Par Paul-Marie Coûteaux
Mardi 20 octobre. Il y a mes lectures, celles que m’imposent les autres en m’envoyant des livres (le flot ne cesse pas et déborde de ma boîte aux lettres), ou en me conjurant de lire tel ou tel… Quel tourbillon…
L’autre jour, le décidément très excellent François Martin me montre un passage du fameux « C’était de Gaulle », de Peyrefitte que j’avais bien dû lire sans en mesurer la portée. La scène se situe le 04 janvier 1963, quand, tout gaillard, il affirme au dit Peyrefitte : « Nous avons procédé à la première décolonisation jusqu’à l’an dernier. Nous allons passer maintenant à la seconde. Après avoir donné l’indépendance à nos colonies, nous allons prendre la nôtre. Car l’Europe occidentale est devenue, sans même s’en apercevoir (c’est moi qui souligne), un protectorat des Américains. Eh bien, il s’agit maintenant de nous débarrasser de leur domination ! La difficulté dans ce cas c’est que les colonisés ne cherchent pas vraiment à s’émanciper. Depuis la fin de la guerre, les Américains nous ont assujettis sans douleur et sans guerre de résistance ». Peu après le général ajoute : « Il devient urgent de secouer l’apathie générale et de monter des mécanismes de résistance ; car les décisions se prennent de plus en plus aux États-Unis, même pour ce qui est de nos industries. Il y a un véritable transfert de souveraineté ; c’est comme dans le monde communiste où les pays satellites se sont habitués à ce que les décisions se prennent à Moscou ». ( Tome 2, p. 15). Diable d’homme ! Voilà que, avant de comparer le débarquement américain de juin 44 dont il refusera l’année suivante de commémorer le souvenir en expliquant que « le débarquement des anglo-saxons n’était que le prélude à une seconde ( sic) occupation du pays », il avait déjà comparé, dès 1943, la situation de la France à celle d’un pays colonisé, le comparant ici à l’Algérie ; et que, de surcroît, il pointait aussi une soumission impériale comparable à celle des pays tombés sur le joug soviétique. En somme, il mettait sur un même plan les trois empires qui ont dévasté le siècle et inscrivait la résistance à ces trois empires dans une même nécessité. Comme me plait, du point de vue national, cette lecture du XXè siècle…
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Jeudi 30 octobre. Une consolation dans la désarroi général : le constat désormais général, si éclatant que le Figaro le claironne ce matin haut et clair que la « côte de popularité » de celui qu’on n’appelle plus que par habitude le « Chef de l’Etat », glisse vers le néant. 11% d’opinions favorables – moins de cinq points d’un coup. Aussi gavés de propagandes qu’ils le soient, les Français n’en sont pas moins lucides sur le clown national – et universel. Encore le Figaro laisse-t-il entendre que la réalité pourrait être pire si un petit « ajustement » n’avait permis de « stabiliser » le résultat à 11%, chiffre qui a l’avantage d’accrocher la glissade à un précédent, ce 11% qu’avait atteint Hollande en septembre 2016 à la fin de son calamiteux quinquennat – ledit Macron étant alors ministre des finances jusqu’à ce que, en ce même mois de septembre, il saute en parachute.
Etonnant, ce 11% ? Oui, tant il est bas ; non, tant il est logique. On peut d’ailleurs conjecturer que, en réalité, il est plus faible encore. Il y a dix-huit mois, lors des dernières européennes, la candidate du triste sire et de tous ses partis réunis, atteignit 14% des suffrages exprimés ( soit moins de 8% des inscrits ) chiffre si cinglant qu’il provoqua la colère d’Emmanuel, lui inspirant dissolution qui l’engagea dans une instabilité dont le pays ne se sort pas, et qui, de crise en crise, fait pâlir toujours son étoile. On retient de tout cela qu’on peut être Président de la supposée « République française » être censé incarner la France vis à vis des puissances étrangères ( et des féodalités intérieures…) tout en ne représentant pas le dixième des Français. La République, qui s’est tant glorifiée de représenter le peuple face à l’arbitraire d’un roi qu’elle disait isolé à Versailles et se gargarise tant de démocratie n’a décidément peur de rien, ni honte de rien.
