Dimanche deux janvier deux mille vingt-deux – Après trois rapides journées à Bordeaux, retour à Charmant par la bonne vieille Nationale 10, sans cesse rénovée et élargie ; elle était toute pimpante tout à l’heure, sous le petit soleil d’hiver, si dégagée que nous survolions presque forêts et vallons. Comme j’aime les routes ! Bach en boucle ; je n’entends (au sens de comprendre) jamais mieux la musique qu’en voiture, quand les notes se répandent, courent et s’illuminent sur les paysages qui défilent, ennoblissant à peu près tout, les champs, les forêts, les fermes, et jusqu’aux laideurs qui gâchent périodiquement les paysages…
On comprend l’engouement de nos contemporains pour le Cantor, dont la moindre page a le don d’installer dans les recoins des âmes ce qui leur manque le plus aujourd’hui, la sérénité – cette sérénité ancienne, du moins perdue par les Modernes, que seule donne une foi tranquille et sûre, si légère, chez Bach, qu’elle s’élève comme d’elle-même vers le Ciel.
Gagné par une soudaine envie d’arbres et de promenade, j’ai bifurqué sur un coup de tête à la hauteur de Chevanceaux, roulant droit vers une forêt aperçue au loin, puis me suis engagé sur le premier chemin trouvé pour marcher au hasard. De près, cependant, la forêt était décevante, tant elle m’apparut mal entretenue et désordonnée, la marche devenant assez vite difficile tant les entremêlements de troncs et de branches se faisaient épais. Même, une bonne partie des arbres encore debout semblaient abîmés, certains déplumés, d’autres enlaidis par ces grandes branches pendantes ou obliques qui détruisent l’harmonie des futaies, quand elle sont bien tenues. Je crois avoir lu quelque part que M. Macron, tout à son œuvre de destruction du pays, a progressivement dessaisi l’Office National des Forêts, diminué ses compétences (au bénéfice, via les communes, de sociétés privées, donc de déforestations ), mais aussi son budget et ses effectifs -consulté sur internet, le site de l’ONF fait piété à lire : on fait état d’une cinquantaine de suicides d’agents au cours des dernières années, désespérés sans doute de voir l’œuvre séculaire que fut longtemps la forêt française se défaire lentement. Nos forêts sont donc à l’image du Royaume, abandonnées et lamentables. Sur le plaisir de mon retour en Charente, cette halte a finalement jeté une ombre triste. Devant tant de désastres, le moyen de rester indifférent ? Faut-il donc que plus jamais ne nous lâchent les soucis politiques ?
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Lundi 3 janvier, Charmant, cette fois chauffé et bien chauffé, et si confortable que je peux de nouveau travailler dans mon grand bureau ; ses hautes baies double-vitrées le rafraîchissent un peu, la nuit, mais, depuis midi, elles glissent dans la pièce un petit surcroît de tiédeur ensoleillée. ( Quoi de plus tendre qu’un beau jour d’hiver ?). Il faut d’autant plus pousser les feux que nous recevons demain la visite d’un énigmatique personnage venu de Bretagne, qui se présente comme « un grand solitaire » et cherche un « château classé » pour y vivre retiré avec ses chiens. Puissè-je vendre à un Français ! Ce n’est pas acquis, hélas, et je vois bien que les candidats, enfin plus nombreux qu’ils ne le furent ces dernières années (« la Charente se repeuple à vue d’œil, dit O. de L. avec gourmandise, cette année, pour les fêtes, les châteaux étaient pleins comme des œufs » etc.) les candidats à la reprise du domaine, donc, viennent de loin pour la plupart, la fine proportion de Français bien pourvus, et capables d’entretenir le patrimoine devenant dangereusement mince. Ce n’est certes pas la première fois que la sotte persécution des nantis affaiblira le Royaume : en France, c’est une démangeaison multiséculaire. Il faut niquer les riches -et si possible tout ce qui est beau. Ne serait-ce que pour l’abolition des droits de succession qu’il promet ( pour les entreprises familiales, pas tous les éléments de patrimoine, hélas !), votons Zemmour !
