Journal de la fin de vie par Claire Fourcade aux Editions Fayard.
Dans le prolongement du dossier « Euthanasie et suicide de notre civilisation » paru dans le n° 17 de janvier 2025, Francis Jubert a lu pour nous Le Journal de la fin de vie de Claire Fourcade, médecin palliatologue et présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.
Recension de Francis Jubert

La question de la fin de vie est décidément omniprésente en France. Deux grands cinéastes, Pedro Almodovar avec La Chambre d’à côté et Costa-Gavras, réalisateur du Dernier souffle, se sont emparés du sujet. Le premier met en scène un suicide assisté, quand le second montre les bienfaits des soins palliatifs.
Comme en écho à ces deux grands films, les éditions Fayard ont publié le mois dernier dans la collection « Choses vues » le Journal de la fin de vie de Claire Fourcade. Forte de son expérience – cela fait 25 ans qu’elle « aide à vivre jusqu’à la mort » ceux avec qui elle a passé un pacte de confiance – et de sa « foi dans une médecine de l’attention et du regard qui humanise et valorise », l’auteur nous convie dans ce Journal à une réflexion singulière sur l’accompagnement des personnes en fin de vie et la philosophie du soin qui est la sienne.
Le Dr Fourcade invite ses lecteurs à repenser la place de la mort dans le système de soins français et dans notre rapport à l’existence. Elle affirme dès l’introduction de son ouvrage que « la mort est une étape, pas une défaite », ce qui explique qu’elle ait choisi d’emblée une démarche qui valorise le soin et interdise de provoquer la mort du patient.
Dans ce livre, qu’on ne saurait réduire à une simple « apologie des soins palliatifs », même si un chapitre complet est consacré à ces soins, l’auteur dénonce ce qu’on peut bien appeler une course effrénée à la prolongation de la vie, qui consiste à privilégier des traitements curatifs, même lorsque ceux-ci risquent de transformer les derniers instants d’une vie en une succession d’interventions douloureuses et déshumanisantes.
Claire Fourcade rappelle que « prolonger la vie ne doit jamais rimer avec prolonger la souffrance ».
Par ce constat, elle met en lumière l’urgence à replacer l’humain au coeur de l’accompagnement de la fin de vie. À travers divers cas cliniques, elle montre comment le recours systématique à des traitements invasifs peut parfois empêcher la mise en place d’un véritable dialogue entre le patient, sa famille et l’équipe soignante.
Pour Claire Fourcade, il s’agit d’adopter une vision globale du soin qui ne se limite pas à la seule dimension physique. L’approche humaniste qu’elle préconise intègre également le vécu des patients : « L’écoute et le dialogue sont essentiels pour accompagner dignement le patient ».
En faisant ce constat, elle rappelle que la communication permet de clarifier les attentes, d’apaiser les angoisses et de préparer sereinement la survenue de la fin de vie. Chaque personne mérite de vivre ses derniers instants dans la dignité, en se sentant pleinement comprise et soutenue.
Un des axes forts du Journal de la fin de vie est de lever le silence qui entoure la mort dans notre société. Claire Fourcade dénonce ce mutisme collectif en affirmant qu’« il est temps de parler de la mort sans tabou. » En ouvrant le dialogue, elle propose de transformer la fin de vie en une étape à préparer activement.
Claire Fourcade milite pour une nouvelle culture du soin palliatif, où l’objectif est de permettre au patient de vivre ses derniers moments dans le respect de sa dignité et de ses choix. Ce faisant, elle suggère que la préparation à la mort devienne une opportunité de redécouvrir l’essence même de la vie.