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Lundi 3 novembre. C’est en ce moment un tourbillon d’émissions, de débats, d’enregistrements et je m’étonne que mon carnet de bal soit si rempli, entre mes émissions désormais hebdomadaires sur Radio Courtoisie, mes entretiens réguliers avec Nicolas Stocker sur GPTV, la nouvelle émission mensuelle sur Omerta, dite « La France dans le chaos du monde », en passant par une belle engueulade en direct, l’autre jour sur Tocsin, avec l’ami Bercoff, au suejt de l’impérialisme étatsunien, mon grand cheval du moment – à vrai dire, il est permanent depuis des lunes, car je ne vois nul combat qui soit plus décisif… Tout cela sans compter avec mes propres Conversations pour TVL et, bientôt, un « Bistro Libertés » avec Florian Philippot. Je n’ai plus de paix que la nuit, et finis, à force de lectures, « visionnages » et préparations diverses, par dormir peu, bien trop peu…
L’autre jour, enregistrement de la Conversation avec l’étonnant Hugues Reiner, rencontré grâce ( ou à cause ) de Valentin G, et qui m’a fait « Président » de sa saison de concerts – en fait, il entend bien me faire jouer les rabatteurs et l’aider à remplir périodiquement l’église de Saint Sulpice – belle audace, car l’immense église, la plus grande de Paris avant notre Dame, m’assure-t-il, compte plus de deux mille places
Quel personnage, ce Reiner ! Océanique, volcanique, angélique, quiconque le rencontre en est marqué une fois pour toutes. Issu d’une famille roumaine d’origine juive réfugiée en France en 1929 puis décimée par les déportations, fils d’une mère sociologue et fantasque et de l’écrivain Silvian Reiner qui, réchappé par miracle, deviendra l’ami de Joseph Kessel et de Maurice Druon, la vie de cet homme est pour toujours chamboulé par les dépressions de son père, sa chute finale, et la misère. Mais voici que, par la grâce d’une ami de collège dont la famille l’invite souvent à dîner, il découvre d’un coup les fulgurances des symphonies de Malher, et sur cette jeune âme tourmentée, la musique tombe comme une sorte de rédemption définitive, un antidote universel aux misères du monde et de la vie. Aussitôt, il décide d’y vouer la sienne : il devient choriste, se fait protestant puis catholique, et, guidé par une énergie débordante, chef de chœur, chef d’orchestre, compositeur saisi par la cause de la musique française, organisateur de concerts grandioses ( il dit : cérémonies ) qu’il situe au sommet du Mont Blanc comme au milieu des tireurs isolés de Sarajevo, ou encore, de temps à autre, à l’Eglise Saint Sulpice, qu’il remplit périodiquement pour des communions mémorables. Fatiguant ( il veut arrêter les guerres…), exaltant, déroutant, prodigieusement imaginatif, constamment généreux, je ne sais comment guider la pauvre conversation, qui part un peu dans tous les sens. Mais je m’avise, en l’écoutant, de l’importance du son : ne dit-on pas, quand on comprend une chose qu’on l’entend – comme si l’oreille était encore plus près de l’esprit que l’œil ? Notation d’une grande portée notamment si l’on juge que la sensibilité d’un homme, ou d’un peuple est encore plus modelée parce qu’ils entendent que parce qu’ils voient, séduits, ou soumis en somme par la musique plus encore que par l’image ou le cinéma. D’où l’importance, concluons-nous, qu’il y ait encore, et toujours, une musique française…
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Samedi 8 octobre – Temps sombre et calme ; journée passée bienheureusement au lit. Me régale d’apprendre en passant, ou plutôt en lisant Branca et ses « 300 Jours » (quel livre : y revenir..), que, au Berghauf, on n’écoutait moins la musique de Wagner que, au bon soin d’Eva Braun, du jazz. Hitler n’y était pas opposé d’ailleurs, qui admirait tant les réussites américaines – on connaît sa vénération pour Henry Ford- et nourrissait pour sa part une grande admiration pour les productions de Walt Disney. Mickey Mouse, disait-on, l’enchantait. Traits qui ont beaucoup plus d’importance qu’ils n’en ont l’air…
Macron, encore. Quel écrivain inspiré tenait qu’à l’âge de 50 ans un homme devenait responsable de son visage ? Je songeais à cette phrase l’autre jour en regardant le visage de M. Macron, dont le sourire, autrefois avenant, les traits fins et la lippe fraîche s’alourdissaient peu à peu pour glisser lentement vers leur contraire, la grimace – et dont il n’était pas jusqu’à sa nouvelle manie des rouflaquettes qui, assombrissant le haut de son visage, qui ne finisse par le faner, au point qu’il se muait en une sorte de nouveau Rubempré brutalement vieilli, dévasté par les revers de fortune et les calculs défaits, et finalement consumé dans les cendres des amours mortes. Quant aux canines déjà jaunies du chacal vieillissant, elles me firent penser à autre chose – ou plutôt à quelqu’un. Elles m’ont d’un coup fait penser à Olivier Marleix, dont l’histoire dira peut-être que la mort mystérieuse fut, comme je le soupçonne, le plus grand de ses crimes.
« Dissolution française » : c’est le titre, dévastateur sous la plume d’un homme plutôt modéré, de l’ouvrage dont Olivier Marleix avait achevé la relecture la veille même de sa mort, ce samedi qui précéda sa supposée pendaison, où il écrivit à son éditeur que le manuscrit relu lui paraissait satisfaisant, lui donnant en somme son « bon à tirer ». Le sous-titre, « La fin du Maconisme », pour cruel qu’il soit, n’est pas pour autant désabusé : c’est un livre de combat, par lequel le fringuant député ( il n’avait que 54 ans ) entendait revenir sur le dossier Alstom mais aussi et d’autres, notamment le dossier Alcatel, tout aussi terrible pour M. Macron – on ne compte pas les grandes entreprises françaises dont le jeune banquier des sires Rotschild a favorisé la vente à des entreprises américaines.
