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Hommage à Benoît Duteurtre

Par Gilles Brochard

À l’heure où la France vit une terrible déroute politique, l’écrivain Benoît Duteurtre, auteur de 25 romans et essais, tire sa révérence. Au Nouveau Conservateur, nous venons de perdre un ami, un complice et un homme délicieux.

Avec son allure d’éternelle jeunesse, Benoît Duteurtre, né en 1960, promenait sur la vie quotidienne et sur les humains un regard amusé, parfois désabusé, mais toujours inquiet, sentimental et caustique. On aimait chez lui sa façon de pimenter ses récits et ses romans avec un grincement de plume délicat. On aimait ce goût du bonheur qu’il puisait à la lecture d’un roman de Kundera ou de Houellebecq, autant que dans une opérette d’Offenbach. Durant plusieurs décennies, l’auteur du Voyage en France (pour lequel il obtînt le prix Médicis) tenait une place particulière dans le paysage littéraire, et j’ai toujours pensé qu’il y avait dans son écriture et sa façon de traiter certains sujets, un savant mélange de Marcel Aymé et de Jean-Louis Curtis. 

À la parution de son livre autobiographique, Ma vie extraordinaire (Gallimard) j’écrivais ici-même qu’il savait être cruel, sentimental et toujours sensé, portant avec acuité un regard aigu sur ce qui nous touche de près, avec autant de profondeur que de légèreté. En cela son esprit très français le place dans la catégorie des moralistes. Il savait comme pas un mettre le doigt sur tous les travers d’une société en perdition et d’une France en décomposition. En cela ses tribunes et chroniques parues dans Le Figaro comme dans Marianne, avaient une certaine saveur que certains pourraient juger réactionnaire. Son conservatisme était celui d’un vrai classique qui refusait la modernité dans ce qu’elle a d’outrancier, de péremptoire et de racoleur.

Dans Ma vie extraordinaire, qui le résume assez bien, il dressait le bilan d’une vie, à soixante ans. Il se confiait comme jamais dans un récit à plusieurs entrées, éprouvant le besoin de raconter sa vie comme si elle était un roman, à la frontière du merveilleux, mot auquel il semblait attaché, lui qui fut l’ami de Marcel Schneider, mélomane et passionné par les mondes oniriques, comme lui. Il poétisait ainsi les moments de grâce qu’il avait pu savourer enfant, au cœur d’une bourgeoisie provinciale, souvent secouée par le vent de la révolte, partagé entre les Vosges et Le Havre où il s’était enraciné. Son caractère romanesque lui conseillait de fouiller sa mémoire pour en extraire le meilleur avec le filtre de la gentillesse et de la bienveillance. Rien de noir chez lui, rien de désespéré, il affleurait sur ses propres angoisses et s’accrochait aux bonheurs d’une vie simple comme aux affres traversées par ses proches en essayant de comprendre les mécaniques psychologiques de chacun et de soi-même.

   Benoît Duteurtre manquera à la littérature et son esprit piquant, râleur sympathique, nous manquera, nous ses lecteurs. Lui, le petit-fils de René Coty, le curieux, l’homme éclectique, pianiste à ses heures, l’âme gaullienne, le verbe musical et l’amoureux des vaches, s’en est allé. Et comme l’a écrit Sébastien Lapaque, il fut victime d’une crise cardiaque dans sa maison de campagne des Vosges, « sous un ciel barrésien, vibrant et caressant, si différent des lourds plafonds de nuages gris des nouvelles de Maupassant. (…) Philippe Muray jalousait son art d’être dans le monde sans rien céder au monde et Michel Déon louait le regard froid qu’il posait surt son siècle. »

Qu’il repose en paix !

G.B.

La plupart des livres de Benoît Duteurtre sont publiés chez Gallimard et chez Fayard. Il avait par ailleurs collabré deux fois à notre revue.

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