Lettre ouverte au Premier ministre

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Par Jean-Claude Martinez

Professeur de droit public et de Sciences Politiques – Panthéon-Assas Université

« POUR LE BUDGET, VOUS AVEZ LE REFERENDUM … »

 Monsieur le Premier ministre,

Evidemment comme tous vos prédécesseurs depuis 2024, votre problème, c’est le budget. Certes, vous n’êtes pas le seul. Donald Trump lui aussi s’était retrouvé coincé en octobre 2025 par son Congrès. 

Entre lui et vous, il y a toutefois une immense différence. Lui, totalement à la merci des 435 députés et des 100 sénateurs, n’a pas la maîtrise de la solution, alors que vous, vous l‘avez. Avec la possibilité d’adopter le budget par référendum.

Oui ! Le budget de la France adopté par les Français !  J’entends bien que, pour vous, ce n’est même pas populiste, c’est hilarant. Il suffit pourtant de lire pour voir que c’est évident. 

Alors. Lisez.

D’abord, l’article 14 de la Déclaration de 1789, inspiré de la constitution de Virginie, ramenée par Lafayette, et partie intégrante de notre constitution : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes… la nécessité de la contribution publique,… d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Vous lisez bien et « par eux-mêmes » et qu’il s‘agit aussi de « l’emploi » de la contribution publique », forcément sous forme de dépenses.  Ce qui veut dire que les dépenses publiques sont dans le champ de cet article 14.

Lisez maintenant l’article 11 de la Constitution de 1958 : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement… peut soumettre au référendum tout projet de loi portant surl’organisation des pouvoirs publics. »

Vous venez de lire.  Vous pouvez donc comprendre :  

Premièrement que, depuis 236 ans, le droit constitutionnel français donne une première base juridique pour penser l’hypothèse de soumettre à référendum le budget de la France avec ses impôts et ses dépenses.

Deuxièmement surtout, que « l’organisation » de tout pouvoir public commençant évidemment par son organisation « financière », puisque sans budget de fonctionnement il n’y a aucun pouvoir public, tout projet de loi de finances, permettant par définition l’organisation financière de tous les pouvoirs publics, peut donc être soumis au référendum. 

TINA ne veut pas des referenda

Que le président de la République ait dit le contraire, lorsque le 4 mai 2025 François Bayrou, dans une interview au JDD, avait esquissé l’idée d’un référendum sur le budget, ce n’est pas surprenant.

En 1962 déjà, tous les Princes de la République nous avaient raconté que le référendum constitutionnel était « une forfaiture » (Gaston Monnerville, Président du Sénat, 22 septembre 1962) et la totalité des professeurs de droit, à l’exception d’un seul, Pierre Lampé, avaient approuvé : pour eux le peuple ne pouvait directement décider.

 Depuis, vous connaissez la suite. Non seulement le 28 octobre 1962 le peuple a bel et bien voté par référendum, soi-disant impossible, mais en plus François Mitterrand, pourtant alors un des adversaires de cette possibilité, est venu dire, une fois élu président, « l’usage de l’article 11… peut désormais être considéré comme l’une des voies de la révision (de la constitution) concurremment avec l’article 89  » (Revue Pouvoirs , n° 77, Les débats sur le Référendum sous la Ve République).

 Eh bien voilà !  C’est pareil pour le référendum fiscal et budgétaire. C’est « une des voies » de l’adoption du budget « concurremment avec » celle de l’article 47 de la Constitution.

 Certes, le Conseil constitutionnel est venu nous dire, dans une de ses décisions de 2010, en plus datée du 18 juin , que « les dispositions de l’article 14 de la Déclaration de 1789 sont mises en œuvre par l’article 34 de la Constitution ». Autrement dit, comme pour la réforme de la Constitution, qui ne pouvait être faite, nous a-t-on raconté, que par « les représentants », le vote des impôts, des dépenses publiques, et donc des lois de finances, serait là encore le monopole des seuls « représentants ». Les citoyens « par eux-mêmes » ne pourraient décider, malgré l’article 14 qui leur confère pourtant noir sur blanc ce droit et cette liberté. Car enfin, pour consentir l’impôt et les dépenses publiques qu’il permet, cet article pose une alternative, forcément à deux branches :

  1. soit les citoyens consentent par la voie parlementaire, organisée alors aujourd’hui par l’article 47 de la constitution et la Loi organique relative aux lois de finances ; 
  2. soit par la voie référendaire, organisable, dans ce cas maintenant par l’article 11 du texte constitutionnel et les textes portant sur ce régime référendaire.