Ai expédié quelques vœux, sans entrain -quelle barbe, les voeux ! Je me demande ce que l’on peut souhaiter cette année à ses parents et amis. Et que souhaiter à ses lecteurs ? J’ai beaucoup hésité entre deux mots : liberté ou libération. Il faudrait éviter Liberté, mot qui n’est plus qu’un slogan, presque odieux tant il est galvaudé, invoqué à tort et à travers au point même de nier ce qu’il veut dire, la faculté donnée à un être d’être ce qu’il est, non pas de faire ce qui passe par la tête selon l’acception de l’époque -ceux qui lui ont donné ce sens idiot prouvent aujourd’hui sa fausseté foncière, quand ils accouchent, et s’accommodent d’un monde où les contrôles du techno-progressisme l’ont réduit à rien. Le mot redevient utilisable cependant, quand partout surgit qui lui est contraire : la soumission à la propagande, aux injonctions, aux multiples rouages de la peur. Va pour la Liberté, donc ! Puissions-nous opposer à la Machine, d’ostentatoires excentricités, si possibles sauvages et provocantes. S’il est quelque chose à souhaiter aux Français, en ce début d’année, c’est tout simplement qu’ils défrichent eux-mêmes les routes de leur libération, en coupant bravement les lianes qui les enserrent de tous côtés -qu’ils jettent leurs écrans de contrôle, pour commencer, télévisions et portables. Ce qu’on appelle « crise sanitaire » n’est que le symptôme ahurissant de ce dont est désormais capable la technocratie. Il dépend un peu de nous d’échapper à cet enfer techno-progressiste : il suffit de retrouver ce que la liberté a nécessairement de sauvage. Y revenir…
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Jeudi 6 janvier. Paris. J’y reviens. Qui n’a pas vu les stupéfiantes files d’attentes qui s’étirent devant les pharmacies, et ces parents à la fois exaspérés et patients qui portent dans leurs bras leur progéniture souvent effrayée par l’écouvillon qu’un inconnu glissera au fond de leurs petits nez n’a pas idée de ce que peut la technocratie contemporaine et du degré d’asservissement dont elle est capable, grâce au renfort des propagandes qui désormais sont partout. C’est Moscou aux grandes heures. Je ne crains pas de dire que cette sorte d’accomplissement administratif nous approche sans cesse davantage des totalitarismes du siècle passé. Aussi sanguinaires et criminels qu’ils furent, ni Staline, ni Hitler, ni Mao ne sont allés jusqu’à fixer le nombre maximal de personnes qui peuvent se trouver autour d’une table lors d’un repas de famille, ce qui fut pourtant imaginé par nos tyranos démocrates l’an dernier ni, comme on le vit plus récemment dans les foyers, à imposer des tables à part pour séparer les « contaminés » et quelquefois même les « non-vaccinés » de la tablée principale. A l’instar de tous les régimes totalitaires, on peut s’étonner de l’étrange consentement des individus à leur propre assujettissement, avec cette hébétude que finit toujours par obtenir le déploiement des propagandes.
Voici des décennies que ce totalitarisme larvé pose ses pions : la forêt technocratique a fait passer autour de chacun de nous des lianes dont on ne s’est même pas rendu compte qu’elles finissaient par empêcher tout mouvement. Nous sommes tous environnés de codes (j’en ai maintenant tout un carnet, et, si je le perds, je suis mort), mais aussi de normes et de règlements si entremêlés que les avocats eux-mêmes s’y perdent – Conseil d’Etat et Cour des Comptes le dénoncent eux-mêmes en constatant benoîtement que nul n’est plus censé connaître la loi. Or, qu’est-ce qu’un régime dans lequel la loi est à ce point obscure que plus personne ne la connaît, sinon un régime totalitaire ? Ah, certes, ce n’est pas le libéralisme qui s’oppose à la chape totalitaire : justement, il en accouche ! Face au totalitarisme, il n’est qu’une seule force : le rappel des libertés anciennes et des traditions patinées, la fidélité des peuples à eux-mêmes, la sagesse des nations et la modération des politiques pragmatiques et des chefs prudents -autrement dit l’esprit conservateur… Titre du prochain numéro du Nouveau Conservateur « Conservatisme ou Barbarie ».