« Qu’est-ce qui n’est pas détruit dans notre pays ? » s’interrogeait Marleix, répétant que la France n’avait plus « ni cap ni capitaine ». Ce ne sont pas là des phrases de dépressif mais des tirs de combattant ; ce combattant dont mon excellent ami Éric Morillot a relevé qu’il paraissait très en forme le jeudi 3 juillet ( soit 3 jours avant son prétendu suicide), quand, à l’Assemblée nationale, il clouait sur place des députés de gauche qui contestaient un de ses amendements renforçant l’encadrement des droits des étrangers. Combattif, il l’était, et point du tout dépressif ( l’impression est nette sur la vidéo que diffuse Morillot sur son fil X), et l’on peut tenir pour assuré qu’il l’aurait été tout autant en cet automne où parait son livre, menant contre M. Macron une campagne aussi incisive que celle qui, trois ans plus tôt avait assuré le succès de son ouvrage précédent « Les Liquidateurs – ce que le macronisme inflige à la France ». Le lendemain, vendredi 4 juillet, il allait à Anet, relire les éprouves du livre, donc ; le surlendemain, samedi 5 juillet, il passait l’après-midi à la mairie de sa commune, où il avait passé la main, incompatibilités obligent, à son ancienne adjointe. Elle témoignera qu’il était dans sa forme habituelle, et qu’il lui avait donné rendez-vous le sur-lendemain, lundi 7, à la Marie. Il n’y vint pas et c’est ce jour-là qu’il fut retrouvé mort, pendu
Comment croire à un suicide, sans doute le dimanche 6 juillet, alors que, selon le propos même du Procureur de la République qui annonça sa mort et l’ouverture d’une enquête (dont on attend toujours les résultats), il n’avait laissé aucune lettre d’explication ? Comment croire aussi que ce combattant solide s’était donné la mort alors même que son livre allait paraître peu après, et que, de surcroît, il était un catholique, et non moins solide ?
Je reviendrai sur cette affaire mais suis passablement chagriné de ce que plusieurs de mes amis (qui l’ont bien connu et servi pour être membres de son parti ) m’aient aussitôt assuré, cet été, que la thèse de l’assassinat ne tenait pas, endossant la minable petite thèse de la classe politique aussitôt répandue, prétendant qu’il avait une peine de cœur, ou qu’il avait été secoué quelques mois plus tôt par son brutal remplacement à la tête du groupe LR par M. Wauquiez, lequel venait d’être battu par M.Retailleau à la présidence du parti, etc, etc. Quelle tristesse, mes amis, que cet homme, l’un des derniers vrais gaullistes de combat, vous ne le défendiez pas, racontant au contraire le bobard selon lequel selon lequel il serait difficile de maquiller un crime en pendaison volontaire – alors que, comme me l’a dit voici quelques semaines un ancien membre des « Services », c’est justement un des modes d’assassinats les plus commodes – il suffit de neutraliser la victime ne serait-ce qu’en le surprenant dans son sommeil, puis de le hisser jusqu’à la corde au bout de laquelle on le retrouvera le lendemain ? Et quoi de plus facile pour des « Services » aguerris, comme il y en a heureusement en France, de se glisser dans une maison de campagne et d’agir à l’aube d’un dimanche somnolent de juillet ? Décidément, je reviendrai sur cette affaire qu’on ne doit pas laissez s’éteindre comme on laisse s’éteindre la mort tout aussi accusatrice, trois semaines plus tôt, dans une forêt de Savoie, d’un autre catholique, qui n’a pas non plus laissé de lettre, Éric Dénécé ; et sur la mort, quelques semaines plus tôt, d’un autre catholique prétendument suicidé, ce bon Général Delawaere ( à ver ), un homme tout autant courageux, tout autant en colère, tout autant informé et combatif que l’étaient Marleix et Dénécé. Allons, il faut bien conclure, aussi terrible et simple que cela soit : en France, on assassine les opposants – du moins ceux qui prennent au sérieux leur opposition…
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Mercredi 12 novembre. On l’attendait aux alentours du 1er novembre, date anniversaire de l’insurrection du FLN ; elle est arrivée ce matin, mais points par les voies que l’on attendait : c’est l’Allemagne qui a obtenu la libération de notre cher Boualem Sansal – je dis « cher », car j’avais aimé de plein pied cet homme simple et drôle, serviteur impavide de la vérité, rencontré quelques semaines avant son arrestation pour deux Conversations TVL enregistrées dans la belle maison des Landes d’un ami commun. L’Allemagne et pas la France, alors qu’il était Français et point allemand. C’est l’Allemagne qui a joué et gagné et c’est le pauvre Macron qui se trouve une fois de plus ridiculisé – décidément tête à claque universelle. ( Soit dit en passant, jamais j’aurais cru m’autoriser à parler ainsi d’un Président de la République – mais c’est justement qu’il n’y en a plus).
