défaut…
Paul-Marie Coûteaux
Juin MMXXI