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Vendredi 7 janvier – Paris. Il y a aussi de bonnes nouvelles : Guillaume Peltier devrait annoncer dimanche qu’il soutient Eric Zemmour, lequel lui confiera l’organisation du parti ; ce ne fut pas une mince affaire mais, après des mois de plaidoiries tenaces, je la vois maintenant bel et bien dans la poche. C’est un tournant dans la campagne, pour Zemmour mais aussi pour la droite qui pose ainsi un beau jalon pour sa réunification -ai préparé un papier pour Valeurs sur ce thème, qui paraîtra aussitôt l’annonce faite. Je connais Peltier depuis dix-huit ans -2003. Il venait d’entrer au service de Philippe de Villiers, lequel en était coiffé, et à très juste titre : à 26 ans ce jeune homme rayonnait d’une énergie si naturelle et si joyeuse qu’on le sentait capable d’arriver à tout. J’avais d’abord, comme beaucoup, flairé l’ambitieux. Il l’est, certes (son seul tort est de le montrer parfois…) mais il est infiniment davantage, et le geste d’aujourd’hui le montre -quel député, quel « numéro 2 » d’un grand parti de notables lâcherait un si beau poste pour l’ombre ? Professeur d’Histoire et de Géographie, son moteur est là : l’amour de l’Histoire et de la géographie du pays. Dix fois, j’ai vérifié sa sincérité. J’avais aimé qu’il accepte d’emblée, lui, le mot alors discuté de souverainisme, à la différence des vieux caciques qui à l’époque ne l’utilisaient qu’avec des pincettes. J’arrivais à peu près en même temps que lui au Mouvement Pour la France (MPF), qui restait l’élément le plus solide de l’aventure du RPF que nous avions fondé avec Charles Pasqua et qui capotait. Je ne sais plus pourquoi Guillaume était venu me rendre visite dans mon petit prieuré poitevin où nous avions joué au ping-pong, prétexte de parler sans trop en avoir l’air des élections européennes qui suivraient, à l’occasion desquelles il me soutint bravement. L’année suivante, il mena à vive allure la campagne pour « le Non de Droite » au référendum de 2005, où son dynamisme fit merveille. Après quoi, il se lança aussitôt dans la campagne présidentielle de Philippe de Villiers, celle d’avril 2007 ; il y eût bien des inquiétudes lorsque celle-ci fut ouverte par un livre passablement polémique, Les Mosquées de Roissy, par lequel « le Vicomte » entendait attirer l’attention sur les progrès des réseaux islamistes sujet que personne n’osait alors aborder ; cause juste, mais qui eût pour effet de faire fuir une bonne part des maires qui se proposaient de parrainer le candidat -déjà , les Français avaient peur de regarder les choses en face -il fallait attendre les bombes… Je revois ce déjeuner de septembre 2006 où Villiers, inquiet de voir son vivier d’élus se dérober, nous avait réuni pour que nous mouillions notre chemise : il fallait 500 parrainages avant Noel. J’ai dû en trouver deux ou trois. Guillaume Peltier se mit à l’ouvrage avec un acharnement extraordinaire, battant la campagne, rencontrant des maires à tour de bras -il ne procédait pas, lui, par internet… A lui seul, il en apporta plus de 400 ! Il n’avait pas son pareil pour parler aux maires et surtout les écouter, ce qui signale une « bête politique » au meilleur sens du terme : la race non-technocratique, celle qui aime les gens.