Accessoirement, c’est d’ailleurs  tellement vrai que même le Garde des sceaux, Jacques Toubon, qui en 1995  portait la réforme  constitutionnelle  du  4 août  étendant le champ du référendum  aux matières économiques, sociales et environnementales, était  obligé  de préciser devant le Sénat que s’il en excluait les lois de finances, c’était uniquement parce que « l’examen en relevait traditionnellement du  Parlement » (Rapport Jacques Larché , SÉNAT 27 juillet 1995,  n° 392,  , tome 2 page 10). Il précisait bien « traditionnellement », pas « obligatoirement ».  

Voilà. L’option référendaire existe. Sauf pour le Conseil constitutionnel et quelques autres qui ne veulent pas de cette deuxième voie.  Et pourquoi ? Mais parce que c’est TINA…. There Is No Alternative. « Il n’y a pas d’autre choix ». C’est la doctrine Margareth Thatcher. Ça ne se discuterait pas.

Ente le séisme, la roulette et la rustine

Eh bien si !  Ça se discute !  Surtout lorsqu’en plus des raisons juridiques, qui font que désormais l’article 11 permettant et des referenda législatifs et des referenda constitutionnels, permet évidemment aussi un référendum budgétaire, s’ajoutent des raisons impératives « pour la continuité de la vie nationale » (Conseil constitutionnel 30 décembre 1979) le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics « (art 16) et « la continuité de l’Etat » (art 5). 

Parce qu’entre le  séisme institutionnel de la démission  de président, la roulette  russe de la dissolution de l’assemblée, les  bricolages de l’article  45 de la LOLF désemboitant  la loi de finances en deux parties, comme si c’était deux lego, les rustines des « loi  spéciales » toujours  de l’article 45  de la LOLF et l’invention  par le Conseil constitutionnel, le 30  décembre  1979,  de la notion poétique,  pour ne pas dire farfelue,  d’un  morceau  de  loi  de finances  «  détaché, préalable et temporaire de la loi de finances »  en entier ;

La solution sage et tranquille, c’est évidemment l’adoption de la loi de finances par référendum. Avec une question toute simple, comme celle du 29 mai 2005 sur le traité de Maastricht : « approuvez-vous le projet de loi de finances autorisant pour 2026 les dépenses publiques et la perception des impôts ? »

Et que l’on ne vienne pas nous raconter qu’une loi de finances, c’est trop compliqué et que seuls les députés peuvent s’y retrouver. Car si lors du référendum du 29 mai 2005, sur le traité établissant une constitution européenne, 20 millions de Français ont pu tellement en comprendre les 448 articles, ses 36 protocoles, ses 2 annexe et ses 41 déclarations, qu’ils les ont refusés, comment le corps électoral ne pourrait-il comprendre la simple centaine d’articles d’une loi de finances dont le contenu se ramène en final à la liste des impôts à payer ?

Tranquillement le référendum

Vous voyez Monsieur le Premier ministre, que vous avez bien plus qu’un chemin étroit pour faire adopter le budget. Vous avez avec le référendum une autoroute juridique, politique et démocratique.

Vous n’avez nul besoin de vous soumettre au régime des partis, de subir le chantage de leurs députés sur des lignes rouges à ne pas dépasser, de vous épuiser avec des 49 alinéa 3, à utiliser ou à abandonner, des commissions mixtes paritaires, des jeux d’assemblées, avec en final le risque de vous faire renverser.

 Vous avez la révolution tranquille du référendum budgétaire et fiscal, il faut y aller, en demandant au Président de laisser le peuple décider de son budget.