Tout au long du Journal, par des récits qui humanisent le débat, elle ponctue sa réflexion de témoignages et d’exemples tirés de sa pratique quotidienne. En relatant des situations cliniques marquantes, elle démontre que chaque histoire individuelle contribue à enrichir notre compréhension de la fin de vie : « Chaque instant compte, même face à l’inévitable. »
Œuvre à la fois intime et politique, Journal de la fin de vie se présente comme un plaidoyer en faveur d’une prise en charge respectueuse de l’être humain dans sa globalité. Pour Claire Fourcade, il ne s’agit pas seulement de lutter contre la mort, mais surtout de permettre à tout un chacun de « bien mourir », c’est-à-dire de « vivre pleinement jusqu’au dernier souffle. »
Claire Fourcade voulait montrer dans son livre quels sont :
– les grands enjeux du débat fin de vie dont elle est un des principaux protagonistes, en tant que chef de file d’une société savante et tête de réseau d’un Collectif de soignants en soins palliatifs ;
– les moyens à disposition des soignants, des patients palliatifs et de leurs proches pour vivre en France dignement jusqu’à la mort naturelle.
C’est peu dire qu’elle a réussi à relever ce double défi avec ce livre qui s’inscrit dans un moment clé du débat français sur la fin de vie et qui met en lumière la complexité des situations : chaque patient est unique, chaque fin de vie est singulière comme elle en témoigne dans ses récits de patients, qui permettent d’humaniser un sujet souvent traité de manière abstraite dans les débats.
Là où Journal de la fin de vie prend une dimension particulièrement importante, c’est dans l’expression sans ambiguïté des positions politiques de son auteur. Claire Fourcade critique vivement les insuffisances actuelles du système de soins palliatifs en France. Malgré la loi de 1999 qui garantit théoriquement l’accès aux soins palliatifs, la réalité est bien différente : près de 50 % des patients qui en auraient besoin ne bénéficient pas de ces services. Cette carence, selon Claire Fourcade, constitue une injustice criante et une urgence sanitaire.
Dans le contexte du dépôt prochain de textes législatifs sur l’euthanasie et le suicide assisté, l’auteur s’élève contre ce qu’elle perçoit comme une « solution de facilité ». Elle affirme que légaliser l’euthanasie dans un pays où les soins palliatifs sont largement sous-développés revient à contourner un problème plutôt qu’à le résoudre. Elle redoute également que cette légalisation n’instaure une forme de pression sociale ou économique sur les plus vulnérables, les incitant à choisir la mort pour ne pas « être un fardeau ».
Claire Fourcade ne rejette pas le débat sur la liberté individuelle, mais elle appelle à une réflexion beaucoup plus profonde sur la responsabilité collective.
La véritable liberté, soutient-elle, réside dans l’accès à un choix éclairé, où la possibilité d’être accompagné dignement jusqu’au bout de son existence est une réalité, et non une promesse vide.
L’ouvrage se veut aussi une critique indirecte des décideurs politiques et des priorités budgétaires. Claire Fourcade déplore le manque de volonté politique pour investir dans les soins palliatifs, qui nécessitent des ressources humaines, matérielles et financières importantes.
Selon elle, la précipitation de certains à vouloir légiférer sur une pratique qui interrompt à la fois l’accompagnement et la vie témoigne d’une déconnexion avec les réalités du terrain. Elle invite les parlementaires et le gouvernement à considérer les soins palliatifs comme un préalable indispensable à toute réforme sur la fin de vie.
Sa demande de dissocier les textes, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur le suicide assisté et l’euthanasie, pour mettre de la clarté dans le débat sur la fin de vie, a été apparemment entendue par le Premier ministre.
Journal de la fin de vie est bien plus qu’un simple témoignage : c’est un cri d’alarme, un plaidoyer pour une société qui refuse de voir la mort comme un échec médical ou une contrainte logistique. Claire Fourcade y défend une vision profondément humaine de la fin de vie, où chaque individu a droit à un accompagnement digne et respectueux.
Dans le contexte des débats législatifs à venir, ce livre s’impose comme une lecture essentielle pour tous ceux qui souhaitent comprendre les enjeux réels de la fin de vie. Il rappelle, avec force et humilité, que le progrès ne consiste pas seulement à élargir les choix, mais à garantir que ces choix soient réellement accessibles à tous.
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