S’ouvrit alors une campagne assez pénible tandis que Nicolas Sarkozy, déployant une surenchère droitière dont la démagogie n’avait plus de bornes, asséchait le terrain souverainiste avec un aplomb qui nous dépluma en un tournemain. Philippe de Villiers m’avait nommé porte-parole, nous tenions Guillaume et moi tous les trois jours une conférence de presse qui ne réunissait quelquefois qu’un ou deux journalistes. Le soir du référendum victorieux de 2005, nous étions tombés dans les bras l’un de l’autre. Joie éphémère : deux ans plus tard, au soir de la présidentielle qui vit Philippe de Villiers chuter très lourdement à 2,3 % nous nous bornâmes à convenir qu’il n’y avait décidément nulle place pour ce que l’on appellera plus tard « la droite hors les murs » et que le seul salut pour la Droite serait de s’unir. Pour lui ce fut le début d’un rapide recyclage dans ce qui était alors l’UMP où, avec le même entrain, il allait fonder ce que l’on appela La Droite Populaire puis La Droite Forte ; de mon côté, je mis à l’eau le frêle esquif du SIEL pour créer des passerelles entre FN et UMP. Nouvel échec. Nous ne nous sommes jamais perdus de vue, et je ne lui en ai certes pas voulu de troquer cette « union des droites » aux chemins tant escarpés, à laquelle pourtant il croit autant que moi, pour un soutien à Nicolas Sarkozy -qui au moins, finit par le faire élire député de Sologne. C’était se compromettre, peut-être ; mais comment être sévère ? Il n’avait aucun autre choix pour poursuivre sa carrière. Et la Sologne lui donnait de toute façon l’absolution. Enfant, il péchait dans une petite rivière, le Cosson, qui serpentait entre les étangs, les mousses et les fougères, près de Chartraîne, le môle de ma famille paternelle. J’ai toujours vu autour de lui des paysages solognots -je me méfie de ceux qui n’ont pas de racines, et qui se condamnent à n’être que cérébraux… J’aime d’autant plus les êtres qu’il y a autour d’eux un paysage, d’où l’imagination les voit sortir et dont ils ne semblent être que le prolongement animé…
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Jeudi 20 janvier – Paris. Enfin, TVLibertés va diffuser mes entretiens avec Jean-Marie le Pen, enregistrés il y a déjà plusieurs mois à Montretout. Si je le note ici, c’est que j’ai retrouvé l’autre jour le papier qu’il m’a donné, après notre dernier entretien, avec un petit air complice dont je n’ai pas perçu tout de suite le sens : la copie d’une lettre que François Mitterrand lui a adressée le 13 février 1984. Le document est posé depuis lors sur mon bureau, je le regarde de temps en temps et ne sais qu’en faire. Je me décide ce matin à en retranscrire un paragraphe, subtilement décisif : « Quel que soit leur intérêt, les sujets dont vous me saisissez n’entrent pas dans les attributions constitutionnelles du Président de la République. Il n’en reste pas moins que, parce que c’est mon devoir, je rappellerai à tous, et en toutes circonstances, comme je l’ai déjà fait, la nécessité de reconnaitre les droits de chaque formation politique, notamment son droit d’expression et de représentation ». Ce fut écrit quatre mois de l’élection européenne de juin 1984, qui, après plusieurs émissions de grande audience dont Jean-Marie le Pen fut la vedette, vit passer le Front national de la marginalité à 11%. Jean-Marie le Pen a joué son jeu, François Mitterrand aussi, et la droite française s’enfonça dans la division et, surtout, dans la stérilité intellectuelle, chacun se caricaturant à mesure pour se séparer de l’autre. En face, la divine Gauche, unie, elle (fût-ce face à un « fascisme » monté comme un théâtre), allait dominer le pays jusqu’à le conduire au bord du gouffre… Cela s’appelle un drame -bien monté, hélas !