Quand il vous aura dit oui, acculé comme il est, pour se dégager, voici la suite :

Vous monterez à la tribune de l’Assemblée présenter au pays, par-dessus la tête de ses 577 représentants, non pas des œufs de mouches budgétaires, pesés avec des balances de toiles d’araignées, pour de bien modestes 44 milliards d’euros d’économies, mais un grand budget à la dimension des défis. Avec des mesures massives, amenant les solutions définitives et commençant par être persuasives.  Car, si enfin on demande à plus de 41 millions de Français de décider de leurs impôts, ce n’est pas pour voter le dérisoire et l’illusoire d’une baisse de la TVA sur les œufs de première nécessité et de jouer à rechercher, sous les tapis et le recoin, quelques milliards d’euros que l’on pourrait économiser sur le train-train de vie de l’Etat. 

D’abord faire comme Turgot 

Même si bien sûr, la première mesure à inscrire côté dépenses, parce que l’exemple doit venir d’en haut, c’est la mesure Turgot, le « ministre de finances » de Louis XVI Devant la situation financière aussi désespérée que celle aujourd’hui, il commença en 1774 le redressement par s’amputer de 30 % sa rémunération. !

Transposée en 2026, cette amputation veut dire en priorité l’annonce de la mesure emblématique de suspension du financement des 21 partis de l’oligarchie (68,7 millions d’euros par année), des campagnes électorales (40, 86 millions pour des législatives) ; de la propagande de candidats (19,16 millions aux législatives) et ce faisant de la Commission des financements politiques (8,5 millions par an). 

Car si le don du sang est gratuit, comment depuis le 15 mars 1988 justifier que le simple don de son temps puisse être payant ? Parce que ce serait le prix de la démocratie ? Ah bon ! Avant 1988, avec quatre présidents élus sans financement public des partis ce n’était donc pas la démocratie ?

Ensuite brûlez ce que vous avez adoré

Une fois cette mesure annoncée, dans la foulée il faut asséner du massif.  Parce qu’à 3500 milliards d’euros de dette publique, évidemment qu’il faut la grande amputation. Mais appliquée aux racines profondes du mal budgétaire français. Soit les vaches idéologiques sacrées qui font faire depuis des décennies des choix erronés. 

Par exemple, depuis 1982, le choix de la décentralisation jusqu’à la régionalisation, ce n’est pas simplement 2,2 milliards d’euros gaspillés chaque année pour payer les  gardes champêtres des 4600 communes recevant chaque Noël un habit pour se déguiser en 28 000 policiers de proximité, faisant pouffer dans les quartiers nord de Marseille ou à la Devèze de Béziers. C’est bien pire. Parce que la décentralisation, c’est maintenant 13 régions en métropole avec leurs 1758 conseillers régionaux, plus les 2000 conseillers économiques, sociaux et environnementaux (dont personne ne sait qu’ils existent) que nous payons chacun entre 1644 euros et 3811 euros chaque mois, pour faire quoi ? RIEN ! puisqu’ils ne siègent que 18 jours par an.  

24 000 euros annuels en moyenne, pour 18 jours de présence, soit 1333 euros par jour, vous devez arrêter ça tout de suite. En annonçant que les 48 milliards de dépenses régionales vont être supprimés, avec l ‘empilement bureaucratique du mille-feuilles territoriales qui disparaît.

Car enfin, quand déjà les départements ont compétence sur les collèges, faut-il en plus 18 régions françaises pour construire des lycées ?

 Osez la fin des impôts Prométhée

 Voilà une première mesure budgétaire massive que vous devriez nous annoncer. Avant de passer à la deuxième sur la fiscalité Prométhée.  C’est-à-dire tous ces régimes spéciaux d’impôts et de cotisations, qui à coup de réductions et d’exonérations, de TVA, d’impôt sur les sociétés et de cotisations sociales, veulent créer des emplois, faire des découvertes scientifiques et accumuler des brevets.

 Ce sont les 474 régimes fiscaux privilégiés qu’il ne faut plus retrouver énumérés, comme chaque année, dans une annexe bleue de votre budget, en dragons de la vieille forêt des privilèges fiscaux d’Ancien Régime. 

