La force contre la loi

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Par Jean-Frédéric Poisson

En cette fin du mois de juillet 2007, l’Assemblée nationale examine la proposition de loi de réforme des universités, portée par le ministre Valérie Pécresse. Le député de Paris Claude Goasguen, aujourd’hui décédé, ancien Recteur d’Académie, s’avance au micro. D’une voix experte, il met en garde le gouvernement contre l’économie générale du texte. Il craint que cette vague d’autonomisation des universités n’aboutisse, à terme, qu’à les mettre entre les mains de la gauche. Dix-huit ans plus tard, on peut dire que les craintes du député Goasguen étaient parfaitement fondées. L’Enseignement Supérieur est devenu le théâtre d’intimidations à répétition, d’actes de pure censure, qui ne relèvent plus d’une simple préférence intellectuelle ou politique, mais d’un militantisme qui préfère l’intimidation à la recherche intellectuelle et au débat. De nombreux intervenants extérieurs y sont désormais interdits de séjour, depuis la spécialiste française des Frères musulmans, Florence Bergeaud-Blackler, jusqu’à l’ancien Président François Hollande, mal remercié par son aile gauche.

Il y a quelques semaines, un nouveau pas a été franchi. Fabrice Balanche, professeur de géographie à l’université de Lyon II, a subi l’intrusion dans son cours de quelques agitateurs. Traitant le professeur de « raciste » et de « sioniste », ils l’ont menacé et forcé à quitter son cours, au motif qu’il avait critiqué l’organisation d’un évènement de rupture du jeûne du ramadan, initialement prévu (puis annulé) dans les locaux de l’université.

Deux remarques s’imposent à ce stade. Premièrement, on ne voit pas en quoi le professeur aurait commis une faute en s’opposant à un événement malvenu dans les locaux de l’université. Deuxièmement, dans un monde bien fait, ces agitateurs devraient être identifiés, et radiés à vie de toute université en France. Ce serait la seule manière de rappeler à toute la France que l’esprit même de la disputatio, en vigueur dans l’université française depuis sa création au Moyen Âge, n’a rien à voir avec les démonstrations de force – qui montrent davantage une faiblesse définitive d’arguments plutôt que de l’agilité intellectuelle…

Malheureusement l’histoire ne s’arrête pas là : loin de prendre les dispositions et les sanctions à l’encontre des agitateurs, la Présidente de l’université les a, au contraire, soutenus, en reprochant à son collègue d’avoir tenu de tels propos. Pire, la Conférence des Présidents d’université a apporté son soutien total à la Présidente de Lyon II, considérant que, pour aller vite, si les agitateurs n’avaient pas le droit d’agiter, les professeurs n’avaient pas le droit non plus de provoquer en disant n’importe quoi – nous traduisons ici librement mais sans excès le communiqué, indigne, produit par cette Conférence des présidents.

Cet épisode est à l’image de notre pays d’aujourd’hui. Des abrutis minoritaires, qui ne mériteraient qu’une bonne fessée, sont confortés dans leurs actions violentes par la seule lâcheté des gens qui devraient les sanctionner. « La seule chose nécessaire au triomphe du mal est l’inertie des gens de bien », disait Edmund Burke. On voit ici que la lâcheté des gens qui sont en responsabilité, qu’ils soient ou non « gens de bien », suffit largement ! Ces renoncements successifs, ne font que renforcer l’aisance de ce qu’ils n’ont, pour la liberté d’autrui, aucune forme de considération. Ils accréditent la thèse d’un État faible, au point de pouvoir être contesté – et demain renversé ? – par une poignée de personnes déterminées. Ces présidents d’université semblent avoir oublié la leçon constante de l’histoire : c’est par l’intimidation ponctuelle de rue que les révolutions s’installent, et le fascisme quand l’intimidation devient la première méthode de l’État.

L’alerte de Machiavel gagnerait pourtant à conquérir les esprits : « On ne doit jamais laisser se produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l’évite jamais, on la retarde à son désavantage » (Le Prince, VII). La concorde de façade qui était encore le fragile ciment de nos sociétés, n’existe plus. La violence, la brutalité s’installent partout – en rencontrant bien peu de ripostes. Non seulement nous n’avons plus de projet commun clairement identifié et porté par nos responsables politiques, mais encore ces derniers refusent-ils de combattre ceux qui n’ont que la violence et le chaos à proposer en guise de perspective nationale. Un esprit taquin pourrait considérer que les sociaux-démocrates sont toujours les premiers complices des révolutionnaires, et d’ailleurs souvent également leurs premières victimes. Bordons-nous à considérer que, très loin de la liberté qui devrait être la marque de l’université française, cette dernière aujourd’hui semble porter, en cas de litige, sa préférence à la manière brute. Au sens strict, Machiavel renseigne encore sur ce point : « il y a deux manières de combattre, l’une avec les lois, l’autre avec la force. La première est propre aux hommes, l’autre nous est commune avec les bêtes ». (Le Prince, I). Visiblement, les agitateurs lyonnais ont choisi leur camp. Et l’Université Lyon II-Lumière aussi.

Elle porte de plus en plus mal son nom !

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