par Paul-Marie Coûteaux
Proposons à nos lecteurs d’offrir un abonnement gracieux à M. Edouard Balladur qui, dans un article publié l’an dernier par le Figaro, mais passé un peu inaperçu, posa sur la France un diagnostic cruel : « la France est atteinte dans ses forces vitales ». Mieux, cet auguste dignitaire en impute largement la responsabilité, comme nous le faisons depuis plus de trente ans, aux « coups de force » de l’Union européenne – et, mieux encore, il lui oppose, enfin, la souveraineté nationale. Tel est d’ailleurs le titre de l’article : « La France doit demeurer souveraine et le peuple français maître de son destin ». Nous en publions ici quelques extraits, fortes phrases qui furent pendant trois décennies notre refrain, tant méprisés par à peu près toute la petite et la grande classe politique. Edouard Balladur préconise ainsi d’élargir le champ du référendum pour consulter rapidement le peuple français sur une nouvelle organisation de l’Europe : c’est exactement ce que nous demandons : et ainsi de suite…
Edouard Balladur est le plus net certes, mais pas le seul à évoquer cette souveraineté nationale que nous fûmes les premiers à introduire dans le débat français au fil des années 1990, notamment par l’intermédiaire, timidement, de Philippe Séguin, puis de Nicolas Dupont-Aignan et de Charles Pasqua, plus nettement de Philippe de Villiers (on se reportera au texte que ce dernier prononça en 2004 devant l’Institut des sciences morales et politiques qui résume magistralement ce qu’on a pu entendre par souverainisme). Il est piquant d’observer que ce qui était voici vingt ans encore un mot réputé incompréhensible (« ce mot ne passera pas », finit par me dire Philippe Séguin, se plaignant que j’en abusais dans les textes que je lui préparais), est désormais repris à tue-tête, y compris par quelques belles figures de la gauche repentante, tels Michel Onfray et quelques autres, sans oublier ceux qui parlent de souveraineté avec un toupet qui frôle l’imposture, tels Emmanuel Macron et ses acolytes : après avoir prétendu que ce mot était ridicule dans un monde mondialisé, ils n’ont désormais plus que lui à la bouche. Or, comment oser utiliser ce mot quand par ailleurs on jette au ruisseau les souverainetés que tout d’un coup on invoque : souveraineté agricole, souveraineté industrielle, souveraineté numérique ? Il n’est jusqu’à France Culture qui, décrivant (journal de 12 h 30 du 4 février 2024) les mouvements de jeunes Sénégalais, les qualifiait de « mouvement d’émancipation souverainiste », comme si ce mot, devenu acceptable, ne l’était pleinement que s’il était dirigé contre la France… Etrange destinée de certains mots dont l’auteur de ces lignes, qui l’emprunta dans les années 90 au mouvement québécois, ne soupçonnait pas qu’il aurait un jour tant de succès.
Notre placidité de chrétiens qui pardonnent les offenses est mise à l’épreuve ces temps-ci, tant les repentirs se multiplient. Sur l’Europe bien sûr, au sujet duquel le jeune souverainiste Edouard a les relents les plus sincères – à son actif, il faut rappeler qu’il était opposé en 1991 à la monnaie unique, préconisant (c’était à l’époque dans Le Monde) une monnaie commune européenne, ce qui ne l’empêcha pas de la mettre sur les rails : mais peut-être s’en veut-il également. Au chapitre des repentirs, exercice à la mode dont la liste devient longue, rappelons que Valéry Giscard d’Estaing avait lui-même qualifié, dans un entretien fameux au Figaro Magazine, de « grave erreur » la législation sur le regroupement familial : ou les fameux repentirs de Mitterrand sur l’impérialisme américain, que dans les derniers mois de sa vie, il osa qualifier de « vorace » (après l’avoir tant servi…), ajoutant même que les Etats-Unis menaient une guerre permanente à la France : ou ceux de l’ancien ministre Edouard Pisani, regrettant peu avant sa mort l’implacable politique qu’il mena des années durant pour imposer à la paysannerie française une agriculture intensive qui fait tant de dégâts… La liste est longue. Ces tristes sires se sont trompés sur tout, l’avouent et s’en désolent. Quant à leur victime, la France, elle en est là où nous la voyons.
Extraits de l’article d’Edouard Balladur
publié dans le Figaro, le 28 juin 2023
« La création d’une Europe organisée est la grande initiative du siècle précédent. Mais, depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) En 2008, le traité de Lisbonne a accentué les travers de la construction européenne. Depuis, la France a pris l’initiative de proposer un nouvel élargissement et fait des propositions regroupées sous le vocable de la souveraineté de l’Europe. Qui s’y retrouve ? Il est temps de sortir du désordre, de poser quelques principes simples.
• Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir.
• Il est indispensable que soit rédigé, pour préciser les compétences de chacun, un code européen s’imposant à tous afin de mettre fin aux équivoques dont est coutumière la Commission européenne, tout comme, dans un autre registre, le Parlement.
• Il importe de revoir dans un sens plus équitable, tenant mieux compte des réalités, la répartition entre les membres de l’Union des postes à la Commission, au Parlement, ainsi que les voix attribuées à chacun au sein du Conseil européen.
• Cette modification faite, il faudra veiller à ce que chacun des organes de l’Union respecte ses compétences. En tout cas, la France doit, dans les domaines diplomatique et militaire, conserver son indépendance.
• Il y a lieu de préciser également la compétence et le rôle des juges nationaux et supranationaux au regard du pouvoir politique et gouvernemental.
• Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base.
Aussi longtemps que toutes ces conditions préalables n’auront pas été remplies, il faudra suspendre tout élargissement de l’Europe.
Dans le même temps, la France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. Il faut assurer la supériorité de la Constitution française sur tout autre règle de droit, nationale ou internationale. Actuellement, sous couvert d’État de droit, l’Union européenne s’empare de la « compétence de sa compétence », qu’elle estime devoir définir elle-même en toute indépendance. Jusqu’à présent, les trois cours suprêmes françaises, Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’État, ont peu ou prou laissé faire.
Doit-on adopter le principe selon lequel le peuple est le seul titulaire d’une souveraineté suprême, dont la volonté, exprimée dans la Constitution adoptée par référendum, l’emporte sur toutes les normes nationales, européennes ou internationales ? Oui. Pour redonner aux Français confiance dans leur avenir au sein d’une Europe qui respecte leurs intérêts fondamentaux, ils devraient être appelés à approuver par référendum une politique européenne rénovée.
Mais ce serait, déclare-t-on, contraire à la Constitution, en raison du champ limité du référendum. C’est exact. Aussi faudrait-il au préalable modifier la Constitution pour étendre le champ du référendum. Dans un deuxième temps, l’organisation nouvelle de l’Europe pourrait à son tour être soumise à l’approbation du peuple français. Ainsi serait-elle aussi démocratique qu’il est souhaitable. Tout ceci serait-il trop dangereux pour la sérénité de notre vie publique ? Citons De Gaulle, qui lançait dès le 1er octobre 1948 : « Je crois qu’en France la meilleure Cour suprême, c’est le peuple. » Si la France se résignait, qui déciderait à sa place lorsque ses intérêts essentiels, sa vie même seraient en jeu ? Il est inconcevable que la France s’en remette à quiconque d’autre qu’à elle-même. Il n’y a pas d’alternative. Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. Ce sera long, difficile, il faut commencer sans tarder. »