Ce sont en plus de ces 84 milliards d’euros, les 73 milliards d’exonérations de cotisations sociales, selon le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, et plus généralement ces 2200 dispositifs, selon le Sénat (Rapport Fabien Gay, 1er juillet 2025, n°808), d’aides publiques aux grandes entreprises pour un coût, dit-on, de 211 mds d’euros.

Tout cela parce que l’idéologie européenne de la suppression des protections douanières, ayant fait arriver les produits de l’Asie et détruit les emplois d’ici, pour éviter l’explosion sociale, 180 ans après Louis Blanc et son décret du 25 février 1848, des pans de notre économie, pourtant de marché, sont comme revenus à la philosophie des ateliers nationaux de la IIe République. Puisque maintenant, via la CSG et la sur-fiscalité, venant compenser les renoncements de cotisations sociales et d’impôt sur les sociétés, nous en sommes à payer les entreprises pour qu’elles permettent quelques millions de petits emplois pour des Français qui sinon n’auraient plus d’employabilité.

Avec bien sûr, en dommage collatéral de cet interventionnisme fiscal manipulateur des impôts, un code fiscal  de près de 5000 articles, avec  10 067 renvois d’un article à l’autre en un jeu épuisant de miroirs ; 48  combinaisons possibles pour numéroter chaque article, en chiffres, arabes et romains, en lettres, majuscules et minuscules ; 1226 taux ; 1610 seuils et plafonds d’imposition ; 258 délais et 1 067 000 mots,  seulement dépassé par les 3 400 000 mots du code des États-Unis, l’Interna Revenue Code,  aux 9833 sections. 

Et ce n’est d’ailleurs pas tout. Parce qu’il y a en plus des impôts et prélèvements dans d’autres codes. Celui de la sécurité sociale, avec 257 articles fiscaux, dont six pour la CSG, ceux de l’urbanisme, du tourisme, des collectivités territoriales, du cinéma et des images animées. Soit 780 articles de plus qui viennent s’ajouter aux quelques 5000 déjà mentionnés.

Luis Mariano, la 4 CV Renaultla guerre d’Indochine et le Code français des impôts

Lorsqu’on en est là, monsieur le Premier ministre, avec le plus vieux code général des impôts de la planète,  puisque remontant au 6 avril 1950, soit au temps de Luis Mariano, des  4CV Renault et  de la guerre d’Indochine, vous comprenez bien que la partie 1 de votre budget ne peut pas se contenter de quelques  mesures  sur l’imposition des patrimoines réfugiés  dans un millier  de holdings, voire d’une taxe Zucman et d’un supplément de répression des libertés à la disposition de la police fiscale.

C’est parce qu’il faut aller à la table rase de cette accumulation d’impôts aux effets de masse, de casse et de nasse, que votre déclaration de politique générale devrait se terminer par :

« Mesdames et messieurs les représentants de la souveraineté nationale qui n’appartient qu’au peuple de France.

 Nous voici les uns et les autres dans cet hémicycle où bien des noms, qui ont écrit des moments de notre destin, m’ont précédé. A commencer bien sûr, le 1er juin 1958, par le plus grand d’entre eux : Charles de Gaulle.

Sa déclaration d’alors, prononcée ici même, disait notamment que pour remédier, je cite « : à un état de choses désastreux », il faut, je le cite à nouveau «   en finir avec la cause profonde de nos épreuves ».

Le projet de budget que je viens de vous présenter, est dans cet état d’esprit : en finir avec les causes profondes qui ont conduit les finances de la France dans l’état auquel chaque Français attend qu’il y soit porté solution.

C’est la raison pour laquelle, sur la base de l’article 11 de notre constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement devant le pays, en demandant au Président de la République de le saisir, par référendum, de « l’organisation budgétaire des pouvoirs publics », telle que la réalise le projet de loi de finances pour 2026 à soumettre à l’approbation du pays. »

Voilà, monsieur le Premier ministre. Vous feriez cela, vous nous sortiriez par le haut.

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