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Dépolitisation et dépossession

Par Jean-Frédéric Poisson

Président de VIA – la Voie du Peuple

Directeur de la Publication du Nouveau Conservateur

La nomination d’Élisabeth Borne renseigne davantage sur l’esprit du quinquennat qui s’ouvre que la liste – par ailleurs fort sommaire – des réformes promises par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle. Le profil du nouveau Premier ministre est identique à celui de son prédécesseur : haut fonctionnaire et issue d’une grande école, elle est un excellent exemple de ce que notre système peut produire en matière de technocrate. Elle n’a jamais été élue nulle part. Elle n’a pas brillé par le respect accordé à ses interlocuteurs syndicaux pendant son passage au Ministère du Travail – pas davantage envers les infirmières refusant le vaccin, son comportement frisant l’inhumanité. Sa manière n’a en rien tranché avec l’arrogance et le mépris qui ont marqué le précédent quinquennat. En bref, rien dans la désignation d’Élisabeth Borne ne permet de dire que la promesse du Chef de l’État d’un « monde nouveau et d’un peuple nouveau » puisse être effectivement portée par le chef de son gouvernement. Pire : la confirmation du poids de la technocratie et de ses représentants à la tête de notre pays sonne comme le dernier clou planté dans le cercueil des institutions que nous avons connues. Le monde décrit dans notre Constitution comprend le Premier ministre comme le chef de la majorité parlementaire, parce qu’il procède d’elle et repose sur elle : c’est elle qui porte son discours de politique générale, elle qui amende et vote les projets de loi du Gouvernement, elle qui maintient ou retire sa confiance, elle encore qui contrôle son action. Lorsque la Constitution est respectée, la France a besoin d’un Premier ministre qui dirige la politique de la France ET de la majorité de l’Assemblée nationale. Elle a donc besoin d’un Premier ministre qui a fait ses armes politiques et dont l’autorité est incontestable.

Les Français, pour une large part, ne comprennent plus l’utilité ni le fonctionnement de notre système politique

Le Chef de l’État qui nomme un Premier ministre à qui cette expérience politique fait défaut – qui plus est pour la deuxième fois – envoie un message au pays : l’administration, ou la technostructure, continuera de gouverner, sans le Parlement, c’est-à[1]dire en se passant de la souveraineté nationale. Évidemment, « on » veillera à respecter les formes ; « on » ne manquera pas d’initier les débats dans l’enceinte du Parlement. Mais le quinquennat précédent porte avec lui deux records peu rassurants : le plus grand nombre de textes législatifs adoptés en recourant aux ordonnances, et le plus petit nombre de décrets d’application publiés en appui des lois votées par le Parlement. Dans cette période, le pouvoir exécutif s’est imposé sans rival, sans contestation, sans opposition et sans contrôle. Il n’a plus eu besoin du Parlement pour légitimer l’adoption de ses décisions politiques, ni de la dimension proprement politique de la vie institutionnelle. Le technique a ainsi pris le pas sur le politique, en même temps que la haute administration prenait le pas sur le Parlement . Cette dépolitisation de la vie publique, dans le droit fi l de la gestion de la crise sanitaire, nous fait entrer insensiblement dans un régime autoritaire, en attendant pire… On pourrait se dire que rien de tout cela n’a d’importance ; qu’à choisir, il vaut mieux un pays gouverné d’une main de fer qu’un pays qui sombre dans l’indécision, etc . Ou encore que, étant donné ce qu’est devenu le Parlement, la faiblesse insigne dont il a fait preuve pendant le quinquennat précédent, rien n’indique qu’un affaiblissement sensible du Parlement et de son pouvoir serait en quoi que ce soit inquiétant . Mais il est manifeste que les Français, pour une large part, ne comprennent plus l’utilité ni le fonctionnement de notre système politique . Ils profèrent à juste titre des critiques contre son inefficacité tout autant que la piètre qualité des parlementaires . Ils ne voient plus que, si imparfaite qu’elle soit, l’intention démocratique consiste à ce qu’aucune orientation politique significative ne soit prise sans que le peuple en soit au moins informé – mieux, consulté, et encore mieux, d’accord . Il est probable qu’une telle « idéalité » démocratique n’ait en réalité jamais vu le jour .

Les conditions d’exercice de la souveraineté

Et dans l’histoire récente de la France, le tragique épisode du référendum de 2005 sur la Constitution européenne et le refus de prendre en compte le refus des Français ont certainement corrompu gravement et durablement la confiance de notre peuple dans la démocratie en général, et ses institutions en particulier . Toutefois, une chose est de contester le fonctionnement insatisfaisant du système institutionnel, autre chose de voir les dirigeants eux-mêmes remplacer ces pratiques institutionnelles imparfaites par un système confiscatoire . La gestion de la crise sanitaire, encore elle, a habitué les Français à l’opacité des décisions publiques, à la centralisation du pouvoir, à la réduction des libertés, et à l’irresponsabilité (judiciaire, s’entend) des dirigeants : autant de pratiques qui dépossèdent le peuple français, non seulement des conditions d’exercice de sa souveraineté, mais encore des informations et vérités indispensables. Le « nouveau monde », le « nouveau peuple », la « nouvelle méthode », ne s’annoncent que sous les traits de mauvaises manies contractées pendant le quinquennat précédent. On se dira peut-être que l’absence de majorité issue des urnes le 19 juin nous protègera de telles avanies. Il est probable que non. Une telle Assemblée ne peut avoir que deux destins : débattre sans jamais conclure ou bien être dissoute avant d’avoir pu agir ; légiférer et contrôler, sûrement pas.

Jean-Frédéric Poisson

Président de VIA – la Voie du Peuple

Directeur de la Publication du Nouveau Conservateur

Saisissons l’occasion de l’actuel débat institutionnel pour rappeler l’ouvrage que Jean-Frédéric Poisson a consacré en octobre 2020 aux institutions de la Ve République et aux complètements qu’il conviendrait de leur apporter pour que soient garantis les principes de la démocratie : « La Voix du Peuple » – éditions du Rocher.

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